Jésus messie

Avec le recul de l’histoire, les évangiles et plus tard la tradition de l’Église ont vu en Jésus Christ la consécration d’une annonce messianique. Dieu a effectivement préparé sa venue. Les prophètes ont annoncé cet événement tout en laissant la porte ouverte au mystère. Ils ont surtout désiré et attendu un homme dont les contours sont suffisamment flous et précis pour que Jésus puisse les épouser.

Dieu s’invite sans tambour ni trompette en se moulant dans l’histoire. Il tisse les fils de sa venue au gré des décisions et des initiatives humaines. Sans jamais prendre l’homme en porte-à-faux, il s’incarne dans les aléas de la vie de son peuple. Le messianisme prépare, sans l’affirmer explicitement, la venue du Christ bien des siècles plus tard. Si les auteurs du Nouveau Testament ont vu dans les figures messianiques de l’Ancienne Alliance, l’annonce de la venue du Christ, il s’agit d’une relecture de l’histoire à la lumière de la résurrection. La préoccupation immédiate des prophètes est de garantir la pérennité de la nation, la sécurité des hommes et des femmes qui la constituent, ainsi que la sauvegarde de l’alliance. Ils expriment l’espérance politique et religieuse d’une nation déchirée par les multiples invasions. Le messianisme est une parole confiante en un avenir dont les contours laissent toute la place à la liberté de Dieu.

Le nom de Jésus est en lui-même évocateur de sa divinité ; il signifie : « Yahvé sauve ». Quant à « Christ », c'est la traduction grecque de l’adjectif araméen "messie". "Messie" ou "Christ" signifie "celui qui est oint", c’est-à-dire consacré en vue d’une mission. Il vient se rajouter à Jésus comme un surnom lui conférant une qualité particulière. Dans l'Ancien Testament, les grands-prêtres et les rois étaient oints, c'est-à-dire consacrés à Dieu. Jésus est le Christ, le Messie envoyé par Dieu pour accomplir les promesses et les espérances de salut de l’Ancienne Alliance.

Jésus se coule dans l'attente de son peuple en la transformant radicalement. S'il est le messie, ce n'est pas à la manière dont les prophètes ni ses contemporains l'entendaient et l'attendaient. En effet les descendants de David espéraient en un messie politique, à l'image même de David, qui réunifierait le royaume et jetterait les envahisseurs hors du pays. Jésus s'inscrit dans la lignée davidique, comme le montre la généalogie proposée par Matthieu. Il est proclamé « Fils de David » et accepte le titre de « messie » dans la profession de foi de Pierre :

Mt 1,1 « Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham… »

Mc 10,47 « Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il (l'aveugle Barthimée) se mit à crier : Fils de David, Jésus, aie pitié de moi. »

Mc 8,29 « Tu es la messie. »

Mais Jésus rejette toute signification politique de ces titres. Certes il entre triomphalement à Jérusalem et semble accepter d'être reconnu comme un chef politique en laissant la foule crier « hosanna ». Mot dérivé de l'hébreu hôchiyâh'nnâ, que les Juifs postérieurs abrégèrent en hôcha'nna, d'où est venu le terme grec hosanna. Ce mot, qui signifiait primitivement : « Sauve, je te prie (ou : de grâce, ou : maintenant) ! », est emprunté au Ps 118:25, psaume qui faisait partie du Hallel (cantique chanté au moment de la Pâque et aux autres grandes fêtes, notamment à celle des Tabernacles.

Cette entrée en grande pompe ressemble à une investiture. Sa monture est modeste et n’a rien de comparable avec un destrier. Mais celle-ci reste conforme aux pratiques des grands rois d’Israël :

Mt 21,5-9 Dites à la fille de Sion : Voici que ton Roi vient à toi ; modeste, il monte une ânesse, et un ânon, petit d'une bête de somme. Les disciples allèrent donc et, faisant comme leur avait ordonné Jésus, ils amenèrent l'ânesse et l'ânon. Puis ils disposèrent sur eux leurs manteaux et Jésus s'assit dessus. 8. Alors les gens, en très nombreuse foule, étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d'autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient le chemin. Les foules qui marchaient devant lui et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux !

Après la multiplication des pains, Jésus est obligé de s’enfuir quand la foule veut s'emparer de lui pour le faire roi (Jn 6,15). Face à Pilate, il ne nie pas être roi (Jn 18, 33-37), mais il dépouille ce titre de tout caractère politique. Cette question d’une royauté terrestre demeure ouverte toute sa vie durant jusqu’aux derniers instants de Jésus sur terre :

Mt 11:3 « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

Les apôtres eux-mêmes ne comprennent pas immédiatement quelle portée donner à la royauté de Jésus. Encore à l'Ascension, ils lui demandent :

Ac 1,6 « Est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté sur Israël ? »

Quand Jésus se manifeste, tout Israël attend le Messie. Mais Israël attend un libérateur politique, un nouveau David, un Messie conquérant, et pas du tout un serviteur souffrant. Même les apôtres ne comprendront qu’après la Pentecôte la véritable mission de Jésus :

Mc 10,35-37 Jacques et Jean, les fils de Zébédée, avancent vers lui et lui disent: "Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander." Il leur dit: "Que voulez-vous que je fasse pour vous?" - "Accorde-nous, lui dirent-ils, de siéger, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ta gloire."
Act 1,6 « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas rétablir la royauté‚ pour Israël ? »
Jn 18.36 « Jésus répondit: «Ma royauté n'est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais ma royauté, maintenant, n'est pas d'ici. »

Jésus ne tient pas de discours politique et pourtant il parle de règne, de royauté et de royaume. Mais pour Jésus, cette forme de régence ne correspond pas à une réalité politique, sociale ou culturelle. Jésus ne distille aucun programme de réformes. Il ne fait aucune promesse électorale qui pourrait être accomplie par les sciences, la technique ou l’économie. Il ne promet aucune augmentation de salaire, ni des congés payés, pas même une assurance tous risques. Alors de quel royaume s’agit-il et qui donc est ce roi ?

Un premier paradoxe : il paraît que les prémices du royaume sont en germe. À regarder le monde d’aujourd’hui, on constate que l’ivraie conserve une part très envahissante. Et pourtant les évangiles nous affirment dès les premiers versets :

Mc 1,15 : le royaume de Dieu s’est approché

Il s’est approché avec l’irruption de Dieu dans le monde en la personne de Jésus. Jésus manifeste à travers ses paroles et ses actes le « déjà là » et le « pas encore » du royaume de Dieu. Il incarne l’attente messianique en lui donnant une orientation inattendue. Son royaume est celui des pauvres et des exclus, des malades et des opprimés. Il n’a donc aucune chance de renverser le pouvoir par la force. Selon les évangiles, sur la croix de Jésus est accroché un titulus portant l’inscription suivante en latin, hébreu et grec « Jésus le Nazaréen Roi des Juifs » (Mt 27,37).