Jésus maître de la loi
Si Jésus se conforme aux lois religieuses et civiles de son pays, il n’en demeure pas moins libre à leur égard. Sur le plan politique, Jésus ne conteste pas l’occupation romaine. Il invite d’ailleurs ses concitoyens à rendre à César ce qui est à César en ce qui concerne le paiement de l’impôt :
Lc 20,20-26 Il leur dit : Eh bien, rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu…
Jésus ne craint pas le pouvoir politique, car il ramène celui-ci à son origine :
Jn 19,10-11 « Pilate lui dit alors: «C'est à moi que tu refuses de parler! Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te relâcher comme j'ai le pouvoir de te faire crucifier»? Mais Jésus lui répondit: «Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut. »
Jésus remet également en cause l’autorité des gardiens de la loi, à savoir les scribes et les pharisiens en affirmant que la loi doit être au service de l’homme et non le contraire. Ses propos et ses actes placent l’homme au-dessus de la loi judaïque et de ses multiples interdits. Jésus n’est pas pour autant un anarchiste cherchant à détruire toute cohésion sociale. Au contraire, il respecte la loi, en lui donnant une orientation nouvelle :
Mt 17,20-23 « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu'à ce que tout soit arrivé... Car, je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Malheur à vous, scribes et pharisiens, hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi, c'est ceci qu'il fallait pratiquer sans négliger cela. »
L’expression signifie tout d’abord que les commandements de l’Ancienne Alliance ne sont pas supprimés. Mais le terme « accomplir » vient les enrichir d’un nouvel accent. La lettre ne suffit plus pour se conformer à la volonté divine. Il convient d’y rajouter l’esprit. Déjà les prophètes Jérémie et Ezéchiel, au moment de l’exil, rappelaient cette impérieuse nécessité d’écrire la loi de l’alliance dans le cœur. Jésus promulgue une loi au service de l’homme et non l’inverse. La loi verrouille les relations humaines lorsqu'elle devient un moyen d’auto-justification : « je suis juste parce que je respecte les commandements ; peu m’importe que mon prochain meure de faim à côté de moi ». Or la légalité ne saurait se substituer à la communion et à l'amour. La seule véritable valeur, c’est l’homme dans sa dignité d’homme. La parabole du bon Samaritain montre que le respect tatillon de la loi se transforme en non-assistance à personne en danger (Lc 10,30-33). Le prêtre et le lévite, ces « hommes de Dieu » n’ont pas le droit de toucher un blessé, car ils risqueraient de contracter une impureté. Le samaritain pourtant hostile aux juifs accepte de le secourir.
Le respect d’une pratique rituelle n’a pas de fin en soi, pas même le respect du sabbat, jour pourtant béni de Dieu. Il est interdit de « travailler » en ce jour sacré, mais est-il interdit de se nourrir ou de faire du bien ? :
Mc 2,23-3,5 Et il advint qu'un jour de sabbat il passait à travers les moissons et ses disciples se mirent à se frayer un chemin en arrachant les épis. Et les pharisiens lui disaient: "Vois! Pourquoi font-ils le jour du sabbat ce qui n'est pas permis?" Il leur dit: "N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans le besoin et qu'il eut faim, lui et ses compagnons, comment il entra dans la demeure de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar, et mangea les pains d'oblation qu'il n'est permis de manger qu'aux prêtres, et en donna aussi à ses compagnons?" Et il leur disait: "Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat; en sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat." Il entra de nouveau dans une synagogue, et il y avait là un homme qui avait la main desséchée. Et ils l'épiaient pour voir s'il allait le guérir, le jour du sabbat, afin de l'accuser. Il dit à l'homme qui avait la main sèche: "Lève-toi, là, au milieu." Et il leur dit: "Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer?" Mais eux se taisaient. Promenant alors sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur cœur, il dit à l'homme: "Étends la main." Il l'étendit et sa main fut remise en état.
La loi de l’Ancienne Alliance assurait une cohésion politico-religieuse au sein d’un peuple en marche. Elle permettait aussi de se justifier devant Dieu et de montrer du doigt le coupable, de le juger et de le condamner. Bien sûr lorsque Jésus affirme qu’il ne faut pas juger (ne jugez pas et vous ne serez pas jugé - Lc 6,37), il ne remet pas en cause la nécessité des juridictions qui servent la protection des individus et de la société. Jésus rappelle que personne n’est irréprochable et qu’avant de jeter un regard critique et désobligeant sur son voisin, voire de l’espionner, il convient de s’examiner soi-même :
Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans le tien, tu ne la remarques pas ?
Il est bien plus facile de montrer les défauts et les manques de son voisin que de se regarder soi-même. Même dans les services rendus, chacun voit ses propres actions. Et celles-ci se posent alors comme des visières empêchant de voir ce que fait l’autre et servant à se justifier. Jésus dénonce cette attitude des pharisiens qui s’enorgueillissent de leur apparente perfection dans une observation scrupuleuse des décrets religieux :
Lc 18,11-14 « Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le publicain, se tenant à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel; mais il se frappait la poitrine, en disant: O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur. Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l'autre. Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé. » S’il est difficile de se justifier devant les hommes, combien plus devant Dieu ! Personne ne peut se dire juste devant Dieu par des arguments tirés de la loi :
Rm 3,20 « puisque personne ne sera justifié devant lui par la pratique de la Loi : La Loi ne fait que donner la connaissance du péché ».
Il ne saurait donc être question de revendiquer les clés du paradis à travers une observance scrupuleuse de la loi. Décrets et commandements tracent un chemin balisé. Jésus n’hésite pas à s’en écarter dès lors que la vie est en jeu. Le pécheur est celui qui ne respecte pas la vie. Jésus brise ainsi l’image de l’homme parfait devant la loi, pour se conformer à l’image de Dieu dont jaillit la vie.