Jésus, invitation à la croix

Dans le Nouveau Testament, à maintes reprises, l'appel à une vocation particulière est assorti d'un « Suis moi ! » : Un scribe : Mt 8, 22; Matthieu : Mt 9, 9; le jeune homme riche : Mt 19, 21; Philippe : Jn 1, 43; Pierre : Jn 21, 19. Jésus se choisit tout d’abord douze apôtres pour mener à bien sa mission. Les évangiles restent sobres sur les conditions dans lesquelles les apôtres répondent présents au « suis-moi » lancé par Jésus. Pas une question n’est rapportée, comme pour mieux souligner la force de l’appel et aussi la tension de l’attente d’un messie qui se prolonge depuis 1000 ans. Les apôtres suivent Jésus, sans connaître leur mission, sans saisir la portée du jeu de mots qui change leur destinée :

Matthieu 4,18. Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l'épervier dans la mer ; car c'étaient des pêcheurs. 19. Et il leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. » 20. Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent.

Jésus appelle des hommes - les femmes suivent – prêts à tout quitter pour une noble cause. Cette cause est politique aux oreilles de ceux qui sont appelés. Les hommes et les femmes de cette époque attendent un libérateur politique. Jésus appelle donc au risque de décevoir l’attente et l’un de ses apôtres, Judas, trahira Jésus. Une vision trop simpliste consisterait à voir dans le choix de Judas la finalité de la trahison. Jésus aurait choisi Judas pour être trahi, afin que s’accomplisse sa mission. Cet homme, bien au contraire, est un apôtre au même titre que les autres à qui Jésus accorde sa confiance. Jésus choisit Judas, non pas pour être trahi, mais pour avancer dans sa mission. Le problème se situe dans l’interprétation de l’appel par Judas. Dans l’esprit de Judas, comme dans celui des autres apôtres et de tous les juifs de cette époque, fermente un espoir. Tous ces gens sous occupation romaine attendent un nouveau David pour restaurer la royauté d’Israël. Un malentendu s’installe à la vue et à l’écoute de Jésus qui leur annonce une royauté :

Mt 19,28 Jésus leur dit : « En vérité je vous le dis, à vous qui m'avez suivi : dans la régénération, quand le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël.

Judas espère que ce Jésus est le libérateur tant attendu. Jésus effectivement rassemble les foules, accomplit des miracles, mais jamais dans un dessein temporel. Alors, quand les choses tournent mal, quand il apparaît clairement que le destin politique de Jésus est perdu, Judas passe à l’ennemi et trahit Jésus par un baiser, pour trente pièces d’argent, non sans remords puisqu’il décide de se pendre. Le drame de Judas n’est pas tant sa trahison que son absence de repentir, mais les évangiles restent muets sur ses pensées au moment de mourir. Et là, tout demeure possible, car Jésus n’a pas condamné Judas.

Revenons au « suis-moi » lancé par Jésus. Cet appel comporte une exigence radicale, celle de laisser derrière soi des richesses désormais inutiles. Laisser sa barque de pêcheur est déjà un pas coûteux lorsque ce bien représente son outil de travail (Lc 5, 11). Lévi quitte tout dans le même dessein (Lc 5, 28). Un jeune homme riche est invité à vendre tous ses biens (Mt 19,21). En d’autres circonstances, Jésus invite même à quitter ses proches :

Mt 19,29-30 « Et quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs à cause de mon nom, recevra beaucoup plus et en partage, la vie éternelle. Beaucoup de premiers seront derniers, et beaucoup de derniers, premiers. »

Toutes ces exigences ne sont pas à prendre au pied de la lettre, sauf vocation particulière. Éduquer ses enfants ou s’occuper de parents âgés est aussi une manière de suivre Jésus. Plus qu’une apologie du renoncement, Jésus invite à une pauvreté de cœur et donc à une disponibilité intérieure, condition minimale pour accueillir sa parole.

Le carton d’invitation va jusqu’à prendre la forme d’une croix :

Lc 9,23 « Puis il dit à tous: Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive. »

Qui n’a pas envie de prendre les voiles, tel un Jonas, et de partir à l’opposé ? À travers ces propos très durs, Jésus donne une définition du chrétien. La croix signifie humilité dans la victoire, effacement dans la puissance, renoncement dans le pouvoir, pardon dans la violence. La croix c’est aussi laisser de côté ses propres occupations pour donner du temps ; c’est tout simplement renoncer à son bien pour le bien d’autrui. Ces actes ne visent pas à rechercher une quelconque souffrance, mais à faire grandir la paix et la joie. Tendre l’autre joue signifie qu’une réplique aussi justifiée soit-elle risque d’enclencher une escalade de la violence. Dieu ne demande pas à ceux qui le suivent de s’écraser ou de jouer les enfants de chœur, mais de bâtir un royaume inondé de larmes de joie.