Dieu Mère

Nous parlons exclusivement d'un Dieu Père, sans même envisager qu'il est tout autant Mère. N'est-ce pas le premier visage que Dieu offre dans la création. Seule une mère peut accoucher d'un univers.

Cette image de Dieu Mère, capable d'enfanter, pleine de bonté et de compassion, a été remplacée par la figure d'un Dieu guerrier, libérateur et tout-puissant, toujours prêt au combat pour son peuple. Mais de nombreux passages ont gardé la trace de la maternité de Dieu.

La maternité du Père

Plusieurs caractéristiques maternelles se retrouvent en Dieu.

La tendresse

« Le Bon Dieu est plus tendre qu'une mère » disait Thérèse de l'Enfant Jésus.

Ps 103,13 Comme est la tendresse d’un père pour ses fils, tendre est Yahvé pour ceux qui le craignent
Ps 131,2 Je tiens mon âme en paix et silence; comme un petit enfant contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi

Les entrailles

Cette tendresse se prolonge jusque dans les "entrailles". Le mot "entrailles" rehem en hébreu, désigne le sein maternel, la matrice. Nous le retrouvons en grec dans le "Je vous salut Marie... Le fruit de tes entrailles". La forme plurielle hébraïque, rahamim, signifie "miséricorde".

Is 49,15 Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle nourrit, cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles ? Même s'il s'en trouvait une pour t'oublier, Moi, je ne t'oublierai jamais
Is 63,15-16 Regarde du ciel et vois, depuis ta demeure sainte et glorieuse. Où sont ta jalousie et ta puissance ? Le frémissement de tes entrailles et ta pitié pour moi se sont-ils contenus ? Pourtant tu es notre père. Si Abraham ne nous a pas reconnus, si Israël ne se souvient plus de nous, toi, Yahvé, tu es notre père, notre rédempteur, tel est ton nom depuis toujours.
Os 11,8 Comment t'abandonnerais-je, Ephraïm, te livrerais-je, Juda ? Mon coeur en moi se retourne, toutes mes entrailles frémissent
Jr 31,20 Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, pour qu'après chacune de mes menaces je doive toujours penser à lui, et que mes entrailles s'émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse ?
Is 42,15 Comme une femme en travail, je gémis, je suffoque, et je suis oppressé tout à la fois.

Sage-femme

Telle une sage-femme, Dieu est celle qui donne accès à la vie

Ps 22,10-11 Toi, tu m’as fait surgir du ventre de ma mère et tu m’as mis en sécurité sur sa poitrine. Dès la sortie du sein, je fus remis à toi; dès le ventre de ma mère, mon Dieu c’est toi !.
Isaïe 66,9 Est-ce que moi j'ouvrirais passage à la vie pour ne pas faire enfanter ? – dit le SEIGNEUR. Est-ce que moi, qui fais enfanter, j'imposerais à la vie une contrainte ? – dit ton Dieu.

L'allaitement

Nb 11,12 Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, est-ce moi qui l'ai enfanté ? que tu me dises : «Porte-le sur ton sein, comme la nourrice porte l'enfant à la mamelle, au pays que j'ai promis par serment à ses pères» ?

Os 11,3-4 Et moi j'avais appris à marcher à Éphraïm, je le prenais par les bras, et ils n'ont pas compris que je prenais soin d'eux! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour; j'étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m'inclinais vers lui et le faisais manger

Is 66,12-13, Car ainsi parle le Seigneur : Voici que je fais couler vers elle la paix comme un fleuve, et l'opulence des nations comme un torrent qui déborde. Vous serez allaités, portés sur la hanche et caressés sur les genoux. Comme un enfant que sa mère console, moi aussi je vous consolerai, et dans Jérusalem vous serez consolés.

Is 66,10-11 Réjouissez-vous avec Jérusalem et jubilez à cause d'elle, vous tous qui l'aimez ; soyez avec elle transportés d'allégresse, vous tous qui menez son deuil, afin d'être allaités et rassasiés à la mamelle de ses consolations, afin de sucer avec délices le sein de sa gloire

1P 2,1-3 Rejetant donc toute malice et toute fourberie, hypocrisies, jalousies et médisances de toute sorte, comme des enfants nouveau-nés, désirez le lait de la parole, qui ne trompe pas, afin que, par lui, vous croissiez pour le salut, puisque vous avez goûté comme est bon le Seigneur.

Cette maternité se révèle aussi dans l'un des noms de Dieu : Shaddaï.

Dans le Nouveau Testament, Jésus utilise l’image d’une poule regroupant ses poussins pour décrire la volonté de Dieu de rassembler son peuple (Mt 23,37). Dans la parabole de la drachme perdue, Dieu est comparé à une femme cherchant une pièce précieuse (Lc 15,8-10).

Ces quelques exemples montrent que Dieu possède des caractéristiques féminines. Les auteurs bibliques ont progressivement donné des traits féminins à un Dieu marqué au départ par la paternité des patriarches. Dans une société dominée par les hommes, l’image de Dieu s’est progressivement laissée façonner par les expériences personnelles des uns et des autres, des expériences féminines, des maternités et des enfantements. Dieu se dit dans la création sous les multiples richesses que celle-ci recèle.

Ni masculin, ni féminin

Dieu possède des caractéristiques féminines sans pour autant prendre le nom de « mère ». La féminité de Dieu se cantonne dans un rôle de maternité sans jamais endosser le titre de mère, de femme ou d’épouse.

Nous butons sur la représentation de Dieu avec nos catégories humaines. Pour incarner son autorité et sa puissance, Dieu se moule dans une masculinité plus à même d’être accueillie et comprise par un peuple en marche. Par ailleurs, le nom de « mère » aurait assimilé Dieu aux divinités de la fécondité. Dieu possède assurément les qualités des deux genres, sans pour autant s’identifier au masculin et au féminin au sens sexuel de ces termes :

Le Dieu Père transcende toute distinction sexuelle, si bien que sa paternité ne peut être qualifiée ni de masculine, ni de féminine. Mais elle comporte à un niveau divin tout ce qui caractérise paternité et maternité (Jean GALOT, Dieu en trois personnes, Parole et silence, 1999. p. 59).

Voir l'étude sur Dieu masculin.

Synésius de Cyrène (373-414), le philosophe-évêque, a écrit un long hymne à Dieu qui met ce point en poésie :

Tu es le principe du passé, du présent, du futur, du possible. Tu es le père, tu es la mère; tu es le mâle, tu es la femelle; tu es la voix, tu es le silence; tu es la nature féconde de la nature; tu es le roi, l’éternité de l’éternité. Hymne II.

Quand l’aube paraît, quand la lumière croît, quand le jour est à son midi, quand il touche à son déclin, quand vient la nuit brillante, c’est toi, toujours toi que je célèbre, ô Père ! Médecin des âmes, médecin des corps, dispensateur de la sagesse, tu éloignes les maladies, tu donnes une douce existence que ne troublent point les terrestres inquiétudes, mères des douleurs, mères des souffrances. Daigne garder ma vie exempte de soucis, afin que je puisse chanter dans mes hymnes la source mystérieuse de toutes choses, et que jamais les péchés ne viennent m’entraîner loin de Dieu. Hymne IV.

Je chante encore ton Fils, le premier-né, la première lumière. Fils glorieux du Père ineffable, je t’unis dans mes hymnes au Père suprême, et à celui qu’en vue de toi le Père a enfanté, au principe médiateur, Esprit saint, Volonté féconde, centre du Père, centre du Fils. Cette Volonté, elle est la mère, elle est la sœur, elle est la fille tout à la fois. Hymne IV.
Voir le lien dans la bibliothèque.

Père plus que mère ?

Rémi Brague nous propose une réflexion sur la paternité et la maternité de Dieu.

L'idée de création, appliquée d'abord implicitement au peuple, puis explicitement à l'ensemble de ce qui existe, entraîne une autre image, qui vient s'ajouter à l'image conjugale du Dieu d'Israël comme époux de son peuple. C'est celle du Dieu d'Israël comme père de son peuple qui est son fils (Osée 11, 1), voire son fils aîné (Exode 4, 22). Parce qu'il crée, Dieu se révèle comme père. Mais l'idée de création apporte en retour à celle de paternité une correction décisive. En un mot : l'idée de paternité est découplée de celle de virilité. Un père, dans le domaine biologique, est d'abord un mâle. Il devient père de par sa capacité à féconder une femelle qu'il rend mère. Il ne peut être père à lui seul. Il faut qu'il y ait un « terrain favorable ». Or, l'initiative de Dieu est si totale qu'il n'en a nul besoin. Dieu est père, mais il n'est pas mâle. Et il ne suffit pas de dire qu'il est père, bien qu'il ne soit pas mâle. Il faut aller jusqu'à risquer que s'il peut être le Père, le Père absolu, c'est précisément parce qu'il n'est pas mâle. Un déséquilibre se fait jour ici. Dieu est père, et père absolu, et non mère. Pour le comprendre, réfléchissons quelques instants à ce qui distingue la paternité de la maternité — au niveau de notre expérience humaine.

La mère tire de sa propre chair l'enfant qui y croît. Le père apporte bien de sa chair, mais seulement dans l'instant limite de la fécondation. Et celui-ci n'est pas perçu comme provoquant une co-appartenance de l'enfant et du géniteur. Jamais l'enfant ne « fait partie» du corps de son père. En revanche, pendant la période de gestation, il ne fait qu'un avec sa mère — sinon pour la biologie, en tout cas pour la façon dont la mère le ressent. De même Dieu, en créant, crée ce qui ne lui est pas consubstantiel. On peut très bien se représenter la créature, une fois qu'elle est posée dans l'être, comme contenue en Dieu, comme enveloppée par lui dans un soin providentiel — sollicitude qui évoque des images maternelles. Mais jamais l'acte de créer n'est pensé, dans le christianisme, comme création de quelque chose qui serait consubstantiel à Dieu.

Ce qui est en jeu dans cette précision, ce n'est rien de moins qu'une certaine conception de la liberté. Le père doit reconnaître son enfant, une fois qu'il est né. Certaines civilisations, comme par exemple Rome, ont fait de cette nécessité un rite religieux. Mais même là où ce n'est pas le cas, là où rien ne vient souligner le fait et le rendre conscient, la réalité reste. Le père reconnaît son enfant dans un acte de liberté que rien ne le contraint à poser. La mère, elle, sait très bien que l'enfant est d'elle — parce qu'il a été elle. Elle ne peut pas ne pas admettre que l'enfant est d'elle. Réciproquement, l'enfant est envers son père dans un rapport de liberté qui ne peut s'instaurer envers sa mère. On ne peut pas choisir ce à quoi on a appartenu depuis toujours. Un exemple peut illustrer la valeur respective de ces images : le pays d'origine, là où il apparaît comme patrie (« pays du père »), est l'objet d'un patriotisme qui peut être choisi. Là où, en revanche, apparaît la nation (au sens étymologique : la portée d'une femelle animale), le sentiment sous-jacent est celui d'une appartenance inévitable, que l'on ne peut choisir.

Rémi BRAGUE : Dieu le Père est-il un mâle ? Réflexion sur la masculinité, la virilité et la paternité. Communio, n° XVIII, 2 — mars-avril 1993. Voir le lien dans la bibliothèque.

Témoignages

La proximité de Dieu est telle qu’il se présente comme une mère, comme une mère qui dialogue avec son enfant. Une mère quand elle chante une berceuse à son enfant et qu’elle prend la voix de l’enfant et se fait petite comme l’enfant et parle avec le ton de l’enfant au point de faire le ridicule si l’on ne comprenait pas ce qu’il y a là de grand. Pape François, Homélie du 11 décembre 2014.

Nous sommes les objets, de la part de Dieu, d’un amour éternel. Nous le savons : il a toujours les yeux ouverts sur nous, même quand il semble qu’il fasse nuit. Il est père ; plus encore, il est mère. Jean-Paul I, Angelus du 10 septembre 1978.

Tout ce qu’il y a de maternité dans le cœur de Marie jaillit du cœur de Dieu, qui est encore infiniment plus maternel qu’elle-même, et justement, pour que nous apprenions que Dieu est notre mère, que nous le connaissions au féminin, pas seulement au masculin : car Dieu est aussi féminin qu’il est masculin, comprenant dans son éminence, l’éminence tous les aspects de l’être !

Marie nous révèle Dieu au féminin : elle nous révèle la maternité de Dieu. Elle nous permet de prier Dieu au féminin, comme une Maman ! Et c’est vrai ! Dieu est plus mère que toutes les mères ! Et nous pouvons l’appeler MAMAN ! Finalement, quand nous sommes a quia, que nous ne savons plus que dire, quand la prière est dans notre bouche comme du sable, il reste ce cri, ce cri ! Ce cri qui dit tout, qui appelle tout, et qui donne tout : maman ! Ce cri qui peut jaillir de notre cœur vers Marie, car dans notre inconscient, c’est une femme qui, justement, qui est pour nous la révélation de cette maternité de Dieu : ce cri va jaillir de notre cœur vers Marie, et à travers le cœur de Marie, il montera comme une fusée vers le cœur de Dieu qui est encore infiniment plus mère que toutes les mères ! Maurice Zundel - Voir le lien dans la bibliothèque.

Voir l'étude sur Dieu Père.