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Le mariage, prototype des sacrements de la nouvelle alliance

Dire que le mariage est le prototype des sacrements de la nouvelle alliance signifie que le mariage éclaire toute la vie chrétienne et en particulier les 6 autres sacrements. Pourquoi ? Parce que le mariage est le sacrement du don total de soi; il est le sacrement de l'amour.

Comme nous l’avons évoqué dans l’échange des consentements, l’homme et la femme se reçoivent et se donnent l’un à l’autre pour s’aimer. L’union des corps consacre ce don réciproque.

Recevoir et Donner

L'échange des consentements exprime un don et une réception réciproques. L'homme se donne à la femme et la femme reçoit l'homme; la femme se donne à l'homme et l'homme reçoit la femme. Chacun se donne à l'autre et reçoit l'autre dans une réciprocité parfaite. Le mariage consacre une donation bilatérale, indivisible et solidaire. Le don se soi est sans condition. Chacun se donne dans une confiance absolue.

Une petite subtilité ne vous aura pas échappé. La réception est première : « je te reçois et je me donne à toi ». Cet échange reflète la vie même qui est d’abord réception. Nous recevons la vie, nous recevons des mots, nous recevons des sourires. Un enfant qui n’a jamais reçu de mots ou de sourires ne parlera jamais, ne sourira jamais. Nous devenons pleinement hommes et femmes à travers la réception du don des autres. Les psychologues soulignent que nous devenons des sujets à travers notre relation aux autres. Et nous devenons enfants de Dieu parce que Dieu s’adresse à nous, parce qu’il nous cherche inlassablement. Quel est le premier dialogue dans la bible ? « Adam où es-tu ?».

Dans l’acte de devenir époux recevoir l'autre, c'est se donner et se donner, c'est recevoir l'autre. Il n'est pas possible de recevoir l'autre sans s'être donné soi-même. Et il n'est pas possible de se donner soi-même sans recevoir l'autre.

Dans cette économie du don, il n’est pas possible de prendre son partenaire. Dans le jardin d’Eden, Adam et Ève prennent le fruit. Vous en connaissez les conséquences. Le mariage nous apprend qu’il faut recevoir le fruit qui nous est offert. Le mariage est une école de conversion. Jean-Paul II n'hésite pas à parler de la rédemption du corps. Il s'agit pour chacun des époux de considérer le bien de son conjoint avant le sien propre. Et c'est uniquement la réciprocité de cette attitude - le don et la réceptivité au don par le don en retour - qui assure un amour authentique.

L'homme et la femme se donnent. Le don ne porte pas sur un avoir, mais sur l'être : «je me donne». Il n'y a pas de transfert de propriété au sens où le corps, serait juridiquement aliéné au profit de l'autre. Le don de soi-même devient offrande sacrée pour un accroissement d’être :

C'est comme une loi d'extase : sortir de soi-même pour trouver un accroissement d'être (Karol WOJTYLA, Amour et responsabilité, Stock, 1978, p. 115).

L'union des corps

Comme nous le rappelle Ephésiens en écho à Genèse, l’homme et la femme ont pour vocation à ne former qu’une seule chair, c’est-à-dire une seule vie. L’union des corps est l’apothéose de cette vocation.

Soulignons tout d’abord que l'union des corps accomplit en plénitude la promesse de don total prononcée par les époux lors de leur mariage. Le don et la réception du corps symbolisent le «oui» originel qui se fait chair. Le «oui» s'incarne dans l'union des corps. Il s'écrit dans l'intimité du face à face. Il vibre dans la chair, au son du désir et du plaisir. Ainsi le don du corps devient signe et symbole de l'engagement initial. Il ratifie l'échange des consentements. L'union charnelle devient symbole sacramentel. Elle est le sceau de la parole reçue et donnée.

En ce sens les époux accomplissent, en se donnant l’un à l’autre, un acte à caractère prophétique. En effet, par l’acte de don d’eux-mêmes exprimé par les paroles du consentement, confirmé par les gestes de la consommation de leur mariage dans le don des corps, ils affirment leur participation à la mission prophétique que le Christ a confiée à l’Église puisque le prophète, rappelle encore le pape, « est quelqu’un qui exprime avec des mots humains la vérité qui provient de Dieu, qui profère cette vérité à la place de Dieu, en son nom et, en un certain sens, sous son autorité ». À travers l’humilité du don du corps, les époux sont ainsi réellement prophètes (Yves SEMEN, La spiritualité conjugale selon Jean-Paul II, Presses de la Renaissance, 2010, pp. 80-81).

L'union des corps est le paradigme de la donation entre époux. Par cet acte, l'homme et la femme se donnent et se reçoivent pleinement et réciproquement. Les deux corps s'épousent dans une réciprocité parfaite. L'homme et la femme se donnent leur corps. L'expression «donner son corps» ne désigne pas un transfert de propriété de l'un vers l'autre. Dans l'étreinte conjugale, l'homme ne possède pas le corps de sa femme, ni la femme le corps de l'homme.

Le don rend le corps disponible pour l'autre, comme le souligne saint Paul :

Ce n'est pas la femme qui dispose de son corps, c'est son mari. De même ce n'est pas le mari qui dispose de son corps, c'est sa femme (1Co 7,4).

Notons que don et réceptivité du don ne sont pas transposables à l'activité et la passivité (et que le don n'est pas restreint à la masculinité et la réceptivité au don à la féminité). Rappelons-nous les paroles de Jean-Paul II :

Le don et son acceptation s'interpénètrent de telle manière que l'acte même de donner vaut acceptation et que la réceptivité au don est elle-même don (TDC17).

Loin d'être conceptuel, cela a des conséquences très pratiques. Dans Amour et Responsabilité, Karol Wojtila souligne que :

"l'amour exige que les réactions de l'autre personne - le 'partenaire' sexuel - soient pleinement prises en compte. Les sexologues affirment que la montée du désir diffère chez la femme et chez l'homme - il monte plus lentement et retombe plus lentement. L'homme doit prendre cette différence en compte [...] pour que les époux atteignent tous les deux l'orgasme [...] autant que possible simultanément." Le mari doit faire cela "non dans une visée hédoniste, mais en vertu de l'altruisme. [...] Si l'on considère à quel point le désir masculin monte plus vite, une telle tendresse de sa part dans l'acte sexuel prend le caractère d'un acte de vertu."

Cet idéal de vie sexuelle se heurte à notre finitude et c’est un travail permanent que de s’ajuster au désir de l’autre dans le but de se faire grandir mutuellement. C’est une mission de rédemption du corps que le Christ nous invite à vivre.

La rédemption du corps

Trop peu de chrétiens réalisent qu'ils sont choisis de Dieu, qu'ils sont appelés à entrer concrètement, dans le quotidien de leur vie de couple, dans le mystère d'amour divin. Le projet de Dieu est de nous rendre participants à la vie divine. Nous sommes à peine moindres que Dieu (Ps 8) et invités à être saints comme Dieu est saint (Lv 20,26), ou parfaits comme Dieu est parfait (Mt 5,48). Le catéchisme de l’Église catholique récapitule ce projet de Dieu à travers différentes formules théologiques :

460. Le Verbe s’est fait chair pour nous rendre « participants de la nature divine » (2 P 1, 4) : « Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu » (S. Irénée, hær. 3, 19, 1). « Car le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous faire Dieu » (S. Athanase, inc. 54, 3 : PG 25, 192B). « Le Fils unique de Dieu, voulant que nous participions à sa divinité, assuma notre nature, afin que Lui, fait homme, fit les hommes Dieu » (S. Thomas d’A., opusc. 57 in festo Corp. Chr. 1).

À travers ce dessein, Dieu ratifie la vocation de l’humanité à entrer dans son alliance; Dieu appelle chaque couple à vivre de la vie de Jésus incarné dans le monde. Concrètement qu’est-ce que cela signifie? Cinq points :

1 - C’est s'accepter soi-même tels que nous sommes avec nos limites corporelles qui s'accentuent avec l'âge. Le monde s'aujourd'hui à travers les médias et la publicité nous propose un corps idéalisé sans défaut. Le transhumanisme ouvre des perspectives vertigineuses dans ce domaine.

2 - C’est accueillir l'autre avec ses qualités et ses faiblesses dans la durée. Quels amoureux n’ont pas fait cette expérience d’un tout petit défaut, presque perçu comme une qualité au début de l’aventure amoureuse et qui, au fil du temps, devient gênant et finalement exacerbant ? Le charmant petit bouton sur le visage finit par se transformer en grosse verrue hideuse.

3 - C’est accepter que le partenaire ne puisse pas tout donner dans le sens où il n'est pas Dieu, même si notre regard voit en lui, surtout au début de l'aventure, un Apollon ou une Vénus.

4 - Sur le plan sexuel, c’est se donner pleinement à son partenaire, en cherchant son plaisir et son bonheur, sans le transformer en objet de jouissance. Il revient à chaque couple d’inventer la soumission réciproque de saint Paul et l’érotisme du Cantique des cantiques.

5 - Enfin, c’est pardonner. Nous commettons tous des fautes plus où moins grosses et le pardon nous dit qu'il est possible de poursuivre la route ensemble. Il ne s’agit pas d'oublier le passé, mais d’ouvrir un avenir. Dans l’épisode de la femme adultère - cela pourrait être un homme – Jésus ne prononce aucune condamnation à l'égard de la femme, mais l'invite à ne plus commettre de péché (Jn 8,10-11). Dans l’épisode de l'enfant prodigue, le Père tue le veau gras et fête le retour de son fils perdu (Lc 15,24). À chaque couple d’inventer sa forme de réconciliation, dans un restaurant ou sur l'oreiller.

Pour aimer

Le sacrement de mariage est un mystère divin, car il engage les époux sur la voix de l’amour, or Dieu est amour.

Il faut quasiment attendre la fin de la bible pour découvrir la véritable nature de Dieu :

1Jn 4,7-8 Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ; car l’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.

Les définitions de l’amour sont infinies, car elles rejoignent le vécu de chacun. Le dialogue, le partage, le pardon, la tendresse et même l’érotisme sont autant de manifestations de l’amour qui en appelle toujours à un au-delà de ce qui est offert, comme un désir d’infini dont nous serions irrigués. L’amour est à ce point mystérieux qu’il se cherche toujours dans une inépuisable définition. L’amour est extase comme le rappelle Benoît XVI :

Oui, l’amour est « extase », mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu BENOÎT XVI, Dieu est amour, 6).

L’amour est « ex-tase » au sens étymologique du terme, c’est-à-dire « être en dehors de soi-même ». Ainsi, la création est « ex-tase » de Dieu, car elle jaillit de l’amour entre les trois personnes de la Trinité. Au sein d’un couple, la plus belle extase n’est-elle pas dans le don réciproque de son corps, comme le suggère Benoît XVI ?

L’éros veut nous élever « en extase » vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes (Ibid., 5).

L’amour est fondamentalement un don de soi pour la vie, la joie et le bonheur de l’autre.

Jn 15,13 Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.

Il est le ferment de toute action, le levain de tout agir. En éthique, nous devons nous interroger si notre agir fait grandir l’amour au sein de nos relations, de notre couple et de la communauté. Faire grandir, c’est aider l’autre à découvrir sa propre identité :

Peut-être la plus grande mission d’un homme et d’une femme dans l’amour est-elle celle de se rendre l’un l’autre plus homme ou plus femme. Faire grandir, c’est aider l’autre à se mouler dans sa propre identité. Voilà pourquoi l’amour est artisanal (FRANÇOIS, La joie de l'amour, 221).

Paul insiste sur la primauté de l’amour dans les actions et les relations. L’amour doit accompagner le parler en langues, les prophéties, la connaissance, le partage de ses biens ; même le don de soi jusqu’à la mort doit être animé par l’amour, sinon il ne mène à rien (1Co 13,1-3). Saint Augustin affirme également la nécessité de mettre l’amour au cœur de sa vie :

Aime et fais ce que tu veux ; si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu parles, parle par amour ; si tu corriges, corrige par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour ; aie au fond du cœur la racine de l’amour : de cette racine il ne peut sortir que du bon (AUGUSTIN, Commentaire de la première épître de saint Jean, Cerf, 1961, p. 329).

La bible elle-même fait de l’amour le premier des commandements. L’Ancien Testament nous enseigne qu’il faut adorer Dieu seul, honorer ses parents, respecter les biens de son prochain et même l’aimer (Ex 20 ; Lv 19,18b). Le Nouveau Testament récapitule cette injonction à travers un double commandement :

Mt 22,36-40 Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? Jésus lui répondit : tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.

L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont indissociables. Pour définir l’amour du prochain, on s’attendrait à entendre les mots « don de soi », partage », « écoute », etc. Or, Jésus nous renvoie à nous-mêmes dans le second commandement. Ce « comme toi-même » donne toute la dimension du projet d’amour à l’égard d’autrui et plus particulièrement à l’égard de son époux(se). Ephésiens 5 demande aux hommes d’aimer leur femme comme leur propre corps. Dans le cadre d’une sous-mission réciproque, les femmes sont aussi invitées à aimer les hommes comme leur propre corps.

Il suffit de se demander combien de temps nous passons sur notre propre personne pour notre bien-être, nos plaisirs et nos joies, afin de prendre conscience de l’exigence de ce commandement. Il ne s’agit pas de narcissisme, mais de respect de soi-même. Dans cette perspective, s’aimer soi-même signifie, se connaître, s’accepter, prendre soin de son corps, se donner des projets. C’est avoir une juste image de soi, tout en sachant que cette image s’offre aux autres dans chaque rencontre. C’est mettre ses talents au service des autres avec fierté et humilité. C’est avancer dans la vie par-delà les blessures. C’est enfin entretenir la flamme du désir, car sans elle l’homme est un être mort qui ne s’aime plus lui-même et donc incapable d’aimer les autres.

Aimer l’autre, c’est donc le connaître comme soi-même, l’accueillir tel qu’il est, être à l’écoute de tout son être, lui offrir un avenir. Dans un autre passage, Jésus complète ce commandement de l’amour en se donnant en référence :

Jn 13,34 Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.

Jésus se donne en exemple, comme une image à laquelle nous sommes invités à ressembler. S’il ne distribue pas un catalogue parcimonieux des gestes et des paroles à suivre, il fait du don de soi le repère éthique fondamental. Se donner jusque dans cette folie de la croix, voilà un programme ambitieux. Rien de doloriste dans cette vision de l’amour, simplement l’acceptation que le bonheur de l’autre passe avant tout.

Le mariage est donc un symbole de mort/résurrection. Il faut mourir à soi-même pour renaître en tant qu’époux. En termes conjugaux, il faut renoncer à sa vie de célibataire pour construire un couple. Chaque « je » doit accepter de donner une part de soi-même pour construire le nous. L’amour est à ce prix. Mais quelle joie d’aimer.

Chaque homme et chaque femme en ce monde disposent de ce fantastique pouvoir d’aimer à la démesure. Osons aimer, car celui qui aime connaît Dieu (1Jn 4,8). La voie de l’amour est le plus court chemin pour rencontrer Dieu dans nos existences.