Dieu masculin
Nous avons approfondi la notion de Dieu Père et celle de Dieu Mère. Nous avons conclu que Dieu n’est ni masculin ni féminin bien qu’il se manifeste aussi bien sous les traits de la paternité que de la maternité.
Mais le langage humain doit faire appel à des catégories bien définies pour rendre témoignage de la révélation divine. Il en ressort que le langage lui a donné des caractéristiques masculines.
Dieu n’est pas un humain
Deux passages bibliques affirment explicitement que Dieu n’est pas un « être humain ».
Os 11,9 Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, je ne reviendrai pas détruire Ephraïm ; car je suis Dieu et non pas homme (ish en hébreu, anthropos en grec), au milieu de toi, je suis saint : je ne viendrai pas avec rage.
Nb 23,19 Dieu n’est pas un homme (ish en hébreu, anthropos en grec) pour mentir, il n’est pas un fils d’Adam (ben Adam en hébreu, anthropos en grec) pour changer d’opinion. Il n’affirme jamais rien sans tenir parole, ce qu’il promet, il le réalise.
L’utilisation du mot "ish" étonne. En effet, celui-ci renvoie à la création de l’homme masculin face à la femme (ish et isha). Mais l’auteur ne cherche pas à souligner que Dieu pourrait être une femme. La traduction grecque des Septante "rectifie" en utilisant le terme générique "anthropos".
La traduction française "homme" entraîne une ambiguïté. Ce mot est encore un terme générique qui englobe aussi bien le masculin que le féminin. Mais la sémantique tend désormais à différencier les genres, comme le montrent les réformes liturgiques à propos des« frères et sœurs ». La Bible devrait changer le mot « homme », dès lors que celui-ci désigne le genre masculin, afin d’éviter toute ambiguïté.
Les noms de Dieu
Tous les noms bibliques sont du genre masculin : Yahvé, Adonaï, Élohim, Shaddaï. Les traductions françaises "Dieu", "Seigneur", "Tout-puissant", sont-elles aussi masculines.
La ruah de la Genèse fait exception puisqu’elle est du genre féminin.
Le mot hébreu qui désigne le souffle, l’Esprit de Dieu planant sur les eaux au début de la Genèse est au féminin, rouah (Gn 1,2). Tout comme la présence de Dieu au milieu de son peuple, la Shékinah (Ex 25,8 et Is 8,18). Ou encore la Sagesse divine, hotmah, quasi personnifiée dans les livres sapientiaux. « Le genre du mot employé n’a peut-être pas une signification particulière, mais ce qui importe, c’est que la figure biblique de la Sagesse est toujours féminine, qu’elle emprunte les traits d’une sœur, d’une mère ou d’une bien-aimée, d’une restauratrice hospitalière, d’une prédicatrice, d’une avocate, d’une libératrice, d’une pacificatrice… », écrit Elizabeth Johnson. Céline Hoyeau, Dieu est-il masculin ? La Croix, 18/11/2019.
Les traductions ont masculinisé l’Esprit (der Geist...). De plus l’Esprit n’est-il pas le souffle de Dieu qui vient en Marie dans le mystère de l’incarnation ? N’accomplit-il pas une mission "masculine" ?
Dieu prend aussi la figure de l’époux. Les tribus d’Israël et de Juda jouent le rôle de l’épouse dans l’Ancien Testament. Pour le Nouveau Testament, Jésus endosse le rôle de l’époux et l’Église celui de l’épouse.
Les anges, envoyés de Dieu, portent aussi un nom masculin : Michel (livre de l’Apocalypse), Gabriel (évangile de Luc) et Raphaël (livre de Tobie). Dans la Genèse, les deux anges qui se présentent à Loth prennent l’apparence de deux hommes (Gn 19).
https://communio.fr/numero/resume/656/dieu-le-p-re-est-il-un-m-le-r-flexion-sur-la-masculinit-la-virilit-et-la-paternit
Masculin sans virilité ?
Rémi Brague nous propose une réflexion sur la masculinité de Dieu.
Mais si le Dieu d'Israël crée à son image un être qui est homme et femme, est-il de ce fait pourvu des deux sexes, et donc bisexué ? Ou au-dessus des deux, donc asexué ? Il n'y aurait là non plus rien de remarquable : les mythologies connaissent des dieux androgynes, comme Hermaphrodite — nom propre devenu adjectif. Or, rien ne laisse supposer que le Dieu d'Israël soit bisexué ou asexué — soit au-dessus de la différence sexuelle, soit au-dessus de la sexualité en général. Tout au contraire. Le nom de YHWH, pour la grammaire, se construit au masculin. Les images bibliques, dans leur grande majorité, impliquent elles aussi une figure masculine...
Mais regardons de plus près en quoi consiste la masculinité du Dieu d'Israël : YHWH n'a pas d'épouse, comme Zeus a Héra. Il n'a pas même de « parèdre », de petite partenaire féminine, comme en ont les dieux des Sémites de l'Ouest...
On peut en tirer une importante conséquence, sous la forme d'une distinction à opérer entre la masculinité et la virilité. Le français moderne comprend la virilité comme la puissance sexuelle, comme la capacité pour l'homme de féconder une femme. La virilité est la capacité de remplir la fonction d'époux — en latin, vir. Or, la masculinité du Dieu d'Israël n'est pas une virilité, elle ne se conçoit pas comme orientée vers une figure divine féminine.
Rémi BRAGUE : Dieu le Père est-il un mâle ? Réflexion sur la masculinité, la virilité et la paternité. Communio, n° XVIII, 2 — mars-avril 1993. Voir le lien dans la bibliothèque.
Les représentations dans l'art
A notre connaissance, il n’existe aucune représentation féminine de Dieu dans l’art. Dieu (le Père) est toujours représenté en homme, c’est-à-dire dans le genre masculin, avec toutes les limites que comporte une telle représentation.
Quant à Dieu le Père, on peut bien dire qu’il s’agit là d’une dénomination symbolique, qui parle plus de la relation que nous entretenons à lui que de ce qu’il est en lui-même. Dieu, infini, est au-delà de toutes nos catégories, y compris de nos catégories genrées (affirmation partagée, bien sûr, dans le judaïsme et l’islam). Mais Jésus-Christ ? Si en effet, pour ses disciples, Jésus-Christ est vraiment Dieu, alors le christianisme est la seule religion dont on puisse dire littéralement que le Dieu est un homme (masculin). Neutraliser le genre de Dieu, ce serait risquer finalement de le désincarner.
Qu’en est-il de cette troisième personne ? À supposer que le féminin lui convienne, cela ne voudrait pas dire concéder un tiers seulement de féminité à Dieu. Car dans la Trinité, aucune des trois personnes n’existe pour elle-même. Au contraire, chacune n’existe que dans le mouvement par lequel elle va vers les autres. Ainsi, le Père n’existe qu’à engendrer le Fils, c’est-à-dire à se donner entièrement à lui. Mais inversement, le Fils n’est rien d’autre que l’image du Père. Il n’existe que pour montrer le Père, lui rendre témoignage. Anthony Feneuil. Voir le lien dans la bibliothèque.
Le tableau du Fils prodigue de Rembrandt (XVIIe) présente une particularité : une main masculine et une main féminine. Dieu a les mains d’un couple pour nous rappeler que l’homme et la femme sont à l’image de Dieu.

Les œuvres d’art sur la Trinité représentent souvent l’Esprit en colombe comme ci-dessous au Sacré-Cœur de Montmartre.

L’icône de la Trinité d’Andreï Roublev représente les trois personnes sous la forme d’anges. Qui est qui ? Réponse ici !

La fresque de Dieu-Trinité, de Gino Severini, dans l'église de Semsales : Trois adultes humains de genre masculin, étonnement semblables, mais distincts grâce aux attributs de chacun, un globe terrestre pour le Père, une croix pour le Fils et une colombe pour l’Esprit.

Conclusion
La masculinité de Dieu est le fruit d’une société androcentrique. Les mouvements féministes ont eu le mérite de mettre en évidence la contradiction d’un discours enfermé dans des stéréotypes. Ils ont fait ressortir à juste titre la maternité de Dieu. Mais les réflexions ne sauraient rectifier en quelques mots ce que la Tradition a véhiculé pendant des siècles. Dieu n’est ni homme ni femme, mais la Bible, la Tradition et l’Église l’ont décrit sous un genre masculin. Pourtant, la moitié de l’humanité symbolise la féminité de Dieu.