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L’efficacité symbolique des sacrements

Introduction : Symbole et sacrement

Associer les mots « symbole » et « sacrement », c’est courir le risque d’une incompréhension, car le mot « symbole » et surtout l’adjectif « symbolique » font penser à quelque chose de futile et d’insignifiant. Ces deux mots sont pourtant associés en théologie sacramentaire depuis quelques décennies et c’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage qui est devenu une référence en la matière. Il s’agit de « Symbole et sacrement » de Louis-Marie Chauvet.

Donner du sens

Passer du besoin au désir

Le désir se différencie du besoin. Ce dernier est de l'ordre des nécessités biologiques : boire, manger, dormir, se vêtir ou s'abriter. L'apaisement s'installe dès que le besoin est satisfait et réapparaît au prochain manque. Le désir n'appartient pas à l'ordre du nécessaire. Contrairement au besoin qui disparaît avec la consommation de son objet, le désir est toujours tendu vers un ailleurs et un absolu. Le désir se différencie aussi de l’envie qui ne se réjouit pas du bonheur de l’autre. L'envie ramène à soi alors que le désir ouvre sur l'autre. Dans le jugement de Salomon (1R 3,16-28) s'opposent précisément l'envie et le désir.

Alors deux prostituées vinrent vers le roi et se tinrent devant lui. L'une des femmes dit : « S'il te plaît, Monseigneur ! Moi et cette femme nous habitons la même maison, et j'ai eu un enfant, alors qu'elle était dans la maison. Il est arrivé que, le troisième jour après ma délivrance, cette femme aussi a eu un enfant ; nous étions ensemble, il n'y avait pas d'étranger avec nous, rien que nous deux dans la maison. Or le fils de cette femme est mort une nuit parce qu'elle s'était couchée sur lui. Elle se leva au milieu de la nuit, prit mon fils d'à côté de moi pendant que ta servante dormait ; elle le mit sur son sein et son fils mort elle le mit sur mon sein. Je me levai pour allaiter mon fils, et voici qu'il était mort ! Mais, au matin, je l'examinai, et voici que ce n'était pas mon fils que j'avais enfanté ! » Alors l'autre femme dit : « Ce n'est pas vrai ! Mon fils est celui qui est vivant, et ton fils est celui qui est mort ! » et celle-là reprenait : « Ce n'est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! » Elles se disputaient ainsi devant le roi qui prononça : « Celle-ci dit : « Voici mon fils qui est vivant et c'est ton fils qui est mort ! » et celle-là dit : « Ce n'est pas vrai ! Ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! » Apportez-moi une épée », ordonna le roi ; et on apporta l'épée devant le roi, qui dit : « Partagez l'enfant vivant en deux et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre. » Alors la femme dont le fils était vivant s'adressa au roi, car sa pitié s'était enflammée pour son fils, et elle dit : « S'il te plaît, Monseigneur ! Qu'on lui donne l'enfant vivant, qu'on ne le tue pas ! » mais celle-là disait : « Il ne sera ni à moi ni à toi, partagez ! » Alors le roi prit la parole et dit : « Donnez l'enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C'est elle la mère. » Tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi, et ils révérèrent le roi car ils virent qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice.

Le désir de Dieu

Nous nous inspirons ici de M. CLEMENT, Mutation du croire et déplacement de la sacramentalité, Thèse de doctorat, Strasbourg, 2005.

Le désir s’ajuste à l’absence de Dieu

Ajuster la démarche croyante au désir peut être un chemin de foi. Jésus-Christ est absent et le croyant est invité à se passer d'une présence immédiate de la divinité, qui se tait à la croix et n'offre qu'une espérance qui laisse le désir être désir. Dans le discours chrétien, cette absence se creuse. On ne s’empare pas de Dieu pour combler un besoin, mais on le désire dans le sens où l’homme ne pourra jamais en être comblé. Le Christ d’Emmaüs est imprenable. Il s’agit de réserver la part de l'absence de Dieu, de laisser le désir être désir. Il y a une nécessaire mise à distance et non pas confusion ou fusion avec Dieu. Cette perspective interdit de chosifier les sacrements.

Les sacrements sont de l’ordre du désir plus que du besoin

La dialectique du besoin et du désir peut conduire à la découverte du sens de la gratuité des sacrements. Les sacrements ne sont pas des objets de consommation, répondant à des besoins, ils sont relation, ils sont un entre-deux entre l’homme et Dieu. L’amour véritable n’existe que si l’autre est reconnu comme sujet et non comme un objet de consommation.

Dieu relève du registre du désir

Aimer Dieu pour rien, laisser se jouer le mystère d’une liberté affrontée à la grâce implique l’attitude correspondante de la dépossession, de la béance, de l’écoute, de l’attention, de l’attente, de l’errance. Les sacrements s’inscrivent dans cette relation de gratuité absolue, dans ce dépassement et dans ce dessaisissement de soi.

Le symbole libère la confusion entre le besoin et le désir

La seule forme que Dieu prenne dans l’existence est la forme de l’absence. À la croix, Dieu se tait, Jésus s’en remet totalement à ce Père absent. Ainsi se creuse définitivement l’absence de Dieu en ce monde. Pâques n’est pas le retour à la vie antérieure, c’est un Autre qui inaugure ce mystère. Cette absence de Dieu est présence, Dieu se manifeste comme non puissance, comme faiblesse. Dieu est présence qui ne comble pas, qui laisse pendantes les questions les plus vitales. Les croyants affrontent cette absence. C’est pourquoi seul le symbole peut l’évoquer parce qu’il indique son absence, le «signifiant Jésus-Christ» est absent et invite à se passer d’une présence immédiate de la divinité, n’offrant qu’une espérance qui laisse le désir être le désir. Le symbole est la médiation qui permet d’échapper à la relation immédiate sujet-objet. Il permet de dire le réel sans le reproduire comme son double. Le symbole dit l’autre dans sa différence, il est le langage du désir.

Le symbole, qu’est-ce à dire ?

Un monde de symboles

Bien des événements ou des paroles ont une valeur symbolique parce qu’ils évoquent un souvenir, une rencontre ou parce qu’ils structurent notre existence. Certains mots font rejaillir en nous des souvenirs ou des personnes. Le doudou d’un enfant est bien plus qu’un simple morceau de chiffon. La Marseillaise nous rappelle notre appartenance à une patrie. Une croix accrochée dans une chambre nous unit au Christ. La vie quotidienne nous plonge constamment dans un univers symbolique qui nous permet de nous situer et de donner du sens à notre existence. Si le langage n’était qu’une suite de signes alors il n’y aurait plus de communication, simplement de l’information. Si le monde n’était que raison, il n’y aurait plus ni émotions ni passions. La rose perdrait son enchantement et ses épines.

Qu’est-ce qu’un symbole ?

Étymologiquement le verbe grec symballein signifie littéralement "jeter ensemble". Transitivement, il prend le sens de "rassembler", "mettre en commun", "échanger"; intransitivement, celui de "se rencontrer", "s'entretenir". Le substantif symbolon désigne un objet coupé en deux et dont chacune des parties d'un contrat reçoit une moitié. Le symbole permettait de se reconnaître comme partenaire du contrat. Nous en avons un exemple dans le livre de Tobit (Tb 5,1-3). De manière très synthétique, on peut dire que le symbole met en relation.

Tb 5,1-3 Alors Tobie répondit à son père Tobit : «Je ferai, père, tout ce que tu m'as commandé. Seulement, comment faire pour lui reprendre ce dépôt? Lui ne me connaît pas, et moi, je ne le connais pas non plus. Quel signe de reconnaissance vais-je lui donner, pour qu'il me croie et qu'il me remette l'argent? De plus, je ne sais pas les routes à prendre pour ce voyage en Médie.» Alors Tobit répondit à son fils Tobie : Nous avons échangé nos signatures sur un billet, et je l'ai coupé en deux pour que nous en ayons chacun la moitié. J'ai pris l'une, et j'ai mis l'autre avec l'argent.

La bipolarité du langage

L’homme a besoin de signes sensibles et de symboles pour exprimer sa foi, sa confiance ou encore son amour. De la naissance jusqu’au linceul, il communique et se nourrit avec des signes et des symboles. Le catéchisme de l’Église catholique rappelle ce principe fondamental à la racine de chaque être humain :

Comme être social, l’homme a besoin de signes et de symboles pour communiquer avec autrui, par le langage, par des gestes, par des actions. Il en est de même pour sa relation à Dieu (1146).

Les signes les plus courants que nous utilisons tous les jours sont les mots que les linguistes appellent des signes linguistiques. Le signe linguistique est la combinaison d'un concept (le signifié) et d'une image acoustique (le signifiant) ou, plus simplement, d'une signification et d'un son. Les mots sont aussi des symboles.

Prenons l’exemple d’une phrase tout à fait banale que tout le monde a pu dire ou a entendu dire : « Il fait beau aujourd’hui ». Cette phrase est un signe en tant qu’elle véhicule un sens qui résulte d’une observation du ciel. Mais au-delà de cette signification, les mots introduisent une communication entre deux personnes. Ils brisent le silence. Prenons maintenant le cas d’un objet matériel, la balance. En tant que signe, elle désigne un ustentil qui permet de peser. En tant que symbole, elle "rend présent" la justice. la croix. Autre exemple : la croix en tant que signe désigne un gibet formé de deux pièces de bois disposées en travers l’une de l’autre. En tant que symbole elle représente le christianisme qui lui-même est un signe, celui d’une religion fondée par le Christ.

Appliquons cette bipolarité du langage aux sacrements. Les sacrements sont à la fois des signes et des symboles. Par exemple le baptême signifie littéralement qu’une personne est plongée dans l’eau. En tant que symbole, le baptême symbolise l’immersion dans la mort et la résurrection du Christ ; ainsi le baptisé devient chrétien. Cette participation à la mort-résurrection du Christ est qualifiée de « symbolique ».

Efficacité symbolique

Opérateur d’alliance

Le propre du symbole est d’unir, de tisser un lien, de créer une relation. Comme nous l’avons déjà souligné, le sens de ce mot s’enracine dans son étymologie grecque symbolon tirée du verbe symbalein qui signifie littéralement « jeter ensemble, rassembler ». En appliquant par exemple ce sens au sacrement de mariage, on peut en conclure que les époux sont jetés ensemble dans la même vie. Ne parle-t-on pas communément de son conjoint comme de sa moitié ? Le sacrement du mariage les rassemble dans un projet commun.

L’eucharistie rassemble la communauté au nom du Christ au sein de l’Église. Lorsqu’on dit que l’eucharistie est un symbole, il faut notamment comprendre que ce sacrement unit les chrétiens dans le partage de la parole de Dieu et du pain de vie.

Révélateur d’identité

Le symbole est révélateur d’une identité. La croix est en ce sens le symbole par excellence du christianisme. Présente dans les églises, les maisons, les écoles, au bord des routes, la croix manifeste l’identité chrétienne. Tous les sacrements sont révélateurs de l’identité chrétienne. En participant à une célébration sacramentelle, nous manifestons notre appartenance à l’Église du Christ.

Une présence dans l’absence

Les sacrements en tant que symbole renvoient à une réalité absente de notre perception immédiate. Il s’agit d’une présence qui échappe à nos sens et qui pourtant nous rejoint intérieurement. Dans le cadre du sacrement de l’eucharistie, nos yeux voient objectivement un objet rond et plat de couleur jaune ou blanche que nous appelons traditionnellement hostie. Y voir le corps du Christ en appelle à un dépassement de la réalité matérielle pour accéder à une réalité immatérielle. Le symbole nous fait passer d’un monde à un autre parce qu’il est porteur de cette orientation.

Une nécessaire adhésion

L’orientation évoquée ci-dessus ne s’opère pas magiquement, il suppose une adhésion de la part du sujet sans quoi le symbole demeure vide de sens. Accueillir une présence dans l’absence, c’est ouvrir son corps et son esprit à quelque chose ou plus exactement quelqu’un qui n’est pas immédiatement perceptible.

Penser l’efficacité dans le registre du symbolique, c’est prendre en compte le sujet dans son rapport au monde, aux autres et à Dieu. Comme le souligne Jean Maisonneuve, « l’efficacité symbolique repose sur la croyance, la foi… Ainsi ressortent finalement la force et la limite du symbole dans sa relation au rituel. L’efficacité ne peut être imputée au seul symbole… En définitive le rite apparaît comme la condition nécessaire d’une efficacité symbolique, mais il ne s’opère que s’il rencontre une demande d’une suffisante intensité (J. MAISONNEUVE, Les rituels, Que sais-je ?, 2425, PUF, 1988, p. 105-106) ». Le symbolique ne fonctionne que si la personne se laisse façonner.

Un pouvoir non maîtrisable

Le pouvoir du symbole ne se maîtrise pas, car il produit des effets inattendus et insoupçonnés. Le symbole nous travaille intérieurement parce qu’il nous introduit dans une relation qui n’est jamais mécanique ou scientifique. Qui peut dire à l’avance ce qu’un « je t’aime » va produire ? De même, prendre et manger le corps du Christ nous invite à une méditation intérieure au-delà du geste lui-même. Ses effets sont à la fois d’ordre spirituel et psychologique sans qu’il soit possible de démêler l’un de l’autre.

Représenter une totalité

Le symbole a cette faculté de rendre présente sous une forme visible et sensible une réalité bien plus vaste. La tour Eiffel n’est qu’une partie de Paris et pourtant elle représente la totalité de la capitale, voire la France tout entière. Une rose offerte par un amoureux à sa belle contient tout l’amour de celui-ci, mais la rose n’est pas tout l’amour. La plongée dans l’eau baptismale rend présent le mystère du salut, mais il n’est pas la totalité de celui-ci.

La représentation symbolique ne saurait par conséquent être faite à partir de n’importe quoi ou n’importe qui. Un ballon de football ne saurait symboliser le christianisme, car il n’existe aucun rapport entre l’un et l’autre. Le pain et le vin ne sont devenus les symboles du corps et du sang du Christ que parce que Jésus les a institués et que la tradition les a pérennisés dans le mémorial de l’eucharistie.

Un monde symbolique bien réel

Le symbole est bien réel. La tour Eiffel, la rose, la plongée baptismale appartiennent au monde réel. Mais en même temps il n’est pas la totalité du réel. Comme le souligne L.-M. Chauvet, « il l'est et ne l'est pas à la fois : il ne l'est pas puisqu'il ne fait que le représenter; il l'est puisqu'il le représente, c'est-à-dire le rend présent à partir de quelques fragments (L.-M. CHAUVET, Les sacrements, Parole de Dieu au risque du corps, Les éditions ouvrières, 1993, p. 117) ». Les sacrements sont bien réels dans leurs modalités rituelles, mais ils ne sont que des fragments de l’alliance de Dieu avec l’humanité.

Hors valeur

Deux exemples pour illustrer la gratuité du symbole. L’alliance portée à l’annulaire ou la croix au cou sont des symboles. Certaines femmes opteront pour une alliance épurée, d’autres pour une alliance sertie de diamants, etc. L’important n’est pas la valeur marchande, mais bien ce qu’elle représente, à savoir l’engagement mutuel. De même que la croix peut être en bois, en argent, en or, etc. Là encore, peu importe la noblesse du matériau ; toutes les croix renvoient à Jésus crucifié.

Ces deux exemples montrent la gratuité du symbole qui ne cherche pas l’enrichissement personnel, mais une fécondité communautaire. Il engendre un accroissement de l’être et non pas une augmentation de l’avoir. En se mariant, en communiant au Christ, en étant baptisé, etc., le sujet entre en communion avec quelqu’un au-delà de tous les apparats festifs. Bien sûr, une belle célébration ajoute son brin d’émotion et favorise l’efficacité symbolique, mais l’essentiel est dans la relation d’alliance qu’instaure le sacrement.

Hors magie

La magie vise à accaparer la puissance divine par ses propres moyens. Les gestes, paroles et symboles ne sont alors que les ustensiles pour assouvir ses demandes. Le rite magique vise à influencer la divinité, voire à la maîtriser.

Vus de l’extérieur, sans aucune formation ou initiation, les rites sacramentels ont quelque chose de « magique » ou tout au moins de mystérieux. Le prêtre debout derrière l’autel, revêtu de ses habits sacerdotaux et prononçant des paroles incompréhensibles pour le non initié peut mettre en déroute plus d’un promeneur égaré. Les sacrements réclament une initiation sinon l’amalgame avec la magie est vite fait.

Il y a néanmoins des différences claires entre rites sacramentels et rites magiques. Les rites magiques ont perdu leur origine. Ils ne font pas mémoire d’un événement originel. Le sacrement s’enracine dans la mort/résurrection du Christ. Les rites magiques conservent une opacité. Les recettes sont réservées à un gourou qui ne les transmet qu’à son successeur. Les sacrements nécessitent certes une initiation, mais il n’y a pas de secrets réservés. Dans les sacrements, à la différence de la magie, il ne s’agit pas d’obtenir des pouvoirs ou des avantages matériels, mais de vivre un événement en Eglise et de progresser dans la vie spirituelle et morale en demandant un surcroît de charité et d’espérance