Jésus en croix
L’image de Jésus en croix est le symbole par excellence du christianisme. Présent dans toutes les églises, les lieux saints, sur le bord des routes et parfois jusque dans l’intimité des chambres à coucher, Jésus en croix représente tout à la fois le scandale et l’espérance dans les moments de souffrance. Qu’a donc fait cet homme pour en arriver à ce dénouement ?
Jésus meurt sur une croix au terme de trois années de vie publique. Cet événement appartient à l’histoire et avant d’en faire une interprétation théologique, il convient de le replacer dans son contexte. Le supplice de la croix est réservé aux brigands, criminels et esclaves, en somme à tous les nuisibles de la société. Jésus relève de cette catégorie sans véritable chef d’accusation. Il est condamné par le Sanhédrin, le tribunal religieux juif, et le pouvoir politique en la personne du gouverneur Pilate. Pour le Sanhédrin, Jésus est coupable de blasphème :
Mt 26,63-66. Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit : « Je t'adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. » « Tu l'as dit, lui dit Jésus. D'ailleurs je vous le déclare : dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. » Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a blasphémé ! qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d'entendre le blasphème ! Qu'en pensez-vous ? » Ils répondirent : « Il est passible de mort. »
Pilate ne trouve en Jésus aucun motif de condamnation. Mais la foule, emmenée par les grands prêtres et les anciens, réclame le crucifiement de Jésus. Alors, Pilate finit par céder aux invectives, afin de préserver la paix civile. Jésus est responsable, sans être coupable :
Mt 27,21-26 Prenant la parole, le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils dirent : « Barabbas. » Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus que l'on appelle Christ ? » Ils disent tous : « Qu'il soit crucifié ! » Il reprit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Mais ils criaient plus fort : « Qu'il soit crucifié ! » Voyant alors qu'il n'aboutissait à rien, mais qu'il s'ensuivait plutôt du tumulte, Pilate prit de l'eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant : « Je ne suis pas responsable de ce sang ; à vous de voir ! » Et tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, après l'avoir fait flageller, il le livra pour être crucifié.
Sur un plan historique et humain, la condamnation à la croix n’est que la conséquence logique et inéluctable des paroles et des gestes de Jésus. Ce tragique destin appartient à l’accomplissement de sa mission du fait de la cécité et de la violence humaines. Il n’y a en cette mort rien d’extraordinaire sur le plan de l’humanité rattachée à l’histoire en mouvement. Ceux qui ont condamné Jésus ne le connaissaient pas, sinon de réputation, par ouï-dire. Ils n’ont fait que leur travail sans savoir que ce geste allait bouleverser l’histoire.
Par trois fois, Jésus annonce sa passion. Savait-il qu’il allait mourir ? Assurément Jésus pressentait un dénouement tragique. À plusieurs reprises, Jésus échappe à la mort par lapidation . Mais Jésus n’a pas joué un film dont le scénario aurait été écrit d’avance. Ni fatalité, ni hasard. En affirmant pouvoir reconstruire le temple en trois jours, en pardonnant les péchés, en acceptant les titres de « roi », « messie » et « fils de Dieu », Jésus s’est compromis face au pouvoir religieux. La seule issue politico-religieuse ne pouvait qu’être la sentence capitale. Il a accompli sa mission jusqu’au bout en assumant pleinement ses gestes et ses paroles.
La mort en croix de Jésus est cependant plus qu’un événement historique, sinon il serait passé inaperçu. Jésus a mis ouvertement le doigt sur les contradictions en montrant que la loi de l’amour privilégie tout autre discours législatif. À la mort par lapidation de la femme adultère, Jésus préfère le pardon. La croix, c’est aussi ce paradoxe : renoncer à la puissance pour monter que la vie est plus forte que la mort. Dans l’absolu, Jésus aurait pu empêcher ce dénouement tragique de la croix en ayant recours à ses pouvoirs divins :
Mt 26,52-53. Alors Jésus lui dit : « Rengaine ton glaive ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges ?
Jésus en avait le pouvoir, mais en agissant ainsi, il aurait été moins homme. Contrairement aux miracles, l’utilisation de sa puissance divine à une telle fin aurait desservi sa mission, car elle l’aurait servi lui-même. Or Jésus n’est pas venu pour être servi, mais pour servir.
Par ailleurs, le spectaculaire, souvent mêlé à la magie, ne possède pas la force des mots et du don de soi jusqu’à la mort. Triompher et parader est la force des faibles. Jésus tire sa force dans l’humilité et la fidélité en sa mission. Dans le jardin des oliviers, Jésus pressent le dénouement tragique de sa mission. Sa prière témoigne d’une part, d’une inquiétude face à la tragédie de la violence, de la souffrance et de la mort et, d’autre part, d’un profond désir d’accomplir la volonté de son père :
Mt 26,38-39 : « Alors il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi." Étant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière: "Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux." »
Le « tu veux » donne le ton à toute la vie de Jésus jusque dans la mort. Dieu a envoyé son fils unique pour sauver l’humanité et ce salut passe par la croix. Mais cette croix n’est pas le fruit d’une volonté divine, elle est le signe de son accomplissement. Quelle réponse son Père lui a-t-il donnée durant ses dernières œuvres, sinon la force de poursuivre ? Ce silence de Dieu atteint son paroxysme au moment de la mort de Jésus :
Mt 27,46 « Et vers la neuvième heure, Jésus clama en un grand cri: "Éli, Éli, lema sabachtani ?", c'est-à-dire: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" »
Cette parole de détresse retentit dans chaque bouche dans les instants de souffrance, comme un ultime appel, un dernier espoir de voir notre être libéré de l’épreuve. Mais Dieu se terre dans une image déconcertante, celle d’un abîme de silence. Dieu ne serait-il pas Dieu ?
Toute la vie de Jésus témoigne de paix, de justice et de charité. La croix symbolise le refus de l’homme de se laisser convertir à ce témoignage. Elle signe la fermeture à l’amour tout en montrant qu’il est possible d’aimer jusqu’au bout. Agonisant sur la croix, Jésus donne un dernier message de pardon à ses bourreaux :
Lc 23.34 Jésus disait: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font».
La souffrance ne sauve pas l’homme, seul l’amour sauve. De même, ce n’est pas la croix de Jésus qui sauve l’humanité, mais l’amour avec lequel Jésus a traversé cette épreuve. Jésus est mort pour nous, afin de supprimer toute souffrance :
Ga 1,4 « Jésus Christ s'est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde du mal, conformément à la volonté de Dieu, qui est notre Père. »
L’amour ouvre le tombeau de nos désespoirs pour laisser entrer la lumière de l’espérance. Il nous libère de nos multiples formes d’esclavage : drogue, sexe, pouvoir. Il nous arrache à notre violence pour nous faire porter le flambeau de la paix. Il nous guérit de notre culpabilité pour nous ouvrir un avenir. Il nous donne la joie et nous fait semer la joie. Il est plus fort que la mort.
Le but du sacrifice n’est donc aucunement la souffrance, mais la joie sur laquelle débouche le don de soi. Jésus a sacrifié sa vie pour nous montrer que l’amour est plus fort que la mort :
Jn 15 ,13 « Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. »
Jésus meurt sur la croix en nous appelant à la conversion, en montrant qu’il est possible d’aimer par-delà la violence et l’injustice.