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Origine du concept de toute-puissance

Dieu créateur

Deux récits

Afin d’éviter tout malentendu, rappelons que les deux récits de la création, l’un de tradition sacerdotale (Gn 1-2,4), écrit aux alentours de l’exil (VIe siècle av. J.-C.) et l’autre de tradition yahviste (Gn 2,5-3,24), sans doute composé durant la royauté (IXe siècle av. J.-C.), ne se lisent pas comme des reportages chronologiques, ni comme des récits historiques et encore moins comme des explications scientifiques sur les origines de l’univers. Ils constituent une révélation sur Dieu, sur l’humanité et sur le projet de Dieu pour l’homme et la femme. Le comment des origines de l’humanité revient aux scientifiques ; le pourquoi aux théologiens. Mais les discours scientifiques et théologiques ne sont pas hermétiques. La théologie doit notamment tenir compte des données de la science. Elle ne peut ignorer que l’univers est vieux d’environ 15 milliards d’années, en l’état actuel des connaissances, ou que la vie apparaît progressivement selon une évolution qui garde une part de mystère. À chacun son registre sans confusion, ni séparation.

Pour parler de l’origine, la plupart des civilisations ont recours aux récits mythologiques dans lesquels les dieux sont à la genèse du monde et de l’homme en particulier. De nombreux mythes rapportent la naissance de l’univers à partir d’un élément originel. Il arrive que le dieu lui-même soit engendré par un abîme identifié à une étendue d’eau ou à une nuit opaque. Chez les Babyloniens, les dieux sortent du sein d’Apsou, le flot primordial, et de Tiamât, la mer fécondante. Dans la mythologie de l’Égypte antique, nous retrouvons la présence de cette eau primitive (Noun), au-dessus de laquelle règne le dieu Atoum. L’homme est le plus souvent modelé avec de l’argile : en Babylonie par Enlil, en Égypte par Khnoum sur un tour de potier.

La Genèse emprunte certains concepts à ces mythes. L’auteur sacerdotal envisage la création à partir d’un abîme aquatique, d’un tohu-bohu primordial. Il y règne une atmosphère ténébreuse et la présence de Dieu s’y manifeste discrètement, à travers un souffle, celui qui est à l’origine de toute vie :

La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. (Gn 1,1-2).

Mais la Genèse se différencie des mythes sur plusieurs plans. Dieu n’est pas dans le chaos primordial. Il se distingue d’emblée de la création. Les éléments de la nature ne sont pas déifiés ; le soleil est un luminaire accroché à la voûte céleste et non un dieu comme chez les Égyptiens (Ra). Une seule divinité se manifeste contrairement aux autres religions environnantes. De plus, dans le récit yahviste, Dieu est très proche et agit de manière humaine en se promenant dans le jardin d’Éden. Enfin la Genèse s’inscrit dans l’histoire de l’alliance de Dieu avec l’humanité, une alliance dans laquelle Dieu veut parler à l’homme et lui proposer un projet. Or dans ce projet, la création est inséparable de la fin des temps ; l’alpha et l’oméga se rejoignent dans un même sens qui échappe en partie à l’humanité, mais que Dieu révèle progressivement.

Comment parler de cette mystérieuse origine qui échappe à toute observation ? Personne n’est présent en cet instant où la lumière envahit l’espace. Les télescopes les plus performants n’ont pas encore dévoilé les secrets de ce commencement absolu. Le mystère demeure entier sur le « comment » de l’origine. La raison achoppe sur cet instant zéro de l’univers. Les équations les plus complexes approchent cet instant absolu, mais ne l’atteindront jamais, car il est hors science. Le commencement absolu est hors histoire et pourtant il inaugure l’histoire. Ne sommes-nous pas pris de vertige en tentant de l’imaginer ? Qu’y avait-il avant se demandent certains ? La question est insensée, car l’avant n’existe pas. Dieu crée concomitamment l’espace et le temps. Le passé et donc l’avant n’existent que postérieurement à l’instant zéro.

Qui ne s’est pas demandé d’où venait l’univers en regardant un ciel étoilé ? Nous nous posons tous cette question existentielle à la suite de Leibniz : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? La vision vertigineuse de l’espace dans toute sa démesure s’offre au regard comme un catéchisme en image. Les étoiles scintillent comme des clins Dieu que le maître d’œuvre nous envoie pour attirer notre attention. Dieu nous interpelle dans de simples phénomènes naturels comme la neige et la pluie (Jb 37,5-7). Nous ne pouvons que nous extasier devant la « fabrication » d’un nouveau-né et reconnaître avec le psalmiste que nous sommes des merveilles (Ps 139,14), même si parfois nous avons quelques bonnes raisons d’en douter. À travers toutes ses œuvres, Dieu nous invite à reconnaître l’artisan (Sg 13,1-9).

À partir de quoi Dieu crée-t-il cet univers aussi grandiose ? Dieu dispose de cette faculté de nous surprendre jusque dans l’inimaginable ; il ne dispose d’aucune matière préexistante et l’univers apparaît bel et bien. Dieu crée le ciel et la terre à partir de rien (2M 7,28). À lui seul revient le pouvoir de créer. Dans la bible, le verbe hébreu bara, qui signifie « créer », n’a d’ailleurs jamais d’autre sujet que Dieu. Soulignons aussi que créer signifie faire du différent, sinon il ne s’agit que d’une copie. Ainsi, l’univers n’est pas une copie de Dieu, mais une identité radicalement différente. Elle émane de Dieu, mais n’est pas Dieu.

La toute-puissance de Dieu fait être. L’homme n’est pas un créateur au sens strict du terme. Il invente certes des nouveautés, mais toujours à partir de la matière existante. Comme le dit Lavoisier au XVIIIe siècle : « Rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme. » Même dans la procréation, l’homme et la femme ne sont que les héritiers d’un processus qui les précède.

Dieu connait tout

La bible dresse le portrait d’un Dieu dont le savoir dépasse infiniment celui de l’homme. Il sait tout, il connaît tout. Cette omniscience pose de multiples questions. À quoi bon la prière puisque Dieu la connaît par avance ? Dieu s’immisce-t-il dans notre conscience au point de scruter la moindre parcelle de notre intimité ? Connaît-il notre destinée ? Si Dieu entrevoit les événements à venir, cela ne suppose-t-il pas que notre destin est fixé par avance dans des décrets immuables ? Le psaume 139 est à cet égard une louange à la connaissance de Dieu qui se déploie de l’embryon jusque dans la vie quotidienne :

Éternel ! tu me sondes et tu me connais, tu sais quand je m’assieds et quand je me lève, tu pénètres de loin ma pensée ; tu sais quand je marche et quand je me couche, et tu pénètres toutes mes voies. Car la parole n’est pas sur ma langue, que déjà, ô Éternel ! Tu la connais entièrement… C’est toi qui as formé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère… Mon corps n’était point caché devant toi, lorsque j’ai été fait dans un lieu secret, tissé dans les profondeurs de la terre. Quand je n’étais qu’une masse informe, tes yeux me voyaient ; et sur ton livre étaient tous inscrits les jours qui m’étaient destinés, avant qu’aucun d’eux existât. (Ps 139,1-16).

Dieu nous connaît apparemment avec beaucoup d’intimité. Distinguons le savoir de la connaissance. Le premier relève du domaine de l’intelligence alors que la seconde est de l’ordre de la relation intime. L’un est livresque alors que l’autre jaillit d’une rencontre. Nous avons besoin d’acquérir un savoir pour avancer dans la vie ; savoir compter, lire et écrire, pour ne citer que les rudiments de l’apprentissage scolaire. Mais le savoir de Dieu n’est pas comparable à celui d’un ordinateur qui accumulerait des données impersonnelles. Il est de l’ordre de la connaissance au sens biblique du terme.

L’étymologie « con-naître » évoque une complicité très intime, car « naître avec » quelqu’un dans une histoire, une alliance ou tout autre événement de la vie implique un partage profond des élans, des expériences et des sentiments. La bible prolonge ce sens vers un degré plus intime encore. Le mot hébreu yada, utilisé pour exprimer la connaissance, signifie littéralement « entrer dans l’intimité de », puisqu’il désigne la relation sexuelle :

Adam connut Ève, sa femme ; elle conçut, et enfanta Caïn. (Gn 4,1).

Dieu connaît l’homme de la même façon. Dieu lit notre existence comme un livre grand ouvert ; il sait même lire entre les lignes, au plus profond de notre être. Il est un père, ou une mère, qui connaît ses enfants par le cœur (Jr 12,3 ; 2Ch 6,30). Nous pouvons dire avec le personnage du renard dans « Le Petit Prince » :

Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

L'histoire n'est aucunement écrite à l'avance. Nous écrivons notre histoire à partir de notre héritage et de nos décisions. Notre destin n’est aucunement écrit dans un livre ou dans les astres. Suite aux apparitions à Fatima, le troisième secret fait couler beaucoup d’encre sur les visions apocalyptiques qu’il renferme. Le cardinal Ratzinger rappelle à ce sujet :

Est soulignée l’importance de la liberté de l’homme : l’avenir n’est absolument pas déterminé de manière immuable, et l’image que les enfants ont vue n’est nullement un film d’anticipation de l’avenir, auquel rien ne pourrait être changé. Toute cette vision se produit en réalité seulement pour faire apparaître la liberté et pour l’orienter dans une direction positive. Le sens de la vision n’est donc pas de montrer un film sur l’avenir irrémédiablement figé. Son sens est exactement opposé, à savoir mobiliser les forces pour tout changer en bien.

Passé, présent et avenir relèvent de notre humanité. N’enfermons pas Dieu dans cette temporalité. Dieu est hors du temps. Sa vision de la création n’est pas la nôtre. Ses pensées ne sont pas nos pensées et ses voies ne sont pas nos voies (Is 55,8-9). Son projet dépasse notre entendement. Il tient tout dans ses mains au sens du mot pantocrator. S’il connaît le terme de l’histoire, il nous laisse la liberté d’avancer à notre rythme avec tous les errements dus à notre humanité.

Qui a créé Dieu

La doctrine chrétienne nous apprend que Dieu est éternel et qu’il n’a donc pas de commencement. En se demandant « qui a créé Dieu, on suggère un commencement pour Dieu. Or Dieu n’a pas de commencement. Il est hors du temps et pourtant il s’invite dans notre temps, notamment à travers son incarnation. Ne faut-il pas être hors du temps pour créer le temps ? Toute création suppose une séparation entre le créateur et la chose créée. Nous reviendrons sur cette nécessaire séparation dans le projet originel. Les Psaumes nous parlent clairement de la nature éternelle de Dieu :

Avant que les montagnes soient nées, et que tu aies donné le jour à la terre et au monde, depuis toujours et pour toujours tu es Dieu. (Ps 90,2)

Les récits de la Genèse ne nous enseignent pas d'où vient Dieu, mais plutôt, pourquoi il y eut la création du monde et ce qu'elle est. La création est ainsi organisée qu'elle donne la vie.

Le Dieu des armées

L'exode, passage de la mort à la vie


Quelle crédibilité accorder à ce texte (Ex 14,20-28) où Dieu intervient de main forte et à bras étendus en ouvrant les eaux de la Mer Rouge pour exterminer la cavalerie égyptienne ? L’exégèse nous apprend que la bible décrit plusieurs exodes en des temps et des lieux contradictoires. La volonté des auteurs est de donner un relief particulier à cet événement et au personnage de Moïse, afin de valoriser sa légitimité au sein d’un peuple en quête de cohésion. Le récit ci-dessus restitue deux versions de cet épisode. La plus ancienne, de tradition yahviste, fait intervenir Dieu à travers un phénomène naturel, un vent d’orient. La seconde, plus récente, de tradition sacerdotale, fait intervenir Moïse en tant que main forte de Dieu. Celle-ci cherche à montrer la toute-puissance du Dieu d’Israël par rapport aux dieux égyptiens. Elle répète, déforme et amplifie un épiphénomène pour en faire un péplum, avec un Moïse ouvrant les eaux en deux murailles qui finissent par engloutir tous les chars du malheureux Pharaon.

A la conquête de la terre promise

C’est lui qui fait sortir les Hébreux d’Égypte et conduit son peuple de victoire en victoire. Il mène la guerre comme en témoigne une mention d’un « Livre des Guerres de l’Éternel » dans le livre des Nombres (Nb 21,14). Il prend le nom de Yahvé sabaoth, le chef des armées, roi de gloire1. À travers ses hauts faits, il manifeste une puissance supérieure aux divinités égyptiennes et cananéennes. Le champ de bataille s’étend de la terre aux cieux. Le peuple hébreu n’a plus rien à craindre devant les autres nations (Dt 20,1).

Le but des auteurs bibliques est de montrer la puissance et la fidélité de Dieu à ses engagements. Dieu respecte son alliance et il agit comme tout allié militaire. Ainsi Dieu combat lui-même comme une toute-puissance invulnérable. Il livre les ennemis (1R 20,13) ; il frappe 185 000 Assyriens lors d’une bataille (2R 19,35) ; il donne une force surnaturelle à Samson pour vaincre l’ennemi dans des proportions qui dépassent toute logique militaire :

Il trouva une mâchoire d’âne fraîche, il étendit sa main pour la prendre, et il en tua mille hommes. (Jg 15,15).

Une guerre sacrale

La "guerre sacrale" n'est pas la guerre "sainte". Il s'agit d'une guerre que le Seigneur mène pour son peuple, à la différence de la guerre sainte où les hommes combattent pour Dieu. C'est Dieu qui combat directement l'ennemi et le peuple n'a qu'à observer le déroulement des opérations dans un climat de prière et d'action de grâce. Dieu renverse tout sur son passage. La ville de Jéricho est prise au son des trompettes et des clameurs (Jos 6). Dieu met ses adversaires en déroute ; il les poursuit pour les exterminer ; il envoie des grêlons pour les tuer ; il interrompt même la course du soleil et de la lune pour manifester sa suprématie sur les forces naturelles (Jos 10,10-13).

Jos 10,10. Yahvé les mit en déroute, en présence d'Israël, et leur infligea à Gabaôn une rude défaite; il les poursuivit même sur le chemin de la montée de Bet-Horôn et les battit jusqu'à Azéqa et jusqu'à Maqqéda. 11. Or, tandis qu'ils fuyaient devant Israël à la descente de Bet-Horôn, Yahvé lança du ciel sur eux, jusqu'à Azéqa, d'énormes grêlons, et ils moururent. Il en mourut plus sous les grêlons que sous le tranchant de l'épée des Israélites. 12. C'est alors que Josué s'adressa à Yahvé, en ce jour où Yahvé livra les Amorites aux Israélites. Josué dit en présence d'Israël : « Soleil, arrête-toi sur Gabaôn, et toi, lune, sur la vallée d'Ayyalôn! » 13. Et le soleil s'arrêta, et la lune se tint immobile jusqu'à ce que le peuple se fût vengé de ses ennemis. Cela n'est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le soleil se tint immobile au milieu du ciel et près d'un jour entier retarda son coucher. 14. Il n'y a pas eu de journée pareille, ni avant ni depuis, où Yahvé ait obéi à la voix d'un homme. C'est que Yahvé combattait pour Israël.

Il y a aussi ce célèbre épisode de David contre Goliath :

1S 17,43 Goliath le Philistin dit à David : « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ? » Et le Philistin maudit David par ses dieux.44 Le Philistin dit à David : « Viens ici, que je donne ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs. » 45 David dit au Philistin : « Toi, tu viens à moi armé d’une épée, d’une lance et d’un javelot ; moi, je viens à toi armé du nom du SEIGNEUR de l’univers, le Dieu des lignes d’Israël, que tu as défié. 46 Aujourd’hui même, le SEIGNEUR te remettra entre mes mains : je te frapperai et je te décapiterai. Aujourd’hui même, je donnerai les cadavres de l’armée philistine aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et toute la terre saura qu’il y a un Dieu pour Israël. 47 Et toute cette assemblée le saura : ce n’est ni par l’épée, ni par la lance que le SEIGNEUR donne la victoire, mais le SEIGNEUR est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains. »

Dans cette perspective, aucune alliance avec d’autres nations toujours porteuses de fausses divinités n'est envisageable. Isaïe dénonce l’appel au secours lancé à l’Égypte face à la menace assyrienne :

Is 31,1 Malheur à ceux qui descendent en Égypte pour y chercher du secours. Ils comptent sur les chevaux, ils mettent leur confiance dans les chars, car ils sont nombreux, et dans les cavaliers, car ils sont très forts. Ils ne se sont pas tournés vers le Saint d'Israël, ils n'ont pas consulté Yahvé.

Dieu juge

En tant que souverain chef des armées, Dieu est aussi le juge suprême :

Car l’Éternel est notre juge, l’Éternel est notre législateur, L’Éternel est notre roi : c’est lui qui nous sauve. Is 33,22.

Cette autorité suprême, Dieu la revendique jusque dans le panthéon divin. Dieu s’en prend aux autres divinités et leur reproche leur fausse justice.

Dieu s’est dressé dans l’assemblée divine,
au milieu des dieux, il juge :
Jusqu’à quand jugerez-vous de travers
en favorisant les coupables ?
Soyez des juges pour le faible et l’orphelin,
rendez justice au malheureux et à l’indigent ;
4libérez le faible et le pauvre,
délivrez-les de la main des coupables.
Mais ils ne savent pas, ils ne comprennent pas,
ils se meuvent dans les ténèbres,
et toutes les assises de la terre sont ébranlées.
Je le déclare, vous êtes des dieux,
vous êtes tous des fils du Très-Haut,
7pourtant vous mourrez comme les hommes,
vous tomberez tout comme les princes.
Lève-toi, Dieu ! Sois le juge de la terre,
car c’est toi qui as toutes les nations pour patrimoine. Ps 82,1-8.

Il est l’unique arbitre des peuples et le juge de la personne individuelle. S’il est lent à la colère, la menace de son verdict plane constamment au-dessus de l’homme (Ps 7,9). Nous serons tous jugés, les petits avec plus de délicatesse et les puissants de ce monde avec plus de rigueur (Sg 6,5-7). Inutile de chercher à le corrompre et à acheter sa miséricorde avec des présents (Dt 10,17).

Certains passages bibliques nous présentent Dieu comme un juge qui inspecterait nos bonnes et mauvaises actions :

Les yeux de l’Éternel sont en tout lieu, observant les méchants et les bons. (Pr 15,3).
Car Dieu voit la conduite de tous, il a les regards sur les pas de chacun. Il n’y a ni ténèbres ni ombre de la mort où puissent se cacher ceux qui commettent l’iniquité. Dieu n’a pas besoin d’observer longtemps, pour qu’un homme entre en jugement avec lui. (Jb 34,21-23).

Faut-il craindre le regard de Dieu et se cacher à la première faute comme Adam et Ève dans le récit de la Genèse (Gn 3,8) ? Pas vus, pas pris doivent-ils penser. Victor Hugo décrit l’œil intrusif de Dieu dans le poème « La conscience » : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » Cet œil nous scrute jusque dans nos consciences et notre intimité. Il porte sur nous un jugement inquisiteur. Jean-Paul Sartre ressent ce regard de Dieu qui cherche à le prendre en faute :

Dieu me vit, je sentis Son regard à l’intérieur de ma tête et sur mes mains ; je tournoyai dans la salle de bains, horriblement visible, une cible vivante.

Mais n’allons pas prêter à Dieu des sens humains. Dieu ne voit pas à la manière d’un homme (1S 16,7). Dieu n’a pas d’yeux. L’anthropomorphisme enferme Dieu dans une image déformante qui nous pousse à nous voiler plutôt qu’à nous laisser accompagner par une présence.

Dieu unique dieu

Le mot « monothéisme » désigne un système de pensée reconnaissant la qualité divine à un seul dieu, à l’exclusion de tout autre. Cette notion divine absolue distingue le monothéisme de l’hénothéisme qui consiste, pour un groupe humain, à ne reconnaître l’autorité que d’un dieu parmi d’autres, ou de la monolâtrie, qui caractérise le fait de ne rendre culte qu’à un dieu parmi d’autres. D’après la présentation classique du monothéisme biblique, le dieu de la Bible, après avoir été considéré comme un dieu parmi d’autres, serait devenu le dieu exclusif d’un groupe humain (hénothéisme), puis le dieu unique (monothéisme). Ce sont les textes prophétiques tels que les livres de Jérémie et d’Isaïe (chap. 40 – 66), donc au moment de l’exil, qui sont le plus fréquemment cités à l’appui de la thèse du monothéisme biblique le plus ancien (Arnaud Sérandour).

Is 43,11 C’est moi, c’est moi qui suis le SEIGNEUR, en dehors de moi, pas de Sauveur.
Is 44,6 Ainsi parle le SEIGNEUR, le Roi d’Israël, celui qui le rachète, le SEIGNEUR de l’univers : C’est moi le premier, c’est moi le dernier, en dehors de moi, pas de dieu. 7 Qui est comme moi ? Qu’il prenne la parole, qu’il annonce ce qu’il en est et me le développe,depuis que j’ai établi le peuple du passé, qu’il dise les choses qui arriveront, et celles qui viendront, qu’on nous les annonce !
Is 45,5 C’est moi qui suis le SEIGNEUR, il n’y en a pas d’autre, moi excepté, nul n’est dieu !
Is 45,18 Cependant ainsi parle le SEIGNEUR, le créateur des cieux, lui, le Dieu qui a formé et fait la terre, qui l’a rendue ferme, qui ne l’a pas créée vide, mais formée pour qu’on y habite.C’est moi le SEIGNEUR, il n’y en a pas d’autre.

Mais c’est dans le deutéronome (650) que nous trouvons l’affirmation la plus nette.

Dt 6,4 Écoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé.(650 av. J.-C.)

Les prophêtes combattent les fausses divinités, parfois avec humour :

1R 18,21 Elie s’approcha de tout le peuple et dit : « Jusqu’à quand danserez-vous d’un pied sur l’autre ? Si c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, suivez-le, et si c’est le Baal, suivez-le ! » Mais le peuple ne lui répondit pas un mot. 22 Elie dit au peuple : « Je suis resté le seul prophète du SEIGNEUR, tandis que les prophètes du Baal sont quatre cent cinquante. 23 Qu’on nous donne deux taureaux : qu’ils choisissent pour eux un taureau, qu’ils le dépècent et le placent sur le bûcher, mais sans y mettre le feu, et moi, je ferai de même avec l’autre taureau ; je le placerai sur le bûcher, mais je n’y mettrai pas le feu. 24 Puis vous invoquerez le nom de votre dieu, tandis que moi, j’invoquerai le nom du SEIGNEUR. Le Dieu qui répondra par le feu, c’est lui qui est Dieu. » Tout le peuple répondit : « Cette parole est bonne. » 25 Elie dit aux prophètes du Baal : « Choisissez-vous un taureau et mettez-vous à l’ouvrage les premiers, car vous êtes les plus nombreux ; invoquez le nom de votre dieu, mais ne mettez pas le feu. » 26 Ils prirent le taureau qu’il leur avait donné, se mirent à l’ouvrage et invoquèrent le nom du Baal, depuis le matin jusqu’à midi, en disant : « Baal, réponds-nous ! » Mais il n’y eut ni voix ni réponse. Et ils dansèrent auprès de l’autel qu’on avait fait. 27Alors à midi, Elie se moqua d’eux et dit : « Criez plus fort, c’est un dieu : il a des préoccupations, il a dû s’absenter, il a du chemin à faire ; peut-être qu’il dort et il faut qu’il se réveille. » 28 Ils crièrent plus fort et, selon leur coutume se tailladèrent à coups d’épées et de lances, jusqu’à être tout ruisselants de sang. 29 Et quand midi fut passé, ils vaticinèrent jusqu’à l’heure de l’offrande. Mais il n’y eut ni voix, ni réponse, ni aucune réaction.

La théologie de la rétribution

Lien vers le livre de Job

Pour Dieu rien n'est impossible

En tant que créateur, Dieu est à l’origine de la vie humaine. Il intervient pour pallier les défaillances humaines. Sara femme d’Abraham, Rachel femme de Jacob, la mère de Samson, Anne mère de Samuel, Élisabeth cousine de Marie, autant de femmes qui vivent la toute-puissance de Dieu dans leur chair intime.

Car rien n’est impossible à Dieu. (Lc 1,37).

Avoir des enfants est une préoccupation majeure pour le peuple d’Israël. La survie de la famille et plus largement du clan en dépend. La fécondité est un signe de bénédiction (bene-dicere), c’est-à-dire d’une « bonne parole » de Dieu ; la stérilité est une malédiction.

À côté de ces procréations naturelles, la bible nous propose un cas unique qui défie les lois des gamètes. Marie tombe enceinte à travers l’action de la toute-puissance de Dieu, sans intervention masculine. Pour réaliser son projet, Dieu se choisit une femme de Galilée, Marie. Ce choix résulte de la libre initiative de Dieu, de son libre arbitre. Marie répond « oui » dans la confiance et l’humilité, sans savoir tout ce que l’avenir lui réserve. Elle ne dit pas « oui » pour elle-même, pour sa propre gloire, mais pour devenir « la servante du Seigneur » selon ses propres termes (Lc 1,38). La grâce divine fait le reste.

Le moyen choisi par Dieu pour rendre Marie enceinte déroge aux lois de la fécondation. Même si Marie ignore tout sur les gamètes, elle sait qu’un homme doit déposer sa semence dans son corps, d’où sa question sur la possibilité de devenir mère sans avoir de relations sexuelles :

Marie dit à l’ange : comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? (Lc 1,34).

La réponse de Dieu demeure bien énigmatique et préserve le mystère du « comment » :

L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. (Lc 1,35).

Tirer une quelconque conclusion biologique à partir de ce verset biblique serait une erreur. Toute interrogation sur le comment déboucherait sur une insatisfaction, voire un rejet du dogme. La science est dans l’incapacité d’interroger la réalité de la conception de Jésus, au même titre que le moment zéro de la création ou encore l’événement de la résurrection. L’accouchement d’un petit garçon est la seule donnée scripturaire vérifiable dont nous disposons.

Croire au mystère de l’incarnation est un acte de foi qui transcende la raison, sans pour autant la renier. Le « croire » est toujours un défi qui nous invite à aller au-delà des faits que notre intelligence appréhende.

Les miracles

Définition

L’incarnation est miraculeuse et notre raison n’aura jamais fini de comprendre ce mystère. Élargissons notre champ d’horizon sur les miracles qui nous fascinent et nous dérangent tout à la fois. Le mot « miracle » vient du latin mirari : s’étonner. Il désigne donc un événement qui provoque la stupéfaction, parce qu’il se soustrait au cours normal des choses. Le site de l’Église catholique de France définit le miracle en ces termes :

Fait extraordinaire et suscitant l’admiration en dehors du cours habituel des choses. Manifestation de la puissance et de l’intervention de Dieu qui apporte une révélation de sa présence et de la liberté dont il use pour accomplir ses desseins. La Bible désigne les miracles en termes de puissance (Ex 9,16), de prodiges (Rom 1,19-20) de guérison (Jn 9,1-41) et de signes (Jn 3,2). Le miracle n’a pas son but en soi, il dirige nos regards plus loin en révélant la présence immédiate de Dieu. Le miracle n’est pas explicable scientifiquement.

Dans le miracle, Dieu bouleverse le cours naturel des choses tel qu’il ressort de nos observations humaines et scientifiques. Mais le dernier point de la définition de l’Église catholique mériterait d’être complété par la phrase « en l’état actuel des connaissances », car ce qui n’est pas explicable aujourd’hui le sera peut-être demain. Dans les traditions anciennes de la bible, la nature est un miracle permanent. La beauté de la création, les mouvements des astres dans le firmament, l’alternance des saisons, la pluie et le soleil, la fertilité du sol, la fécondité des bêtes et des hommes, toutes ces réalités sont perçues comme des prodiges. Les observateurs de cette époque se cantonnent à la recherche d’une cause première et ne s’intéressent pas aux causes secondes. Il suffit d’affirmer que Dieu est à l’origine de toute chose pour assister à un miracle permanent. Au Moyen Âge, une tempête apaisée pendant une procession du Saint-Sacrement est un miracle ; aujourd’hui c’est une coïncidence météorologique. Le rapport à la vérité s’est complexifié et enrichi. Les sciences fournissent désormais des explications rigoureuses qui interdisent de voir l’agir de Dieu en tout phénomène.

Un signe de foi

Mais une explication scientifique n’enlèverait pas au miracle sa dimension de signe . Il est primordial de distinguer le signifiant du signifié si nous ne voulons pas tomber dans le piège d’une approche purement rationaliste. Le signifiant désigne le fait objectif qui est mesurable et observable sur le plan scientifique. Le signifié donne le sens. Dans le cas du miracle, il renvoie à une transcendance que nous nommons Dieu. Le passage de l’un à l’autre relève de la foi et non de la démonstration. Que le miracle soit démontré ne supprime pas la transcendance, mais la purifie de toute velléité d’accaparement.

Au regard des différents récits de miracles dans les évangiles, nous pouvons conclure que la foi est le terreau du miracle. Citons simplement l’aveugle de Jéricho. Jésus entend un homme crier son désarroi au milieu de la foule. Il prend l’initiative du dialogue et demande à l’aveugle :

Que veux-tu que je te fasse ? (Lc 18,41).

La réponse coule de source. L’aveugle demande de recouvrer la vue et il obtient satisfaction. Jésus conclut : Ta foi t’a sauvé. (Lc 18,42).

À deux reprises Jésus se voit dans l’incapacité à réaliser des prodiges à cause de l’incrédulité des personnes.

Et Jésus leur disait : « Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, dans sa parenté et dans sa maison. » Et il ne pouvait faire là aucun miracle, si ce n'est qu'il guérit quelques infirmes en leur imposant les mains. Et il s'étonna de leur manque de foi. Il parcourait les villages à la ronde en enseignant. (Mc 6,4-6).
Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur manque de foi (Mt 13,58).

Le miracle est le signe de la foi de Dieu en l’homme et de l’homme en Dieu. Vouloir à tout prix que le miracle s’accomplisse, revient à construire une tour de Babel pour pénétrer les cieux sans le consentement de Dieu (Gn 11,1-7). Le miracle se reçoit et ne se prend pas ; il s’accueille et ne s’exige pas.

Pourquoi certains ?

Cette analyse des miracles nous amène à une ultime question : Dieu guérit-il toujours aujourd’hui ? Intéressons-nous aux guérisons de Lourdes. Bien que ce haut-lieu de pèlerinage marital n’ait pas le monopole des guérisons, il n’en demeure pas moins significatif dans l’histoire du catholicisme. Sur plus de 7000 dossiers de guérisons déposés à Lourdes depuis la création du Bureau des Constatations Médicales en 1883, 70 cas sont à ce jour reconnus miraculeux par l’Église. À raison de plus de 6 millions de pèlerins par an, durant ces dernières années, reconnaissons que la probabilité de guérison reste très faible. Mais à ces rétablissements visibles s’ajoutent les innombrables guérisons intérieures non comptabilisées.

Il surgit une question dérangeante : « Pourquoi eux et pas les autres ? » Ont-ils eu plus de foi ? Dieu choisit-il délibérément avec le risque d’injustice que véhicule une telle thèse ? Affirmer que la justice de Dieu n’est pas celle des hommes est un argument difficile à accueillir pour une mère qui voit son enfant souffrir. Nous pouvons toujours arguer que les élus reçoivent la mission de témoigner de leur foi. Mais tous les malades n’aimeraient-ils pas bénéficier de cette mission qui au demeurant reste discrète ?

« Pourquoi moi ? » Bernadette Moriau, qui ne cesse de s’interroger avec humilité sur les raisons mystérieuses de ce miracle, nous ouvre le chemin de sa vie, de ses doutes, de sa foi et de son absolue conviction :

Aucune vie, aussi cabossée soit-elle, n’est vouée à l’échec ou à l’absurde. C’est justement dans les plis et les tôles froissées de nos parcours que Dieu peut faire des miracles. Bernadette Moriau.

Le miracle relève de la rencontre du divin et de l’humain dans des circonstances mystérieuses pour lesquelles toute velléité de démonstration rationnelle est dépassée. Comme dans un amour entre deux êtres, le mystère transcende la raison et aucune explication ne viendra jamais l’épuiser. Dans le miracle s’entrecroisent l’humain et le divin, le psychologique et le spirituel, sans qu’il soit possible de démêler l’un de l’autre. Dieu se donne avec le consentement de notre corps. Dieu épouse notre humanité dans toutes ses dimensions jusque dans ses fibres les plus intimes.

Le miracle s’opère toujours dans le secret d’une relation intime entre Dieu et une personne. Or toute rencontre se façonne au cœur d’une merveilleuse alchimie qui se réalise ou qui échoue. Le miracle n’agit pas de manière automatique, sinon il serait de l’ordre de la technique et non de la rencontre. Dieu ne serait dans ce cas que le presse-bouton de nos défaillances. Le miracle suppose une disposition intérieure propice à l’agir dont Dieu garde l’initiative. Une rencontre intime exige don et abandon. Comme dans une relation entre deux êtres qui s’aiment, si la volonté est déterminante, elle ne suffit pas toujours. Elle se heurte parfois aux limites de notre humanité. Serions-nous en capacité d’accueillir Dieu à travers un miracle ? La guérison, oui ! Mais Dieu ?

Dieu plus fort que la mort

La mort, ultime scandale

La mort est l’ultime scandale de la vie, celui qui met fin à notre existence terrestre, celui qui nous arrache les êtres qui nous sont chers, celui qui nous laisse à notre solitude dans le cri déchirant d’une espérance en l’au-delà. Certaines morts sont acceptables, comme celle d’une personne âgée ayant accompli son existence et qui s’éteint paisiblement dans son lit. D’autres sont abominables et révoltantes, comme celle d’une enfant violée et assassinée. Nos erreurs ou nos fautes nous mènent parfois au bord de l’abîme. Celles des autres aussi ! Nous sommes solidaires dans la vie comme dans la mort. Si la vie nous est donnée, la mort peut hélas, aussi être donnée.

Une loi de la nature

Au-delà des causes plus ou moins tragiques ou injustes, la loi de la mort est inscrite dans notre humanité. Elle est nécessaire au renouvellement des générations. Sans elle nous serions environ 40 milliards d’individus en ne comptant que les deux derniers millénaires. Mourir est nécessaire pour que les autres vivent à leur tour. La mort appartient à notre nature humaine, à notre biologie, à notre finitude de créature. Nous sommes faits de poussière et nous retournerons en poussière. Le psalmiste compare l’homme à l’herbe des champs qui passe inexorablement :

L’homme, ses jours sont comme l’herbe, il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu’un vent passe sur elle, elle n’est plus, et le lieu qu’elle occupait ne la reconnaît plus. (Ps 103,15-16)

Qohélet nous rappelle que le sort de l’homme est identique à celui de l’animal :

Car le sort des fils de l’homme et celui de la bête sont pour eux un même sort ; comme meurt l’un, ainsi meurt l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité. Tout va dans un même lieu ; tout a été fait de la poussière, et tout retourne à la poussière. (Qo 3,19-20).

La mort est un fait naturel qui relève de la structure du vivant . Elle est une composante de la vie biologiquement reçue. La vie est un don absolument gratuit. Mais ce don est assorti de la peine de mort. Quel paradoxe ! Nous mourrons parce que nous vivons. Nous recevons un cadeau pour une durée limitée.

La mort signe la fin de notre vie biologique, la fin de notre présence sur terre. Est-elle la fin de tout ? La foi en une toute-puissance ouvre la porte d’une espérance, celle de la résurrection.

La mort dans les religions

Globalement, les religions ont sur la mort un discours commun qui affirme que la mort, si elle est bien le terme de la vie terrestre, n’est pas la fin ultime de la destinée de l’homme. La mort est passage vers un autre état, vers un autre monde, vers un autre mode de vie. Jamais la mort n’est acceptée, elle est toujours scandale, aussi, précisément, le rôle des religions est de donner du sens à l’insensé. Le sens est donné dans le cadre d’une conception globale du monde et de la vie. La mort est ainsi l’un des éléments de l’existence et non pas le terme final absurde. En parlant de mort, les religions parlent avant tout de la vie. La mort est appréhendée, non comme accident personnel mais comme un moment de l’existence. La mort est intégrée à la vie.

Dans les religions orientales, le temps est cyclique avec création et destruction permanente, l’univers est sans fin, il n’y a pas de dieu créateur. L’homme vit, meurt et renaît sans cesse. Cette éternité des renaissances est le drame humain majeur dont la religion aide à sortir. La mort d’un individu n’est donc pas une fin totale, mais une simple étape dans ces cycles infernaux de renaissance. Dans ces conceptions, l’au-delà ne peut être qu’un lieu transitoire où l’ « âme » attend pour se réincarner. La sortie du cycle infernal est l’extinction des réincarnations où l’ « âme » vient se résorber dans l’énergie primordiale. C’est l’état de moksha (libération) pour l’hindouisme ou de nirvana (extinction) pour le bouddhisme.

Pour l’hindouisme et le bouddhisme, il faut sortir du cycle éternel des renaissances, et donc des morts, pour se fondre dans l’Absolu afin de trouver la paix. Lors de la mort, l’espoir consiste à renaître mieux afin de se rapprocher de ce but ultime.

Pour les trois monothéismes qui croient en la résurrection, certes avec des variantes, la perception de l’univers où vit l’homme est fort différente. Le dieu unique créateur de l’univers et des hommes mettra fin à sa création. La conception du temps est donc linéaire, avec un commencement et une fin – la fin du monde-. Le temps et l’homme ne reviennent jamais en arrière, la mort est bien la fin d’une vie terrestre, il n’y a pas de réincarnation. Par contre, le dieu créateur est le dieu de la vie. Après sa mort terrestre, l’homme peut espérer accéder à un stade supérieur de vie, avec dieu pour l’éternité, c’est la résurrection. Christian Bernard.
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La résurrection

Terminons notre réflexion sur Dieu maître en toutes choses, en abordant le kérygme de la foi chrétienne, à savoir notre espérance en la résurrection des corps. Si nous ne disposons pas d’un reportage sur l’au-delà, la bible nous livre quelques indices pour nous mettre l’eau à la bouche.

Qu’y a-t-il, après la mort ? Cette question nous habite tous à un moment de notre histoire. Elle surgit lorsque nous perdons un être cher, un ami ou un parent et aussi lorsque l’échéance personnelle approche. Le questionnement en appelle aussi à une espérance, comme si l’idée d’une fin définitive était étrangère à notre humanité.

Jésus, premier-né d’entre les morts (Col 1,18), nous ouvre la porte. Cette inauguration se concrétise dans le secret d’un tombeau, entre Dieu et son fils Jésus :

Dieu l’a ressuscité le troisième jour. (Ac 10,40).

Nous ne savons rien sur ce moment extraordinaire qui défie les lois de notre humanité. La découverte du tombeau vide n’est pas une preuve, mais une mise en route, un questionnement. L’événement n’est accessible qu’avec les yeux de la foi. C’est en sens que nous pouvons affirmer que Dieu donne la foi. Dieu ouvre symboliquement le tombeau pour que notre regard se convertisse à la résurrection. À nous d’y entrer !

Le « comment » de la résurrection nous échappe totalement. Dieu ne cherche pas à en démontrer le caractère authentique. Il laisse les convictions et les doutes s’installer dans le cœur des gens. Certains signes nous sont offerts juste pour nous inviter à nous mettre en chemin. En quarante jours (selon Luc), Jésus apporte les indices suffisants de sa réalité (Ac 1,3). Il prend une forme accessible à nos sens humains pour être crédible. Il mange même un poisson grillé sur la plage (Lc 24,42). Qu’est devenu ce poisson ? Ne cherchons pas une cohérence gastrique, là où Jésus vise seulement à montrer qu’il n’est pas un fantôme. Le symbole des apôtres n’hésite d’ailleurs pas à proclamer la résurrection de la chair avec toutes les ambiguïtés que revêt ce vocable . Jésus se manifeste à travers des gestes, des paroles et des symboles qui nous permettent de l’identifier. La marque des clous (Lc 24,39), la fraction du pain avec les disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35) et la pêche miraculeuse (Jean 21,1-25) font mémoire de la vie de Jésus avant sa mort. Ils assurent le lien dans l’histoire, entre l’avant et l’après.

Jésus ressuscité apparaît à plusieurs reprises, toujours avec une certaine discrétion, loin de toute manifestation journalistique. Il disparaît tout aussi soudainement. Son corps semble échapper à toute emprise spatio-temporelle. Il ne cherche pas à rencontrer les foules pour convaincre et convertir ceux qui l’ont rejeté et condamné. Sa puissance reste à l’image de son humanité. Il distille quelques signes puis s’en va rejoindre son père (Lc 24,51). Mais comment croire à la résurrection de Jésus sans preuve tangible ? Nous sommes tous des Thomas : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. (Jn 20,25). Nous aimerions voir Jésus ressuscité. Ce serait tellement plus simple de croire. Est-ce si sûr ? Nous ne croyons pas toujours en l’amour humain qui nous tend les bras. Un homme-Dieu venant du ciel avec sa cohorte d’anges ne nous convaincrait pas davantage. Par ailleurs, nous n’avons pas conscience de la portée d’une telle demande. Voir Dieu de notre humanité terrestre, est-ce seulement réaliste et réalisable ? Cela suppose que nos sens soient en mesure de l’accueillir. Dieu dit à Moïse qu’il ne peut le voir de face sous peine de mort (Ex 33,20). Cela suppose aussi que notre raison soit capable de l’appréhender avec des connaissances bien limitées en matière de divinité. Comme le souligne Bernard Sesboüé :

Cela n’est pas possible, tout simplement parce que Dieu est Dieu et l’homme est homme. Comme le disait à-propos saint Augustin : « Si tu le comprends, ce n’est plus Dieu. » Il y a dans notre désir de connaître Dieu un danger d’idolâtrie, celui de construire un Dieu à notre portée .

Ne faut-il pas passer par le creuset de la mort, c’est-à-dire être transformés, pour connaître pleinement Dieu ? Dieu nous invite à une foi et non à une conviction scientifique. Il se livre au cœur d’une relation et non dans un théorème. Il vient à notre rencontre dans l’amour et non dans une armée toute puissante. Il nous fait la promesse que la mort n’est pas le dernier mot de notre histoire et que nous sommes tous appelés à ressusciter en lui. Nous pouvons proclamer avec Paul :

Ô mort, où est ta victoire ? (1Co 15,55).

Dans ce mystère de Jésus ressuscité, nous percevons la certitude que Dieu n’abandonne pas l’humanité de manière définitive. S’il se tait de notre vivant, il vient nous chercher lorsque l’espoir cède sa place à l’espérance, lorsque nous rendons notre dernier souffle. N’est-ce pas dans ce moment dramatique que jaillit la puissance divine, dans cet événement qui réclame un total abandon ? La mort ouvre la porte de l’impossible. Autant la naissance relève de notre humanité terrestre, autant la mort nous échappe totalement. C’est alors que Dieu manifeste sa puissance, hors de toute approche sensorielle ou technique. Tout se passe à l’intérieur d’une tombe dont Dieu détient le secret de l’ouverture. La mort scelle notre vie sur terre et il est humainement impossible de pénétrer le royaume des cieux par nos seules forces. Notre entrée dans le nouveau monde est suspendue à la puissance de Dieu. Le mystère demeure entier quant au comment de ce passage vers l’au-delà. Au moment de sa mort, Jésus annonce simplement au bon larron crucifié à ses côtés : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. (Lc 23,43b).

Introduction ⟽ L'origine du concept de toute puissance