Jésus à jeun
Une image doloriste de Dieu voudrait que l’homme se mortifie pour communier à sa divinité. Le jeûne est le symbole de ces chemins pierreux vers Dieu. Si les nutritionnistes s’accordent pour affirmer qu’une privation occasionnelle stimule l’organisme, qu’en est-il pour la sainteté ? Dieu n’a nul besoin de voir ses fidèles se morfondre dans la famine. Un texte particulièrement évocateur du prophète Isaïe rappelle la nature du véritable jeûne :
Is 58,5-7 : Est-ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie ? Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable à Yahvé ? N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ? N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans-abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair ?
Jésus affirme lui-même qu’il est un temps pour chaque chose, notamment en présence d’un hôte de marque :
Mc 2,18-20. Les disciples de Jean et les pharisiens étaient en train de jeûner, et on vient lui dire : « Pourquoi les disciples de Jean et les disciples des pharisiens jeûnent-ils, et tes disciples ne jeûnent-ils pas ? » Jésus leur dit : « Les compagnons de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? Tant qu'ils ont l'époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais viendront des jours où l'époux leur sera enlevé ; et alors ils jeûneront en ce jour-là.
L’époux, c’est Jésus en personne qui prend la figure des multiples exclus de cette terre. Le temps du jeûne à l’image des pharisiens qui se donnent une mine déconfite est donc révolu (Mt 6,16). La pénitence n’en demeure pas moins une occasion de s’ouvrir sur des valeurs différentes que celles du ventre. Jésus lui-même prend un temps de jeûne au désert :
Mt 4 1-4 Alors Jésus fut emmené au désert par l'Esprit, pour être tenté par le diable. Il jeûna durant quarante jours et quarante nuits, après quoi il eut faim. Et, s'approchant, le tentateur lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. » Mais il répondit : « Il est écrit : Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu »
Que Jésus ait faim au bout des quarante jours paraît naturel. La leçon est dans le dernier verset : il n’y a pas que les nourritures terrestres qui font grandir l’homme. Si la soupe aide à grandir en taille, celle-ci demeure inefficace sur le plan spirituel ; l’être humain est appelé à nourrir son esprit avec les mots de la parole de Dieu. Le jeûne est donc une disponibilité bien plus qu’une pénitence. Le ventre demande à être entretenu, car ventre affamé n’a pas d’oreilles, ce qui ne favorise pas l’écoute de la parole de Dieu, mais un trop-plein provoque une congestion, ce qui est pire encore. La vie est tout simplement plus que la nourriture :
Mt 6,25-26 Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu'eux ?
Jésus rappelle simplement que l’essentiel n’est pas dans les valeurs matérielles dont la nourriture est un symbole révélateur. La pénitence, tout en forgeant la volonté, est un moyen et non une fin, pour aller à cet essentiel.