Jésus roi des exclus

Jésus n’est pas venu pour les justes et les bien-portants :

Luc 5,30. Les pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » Et, prenant la parole, Jésus leur dit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir.

Les paroles de Jésus s’adressent à tous les hommes, quels que soient leur statut et leurs compétences. Elles rejoignent les hommes dans leur existence concrète et les appellent à œuvrer pour la construction du royaume de Dieu dans leur vie personnelle et sociale. Concrètement, Jésus nous invite à la pauvreté, à la non-violence, au don de soi-même et de ses biens, à l’amour de ses ennemis, à ne pas juger et à ne pas condamner :

Lc 6,20-38 « Et lui, levant les yeux sur ses disciples, disait: "Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous… Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous diffament. À qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre; à qui t'enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique. À quiconque te demande, donne, et à qui t'enlève ton bien ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement... Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés; remettez, et il vous sera remis. Donnez, et l'on vous donnera; c'est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu'on versera dans votre sein; car de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour." »

Avec un tel programme, il n’est pas certain que Jésus aurait eu un franc succès électoral. Et pourtant il s’agit de bon sens. Ces béatitudes du sermon sur la montagne impliquent un renversement de valeurs. Ici, il ne saurait être question de pouvoir, de domination ou d’être le premier. Au contraire, c’est à la dernière place que Jésus nous invite :

Lc 14,7-11 « Il disait ensuite une parabole à l'adresse des invités, remarquant comment ils choisissaient les premiers divans ; il leur disait : « Lorsque quelqu'un t'invite à un repas de noces, ne va pas t'étendre sur le premier divan, de peur qu'un plus digne que toi n'ait été invité par ton hôte, et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire : «Cède-lui la place. » Et alors tu devrais, plein de confusion, aller occuper la dernière place. Au contraire, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, de façon qu'à son arrivée celui qui t'a invité te dise : «Mon ami, monte plus haut. » Alors il y aura pour toi de l'honneur devant tous les autres convives. Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé. »

Tout est centré sur le dépouillement de soi pour aller à l’essentiel. Dans un autre récit, face à un jeune homme riche, Jésus demande de vendre ses biens afin de le suivre. Le jeune homme s’en retourne tout triste, car il possède beaucoup de biens (Mc 10,17-23). Jésus ne prône cependant pas la pauvreté pour elle-même ; simplement une disponibilité pour accueillir les malades et les nécessiteux. Nous n’emporterons pas au paradis toutes les richesses accumulées sur cette terre :

Lc 12 15. Puis il leur dit : « Attention ! gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de l'abondance, la vie d'un homme n'est pas assurée par ses biens. » Lc 16,13. « Nul serviteur ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent. » Ps 49,16 « Ne crains pas quand l'homme s'enrichit, quand s'accroît la gloire de sa maison. À sa mort, il n'en peut rien emporter, avec lui ne descends pas sa gloire. »

Le royaume de Dieu n’est autre que celui de l’amour, avec Jésus pour roi et la croix pour sceptre. Il appartient aux exclus et aux opprimés. Pour avoir part à ce royaume, il vaut mieux être pauvre et malade que riche et bien portant. C’est le monde à l’envers. Les riches et bien portants sont-ils exclus du royaume ? Ils ont déjà leur récompense ici-bas. Jésus fréquente les petits de ce monde au risque d’être incompris et rejeté. Il accepte qu’une pécheresse lui lave les pieds à la table d’un pharisien (Lc 7,36-50). Il mange et boit avec des collecteurs d’impôts et des pécheurs (Lc 5,27-31). Il demande de jouer les restos du cœur plutôt que d’inviter proches et amis :

Lc 14,12-14 Puis il disait à celui qui l'avait invité : « Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, de peur qu'eux aussi ne t'invitent à leur tour et qu'on ne te rende la pareille. Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu alors de ce qu'ils n'ont pas de quoi te le rendre ! Car cela te sera rendu lors de la résurrection des justes. »

Jésus ne pousserait-il pas le bouchon un peu loin ? Il pourrait être taxé d’idéaliste et de rêveur tant ses recommandations paraissent éloignées de la réalité ambiante. Jésus se contente de tracer un chemin, certes sous la forme d’une croix, mais ce chemin mène au royaume de Dieu. Ce royaume est donc déjà là à chaque fois qu’un mot ou qu’un geste fait grandir l’humanité vers plus de liberté, de paix et de joie. Que d’occasions perdues ! Si chacun rêve d’arrêter les guerres ou de supprimer les famines, il faut commencer par balayer devant sa propre porte, à la mesure de notre pouvoir (dire « tu » au lieu de « moi je » dans un dialogue ; offrir un sourire ou un peu de notre temps si précieux). Le royaume de Dieu est loin d’être accompli et, si l’homme ne détient pas les pouvoirs de l’épilogue – la victoire sur la mort-, il oublie trop souvent qu’il en est un acteur de premier plan.