Parole de Dieu
Dieu nous parle
La bible se définit traditionnellement comme « parole de Dieu ». Dieu parle ; Dieu nous parle. Dieu parle le langage de l’homme en faisant appel à des interprètes ou des porte-parole. La parole de Dieu est toujours pleinement humaine :
Dieu ne se révèle pas dans des dogmes intemporels, dans des maximes de sagesse figées pour les siècles des siècles, mais dans l’épaisseur d’une histoire, une histoire d’hommes et de femmes en proie à la douleur, à l’interrogation, au doute, au plaisir. Il se déchiffre dans les plis d’une épopée humaine, très humaine (Pierre Gibert).
Tout est de Dieu et tout est de l’homme. Dieu ne prend pas sa plume pour écrire une histoire, mais il se dit à travers des porte-voix. Dieu inspire, mais ne dicte pas ; il suscite, mais n’enchaîne pas ; il appelle, mais n’impose pas. Il se laisse écorner par le langage humain. Il respecte son humanité à tel point qu’il accepte d’être le commanditaire de barbaries ou de meurtres. N’est-ce pas à Dieu qu’est attribué le massacre des premiers-nés égyptiens ? L’Ancien Testament recèle d’épisodes où Dieu prête main-forte à son peuple, quitte à commettre des crimes. Il s’active comme un justicier qui n’hésite pas à châtier le coupable ou le pécheur. C’est là pour Maurice Zundel :
Une des plus émouvantes preuves de l’amour de Dieu… que d’avoir accepté d’être présenté sous le travesti d’un langage inadéquat, qui a pu lui donner, à certaines heures… un visage que les hommes eux-mêmes ne voudraient pas avoir .
Accepterions-nous d’être dépeints comme l’est Dieu dans l’Ancien Testament ? Mais pouvons-nous parler de Dieu sans lui donner un visage humain avec toutes les limites que comporte cet anthropomorphisme ? Nous ne concevons Dieu qu’à travers notre expérience du monde. Si la révélation biblique nous fait accéder à des mystères divins, les mots utilisés pour les dépeindre restent résolument inadéquats, car du monde. Ainsi l’expression de la toute-puissance prend pour appui la puissance humaine magnifiée à l’infini, avec toutes les ambiguïtés que comporte ce vocable.
L’Ancien Testament comporte bien des textes difficiles à entendre aujourd’hui. Qu’en est-il du Nouveau Testament ? Devons-nous l’accueillir comme parole d’évangile immuable et irréfutable ? Prenons l’exemple du discours de Paul sur les femmes que les féministes d’aujourd’hui renieraient certainement. Les femmes doivent être soumises à leur mari parce qu’il est leur chef. Les plus âgées doivent enseigner aux jeunes comment aimer leur mari et leur être soumises. Elles sont d’ailleurs créées pour l’homme dont elles tirent leur gloire. Elles doivent également avoir les cheveux longs et être voilées. L’homme ne doit pas se couvrir la tête, car il est l’image et la gloire de Dieu, ce qui n’est pas le cas de la femme (1Co 11,3-10 ; Eph 5,22 ; Tit 2,3-5).
Ces idées sorties de leur contexte culturel et littéraire donnent l’image d’un Dieu machiste. Paul parle le langage de son temps et ne cherche pas à révolutionner les mentalités, car son message serait totalement rejeté. Paul reste conforme à la doctrine sociale de ce 1er siècle tout en soulignant que les maris doivent aimer leurs épouses comme le Christ a aimé l’Église, c’est-à-dire être prêts à tout sacrifier jusqu’à la mort (Eph 5,25).
Dieu rejoint toujours l’homme dans son histoire et parle son langage avec le souci pédagogique de l’amener à réfléchir sur le sens de sa vie. Dieu est à l’origine de la bible pour faire passer un message, pour nous annoncer une bonne nouvelle. Il accomplit ce dessein progressivement, en bon pédagogue, en tenant compte de nos facultés humaines. Tout comme un professeur enseigne d’abord les règles élémentaires de calcul avant d’aborder les théorèmes, de même Dieu se présente d’abord sous les traits d’un allié militaire et d’un juge suprême, avant de devenir le Dieu amour appelant tous les hommes à être sauvés. Dieu dit toujours la même chose, mais dans un langage différent. De ces deux affirmations bibliques, laquelle est la plus divine ?
Il frappa des nations nombreuses, et tua des rois puissants. (Ps 135,10).
Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. (Mt 5,39).
La seconde diront les chrétiens convaincus ! Quelques siècles les séparent et toutes les deux viennent de Dieu incarné au cœur d’une culture. Est-il pour autant toujours compréhensible, c’est-à-dire accessible à l’intelligence des hommes de toutes les cultures et toutes les époques ? Citons cet extrait de l’épître aux Hébreux sans fournir la moindre explication :
Car si le sang des taureaux et des boucs, et la cendre d’une vache, répandue sur ceux qui sont souillés, sanctifient et procurent la pureté de la chair, combien plus le sang de Christ, qui, par un esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il votre conscience des œuvres mortes, afin que vous serviez le Dieu vivant ! (He 9,13-14).
Reconnaissons que de tels propos restent totalement hermétiques pour le néophyte. Ces versets bibliques demeurent inaudibles sans un minimum d’initiation voire une bonne formation biblique. Ils montrent que le langage divin est parfois déroutant pour le chrétien d’aujourd’hui.
Pour comprendre ou plus exactement pour accueillir Dieu, nous devons faire le deuil d’un langage absolu et immuable qui ne souffrirait d’aucune actualisation. Si Dieu est l’absolu, sa parole s’exprime dans une symphonie de valeurs qui respecte les différences de chacun :
Un certain nombre de chrétiens ont tendance à croire que, Dieu étant l’Être absolu, chacune de ses paroles a une valeur absolue, indépendante de tous les conditionnements du langage humain… Le Dieu de la Bible n’est pas un Être absolu qui, écrasant tout ce qu’il touche, supprimerait toutes les différences et toutes les nuances… Loin d’anéantir les différences, Dieu les respecte et les valorise. Lorsqu’il s’exprime dans un langage humain, il ne donne pas à chaque expression une valeur uniforme, mais il en utilise les nuances possibles avec une souplesse extrême et il en accepte également les limitations. Jean-Paul II.
Dieu nous tutoie
Dieu nous parle en s’adressant à chacun de nous personnellement. La radicale nouveauté de la révélation biblique par rapport à d’autres religions réside dans ce projet d’alliance à travers laquelle Dieu dit « tu » à l’homme. Que nous devenions un partenaire familier de Dieu est une initiative inouïe !
Le Dieu tout-puissant, créateur de l’univers, capable de terrasser les armées égyptiennes, maître de la vie et de la mort, instaure un dialogue en toute humilité.
Mais s’adresser à quelqu’un, c’est prendre le risque du dialogue, car c’est offrir au partenaire la possibilité de répondre. Lorsque Dieu dit "tu" à l’homme, il limite sa toute-puissance, en donnant la parole à une autre que lui-même.
Mais l’Éternel Dieu appela l’homme, et lui dit : où es-tu ? Il répondit : j’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché. (Gn 2,9-10).
Ce premier dialogue biblique témoigne d’une proximité de Dieu et aussi de son initiative à notre égard. Dans toute la bible, Dieu poursuit ce dialogue afin que l’homme grandisse. Inlassablement, il vient à notre rencontre en nous disant « tu » et c’est à travers ce « tu » que nous apprenons à dire « je » comme partenaire dans une relation unique.
Dans le tutoiement, une parole singulière dépasse toutes les autres : « je t’aime ». Dieu nous aime et il n’hésite pas à exprimer son attachement sans mesure en des termes propres à l’amour conjugal. Ainsi le prophète Osée parle de fiançailles à propos de l’engagement de Dieu auprès de son peuple :
Je serai ton fiancé pour toujours ; je serai ton fiancé par la justice, la droiture, la grâce et la miséricorde ; je serai ton fiancé par la fidélité, et tu reconnaîtras l’Éternel. (Os 2,19-20).
Mais s’adresser à quelqu’un sous la forme d’un « je t’aime » ou tout simplement à travers un tutoiement, c’est prendre le risque du dialogue. La parole de Dieu court le risque de ne pas être entendue, de ne pas être écoutée, d’être jugée, d’être rejetée et finalement d’être condamnée. Lorsque Dieu dit « tu » à l’homme, il limite sa toute-puissance, en donnant la parole à une autre que lui-même. La bible est en ce sens une parole risquée, car Dieu ne sait pas d’avance comment l’humanité accueillera sa parole :
Son histoire est celle d’un dialogue incessant et passionné, celle d’une alliance en somme que YHWH certes dirige, mais dans laquelle il se laisse aussi interroger, prier, contester et même accuser (Jean L’HOUR).
La parabole du semeur illustre cette idée de parole risquée (Mc 4,3-8). Dieu sème sa parole sur toutes les terres, mais la semence ne germe et ne se développe que sur une terre favorable. Les grains tombent parfois sur le bord du chemin où les oiseaux les mangent, ou au milieu des ronces ou encore sur un sol pierreux ; heureusement :
Une autre partie tomba dans la bonne terre : elle donna du fruit qui montait et croissait, et elle rapporta trente, soixante, et cent pour un. (Mc 4,8).
Retenons de cette parabole que la parole de Dieu tout comme la nôtre se heurte à des échecs et des refus. Parler, c’est associer l’autre à sa vie ; c’est partager ses desseins dans le respect de la liberté d’autrui ; c’est renoncer à être tout-puissant.
La Bible est, en quelque sorte, un livre « orienté », qui raconte l’histoire de l’humanité avec le présupposé de la foi. Elle raconte l’histoire des hommes qui ont fait l’expérience d’une relation avec le divin à des époques différentes, déterminés par leur contexte historique et social. Dans le premier comme dans le second testament, il nous est présenté un Dieu dont la notion évolue au gré de l’histoire des hommes. C’est ce qui en fait la richesse de la foi des hommes. Ces témoignages constituent un trésor d’espérance pour nous aujourd’hui comme cela le fut pour chaque génération qui nous a précédés, mais également pour chaque génération qui viendra dans le futur, quel que soit ce futur. Agnès Adeline-Schaeffer, Commentaire sur le buisson ardent, la vocation de Moïse (voir lien dans la bibliothèque).
Dieu nous appelle
Voir la page consacrée au sujet
La Bible, parole de Dieu et parole humaine
La bible se définit comme « parole de Dieu ». Que faut-il comprendre à travers cette définition ? Elle nous enseigne que les mots, les phrases, les récits, les chants, les histoires, etc. sont à la fois humains et divins.
Parole de Dieu ?
Dans chaque page de la Bible, on peut lire : « Dieu dit », « oracle du Seigneur », « Parole du Seigneur » ! Et le fait de « parler » est même une des caractéristiques du Dieu biblique par rapport aux autres idoles païennes dont il et dit avec ironie qu'elles sont muettes : « Elles ont une bouche et ne parlent pas ! » (Psaume 115,5 ; Ba 6.7).
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"Parole de Dieu" ? Nous sommes tellement habitués à cette expression que nous ne percevons plus ce qu'elle peut avoir d'insolite ! Or, elle soulève bien des questions. Et l'homme d'aujourd'hui a plutôt l'impression que Dieu n'est pas très bavard ! Mais qu'est ce que les auteurs inspirés veulent dire, eux, qui ont pourtant un sens très aigu de la transcendance de Dieu, sachant que Dieu n'a pas de bouche comme un être humain ? qu'est ce qu'ils veulent dire quand ils utilisent ces expressions « Dieu dit à Abraham ! », « Dieu parla à Moïse ! », comme si Dieu conversait familièrement avec l'homme ?
Le mot « parole » a-t-il vraiment le même contenu pour un sémite et pour un occidental ? Prétendent-ils qu'Abraham, Moïse ou Élie ont entendu le « son de sa voix », au cœur du Buisson Ardent, sur la montagne, dans l'orage ou la brise légère ! Les hommes qui ont écrit la Bible ont-ils écrit sous la dictée de Dieu, à l'instar de Mohammed dictant le Coran ?
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Alors comment Dieu parle-t-il à l'homme ? Comment communique-t-il avec lui ? Comment la transcendance divine, l'Infini peut-il rencontrer la finitude de l'homme ? En quel langage parle-t-il ? Les hommes n"ont-ils pas tendance à « faire parler » leurs dieux en leur prêtant leur propre discours ? Ne faisons-nous pas les questions et les réponses ? Que n'a-t-on pas fait « dire » à Dieu depuis des millénaires, y compris d'encourager les hommes à faire la guerre et à exterminer ses ennemis, pour sa plus grande gloire ! Michel Hubaut, franciscain, auteur de "Un Dieu qui parle" (éd. du Cerf, 2010), La Croix, le 04/03/2015.
La dimension humaine
Éliminons tout d’abord une fausse piste : l’écriture n’est pas d’ordre mécanique.
N’oublions pas qu’au départ, il s’agit toujours d’une tradition orale. Dieu n’a pas dicté la bible. Il s’agit là d’une différence avec le Coran qui, selon l’Islam, a été dicté à Mahomet par l’ange Gabriel. Par ailleurs, les auteurs bibliques, bien plus que des instruments, sont les médiateurs de la parole.
Le qualificatif de « médiateur » souligne le rôle actif de ceux que Dieu a choisis pour transmettre son message.
La dimension humaine de la parole de Dieu se retrouve dans le langage, la personnalité de l’auteur, les destinataires et le contexte culturel, social et économique.
- Le langage : Les mots ont une signification qui évolue dans le temps et parfois différente de celle d’aujourd’hui.
Par ex. le mot « connaître » signifiait avoir une relation intime, voire sexuelle.
- L’auteur : La bible est prononcée et écrite par des hommes et des femmes impliqués dans leur vie familiale, sociale, religieuse et politique.
- Les destinataires : La parole est adaptée à l’auditoire. Par ex. Matthieu s’adresse à des juifs et fait donc souvent référence à l’Ancien Testament.
- Le contexte : Importance de la collectivité, du polythéisme, de la situation historique comme l'exode, l’exil, la résurrection de Jésus …
La parole de Dieu est toujours pleinement incarnée.
La dimension divine
La dimension divine de la parole de Dieu se manifeste dans l’inspiration et la révélation.
L'inspiration peut se définir comme la manifestation et l'impulsion de l'Esprit qui s'empare d'un homme pour le faire agir, parler, écrire.
L'inspiration est cette force qui permet à un homme de recevoir et de transmettre le message révélé. Dieu parle au cœur ou à la conscience de l’homme. Nulle capacité extraordinaire n’est requise d’avance.
L’inspiration suppose une disponibilité intérieure à l’écoute, une faculté de discernement et de jugement,
ainsi qu’une libre volonté de suivre l’appel de Dieu.
La révélation concerne d’abord Dieu : Dieu Père, Dieu amour, le Fils, l’Esprit. Elle touche aussi notre identité : homme et femme, à l’image de Dieu ; ainsi que notre vocation (question du sens) : nous sommes appelés à construire un monde fraternel de paix, de joie et d'amour ; appelés à la vie éternelle.
Dieu veut nous dire qui il est, qui nous sommes et à quoi nous sommes appelés.
C’est parce que nous ne savons plus expliquer l’inspiration divine du livre saint des juifs et des chrétiens qu’il est peu à peu renvoyé au rang des mythologies anciennes. L’inspiration divine de la Bible est mise en doute quand elle n’est pas simplement ignorée. Au-delà de la modalité d’inspiration, c’est plus encore la question du contenu biblique qui fait question. Oui ou non, la Bible peut-elle être une ressource crédible pour comprendre l’origine du monde, le mal et la mort, et enfin l’issue de l’existence, sa signification ultime ? Au fond, oui ou non, la Bible peut-elle nous enseigner sans erreur et de façon définitive ce qu’est la nature humaine ? Tel est bien son objet de fond.
Les anthropologues s’évertuent à comprendre ce qu’est l’humanité à travers l’étude des formes d’organisations sociales, les scientifiques scrutent la vie neuronale et les confins de l’univers, mais personne ne parvient à énoncer la vérité définitive sur la nature humaine. Chacun étant lui-même une part de l’immense organisme vivant qui le dépasse, il est impossible que l’homme détermine par lui-même la vérité dernière sur ce dont il n’est pas lui-même à l’origine. En toute logique, il ne peut que la recevoir ! Or, c’est précisément cette réception, et la possibilité même d’une inspiration divine qui est aujourd’hui la grande et grave question spirituelle de notre temps. Laurent Stalla-Bourdillon, La Croix, le 19/06/2022.