Dieu juge

justice de Dieu

La bible nous présente l’image d’un Dieu juge qui délibère en sa transcendance et sa souveraineté. Il est l’arbitre des peuples et le juge de la personne individuelle. S’il est lent à la colère, la menace de son verdict plane constamment au-dessus de l’homme :

Car Yahvé est notre juge, Yahvé est notre législateur, Yahvé est notre roi : c’est lui qui nous sauve. Is 33,22.

Yahvé est l'arbitre des peuples. Juge-moi, Yahvé, selon ma justice et selon mon intégrité. Dieu le juste juge, lent à la colère, mais Dieu en tout temps menaçant. Psaumes 7,8.

Cette autorité suprême, Dieu la revendique jusque dans le panthéon divin. Dieu s’en prend aux autres divinités et leur reproche leur fausse justice.

Dieu s’est dressé dans l’assemblée divine,
au milieu des dieux, il juge :
Jusqu’à quand jugerez-vous de travers
en favorisant les coupables ?
Soyez des juges pour le faible et l’orphelin,
rendez justice au malheureux et à l’indigent ;
4libérez le faible et le pauvre,
délivrez-les de la main des coupables.
Mais ils ne savent pas, ils ne comprennent pas,
ils se meuvent dans les ténèbres,
et toutes les assises de la terre sont ébranlées.
Je le déclare, vous êtes des dieux,
vous êtes tous des fils du Très-Haut,
7pourtant vous mourrez comme les hommes,
vous tomberez tout comme les princes.
Lève-toi, Dieu ! Sois le juge de la terre,
car c’est toi qui as toutes les nations pour patrimoine. Ps 82,1-8.

Il est l’unique arbitre des peuples et le juge de la personne individuelle. S’il est lent à la colère, la menace de son verdict plane constamment au-dessus de l’homme (Ps 7,8). Nous serons tous jugés, les petits avec plus de délicatesse et les puissants de ce monde avec plus de rigueur.

Le Seigneur fondra sur vous d'une manière terrifiante et rapide. Un jugement inexorable s'exerce en effet sur les gens haut placés; 6.  au petit, par pitié, on pardonne, mais les puissants seront examinés puissamment. 7.  Car le Maître de tous ne recule devant personne, la grandeur ne lui en impose pas; petits et grands, c'est lui qui les a faits et de tous il prend un soin pareil, 8.  mais une enquête sévère attend les forts. (Sg 6,5-7).

Inutile de chercher à le corrompre et à acheter sa miséricorde avec des présents (Dt 10,17). Comment l’homme pourrait-il d’ailleurs se justifier devant Dieu. Job en fait l’amère expérience, lui le juste qui souffre le martyre en sa chair demande à Dieu des explications. Mais finalement, Job se rend compte qu’on ne discute pas avec Dieu. Il est vain d’apporter des arguments sur sa droiture ou sa piété. D’ailleurs, Dieu ne trouverait-il pas toujours quelque chose à redire sur la conduite humaine ? A chercher à se justifier, on finirait par s’enfoncer encore un peu plus, car Dieu voit au-delà de l’horizon du jugement humain.

Jb 9,1 Job prit la parole et dit: En vérité, je sais bien qu'il en est ainsi: l'homme pourrait-il se justifier devant Dieu? A celui qui se plaît à discuter avec lui, il ne répond même pas une fois sur mille… Et moi, je voudrais me défendre, je choisirais mes arguments contre lui ? Même si je suis dans mon droit, je reste sans réponse; c'est mon juge qu'il faudrait supplier.

Certains passages bibliques nous présentent Dieu comme un juge qui inspecterait nos bonnes et mauvaises actions :

Les yeux de l’Éternel sont en tout lieu, observant les méchants et les bons. (Pr 15,3).
Car Dieu voit la conduite de tous, il a les regards sur les pas de chacun. Il n’y a ni ténèbres ni ombre de la mort où puissent se cacher ceux qui commettent l’iniquité. Dieu n’a pas besoin d’observer longtemps, pour qu’un homme entre en jugement avec lui. (Jb 34,21-23).

Faut-il craindre le regard de Dieu et se cacher à la première faute comme Adam et Ève dans le récit de la Genèse (Gn 3,8) ? Pas vus, pas pris doivent-ils penser. Victor Hugo décrit l’œil intrusif de Dieu dans le poème « La conscience » : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » Cet œil nous scrute jusque dans nos consciences et notre intimité. Il porte sur nous un jugement inquisiteur. Jean-Paul Sartre ressent ce regard de Dieu qui cherche à le prendre en faute :

Dieu me vit, je sentis Son regard à l’intérieur de ma tête et sur mes mains ; je tournoyai dans la salle de bains, horriblement visible, une cible vivante.

Mais n’allons pas prêter à Dieu des sens humains. Dieu ne voit pas à la manière d’un homme (1S 16,7). Dieu n’a pas d’yeux. L’anthropomorphisme enferme Dieu dans une image déformante qui nous pousse à nous voiler plutôt qu’à nous laisser accompagner par une présence.

Au plus près de l’homme, Dieu prend la figure du redresseur de torts, du justicier chargé de redresser le droit violé. Il vole au secours des petits et des pauvres, parfois avec violence. Sa préoccupation première se porte sur ceux qui ne bénéficient pas d’une protection sociale à cause de leur faiblesse : les opprimés, les affamés, les prisonniers, les courbés, les immigrés, les veuves et les orphelins, en somme tous les petits (anawim) :

Ps 146,7. il rend justice aux opprimés, il donne aux affamés du pain, Yahvé délie les enchaînés. 8. Yahvé rend la vue aux aveugles, Yahvé redresse les courbés, Yahvé aime les justes, 9. Yahvé protège l'étranger, il soutient l'orphelin et la veuve. Mais détourne la voie des impies.

Contrairement à ce que l’opinion courante voudrait faire croire aujourd’hui, l’homme est naturellement un être religieux, c’est-à-dire qu’il se tourne spontanément vers des forces supérieures qu’il honore, quelle que soit la forme de cette croyance et de ce culte. Parmi les peuples du Moyen-Orient, le petit peuple des Hébreux a vécu ainsi. Mais une nuance importante le distingue des autres : il ne croit pas seulement en des forces tutélaires, protectrices, comme les Grecs croyaient en leurs divinités poliades (chaque cité a sa divinité protectrice), il croit en un Dieu unique, libérateur du peuple tout entier. L’expérience fondatrice de cette croyance est le passage de la Mer Rouge, relaté par le livre de l’Exode notamment, que la liturgie [2] fait relire chaque année au début du temps du carême. C’est un homme choisi par Dieu, Moïse, qui explique cela au peuple :

C’est pourquoi tu diras aux Israélites : ‘Je suis Yahvé et je vous soustrairai aux corvées des Égyptiens ; je vous délivrerai de leur servitude et je vous rachèterai à bras étendus et par de grands jugements’. (Ex 6, 6)

Le jugement de Dieu c’est d’abord un acte d’autorité face à ceux qui se comportent comme des ennemis de son peuple, les Égyptiens ; c’est une libération de la misère dans laquelle ils se trouvent, asservis par un peuple étranger et réduits à des « cadences infernales » de travail pour fabriquer les briques qui serviront aux demeures des Égyptiens. Cette expérience fondatrice d’un Dieu qui libère son peuple de ses ennemis, les Hébreux la referont à plusieurs reprises dans leur histoire – petit peuple en butte à des adversaires souvent beaucoup plus nombreux et mieux armés –, en sorte qu’elle est devenue comme le prototype du destin d’Israël, l’expérience qui l’accompagnera jusqu’à la fin des temps dans la lutte contre ses ennemis. C’est ce qu’exprime la parole divine transmise par le prophète Joël :

Car en ces jours-là, en ce temps-là, quand je rétablirai Juda et Jérusalem, je rassemblerai toutes les nations, je les ferai descendre à la vallée de Josaphat ; là j’entrerai en jugement avec elles au sujet d’Israël, mon peuple et mon héritage. Car ils l’ont dispersé parmi les nations et ils ont partagé mon pays. (Jl 4, 1-2)

Quelle nouveauté l’Incarnation de Dieu en Jésus-Christ apporte-t-elle à la conception que le croyant se fait d’un Dieu juge ? Cette nouveauté est contenue presque tout entière dans une phrase de l’apôtre Paul, d’une extrême concision :

Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu. (2 Co 5, 21, BJ)

La nouveauté première, car il faut expliciter par étapes cette formule, c’est que Jésus-Christ, partageant notre condition humaine, a partagé aussi la tentation (cf. Mt 4, 1-11), avec la confrontation au péché qu’elle comporte. Mais, refusant entièrement de pactiser avec ce péché, il s’est trouvé situé d’un seul côté du mal, celui qu’on subit, d’un seul côté du péché, celui des autres, dont on porte le poids sur soi, au point d’être confondu avec les plus grands pécheurs, assimilé au péché même : Dieu l’a « fait péché pour nous ». Ainsi donc, dans un premier temps, l’Incarnation conduit Jésus-Christ au calvaire et à la Croix : le Juge est devenu l’accusé, puis le condamné, comme l’explicitent les Juifs dans l’audience devant Pilate :

Les Juifs lui répliquèrent : ‘Nous avons une loi et d’après cette loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu’. (Jn 19, 7, BJ)

Ce renversement inouï d’un Dieu qui passe en jugement devant ceux qu’il a naturellement le pouvoir de juger, et de plus qu’il a libérés, puisqu’ils sont devenus son peuple, cela a été et reste un scandale pour beaucoup. Si nous en restons là nous aussi, le christianisme est la religion de l’absurde et de l’échec.

Mais deux jours après la Croix du Vendredi Saint, il y a le matin de Pâques : tout bascule alors, car les disciples de Jésus, dont la première, selon la tradition évangélique (Jn 20, 1 et Mt 28, 1), fut une femme, Marie-Madeleine, venue sans doute apporter des aromates pour embaumer le corps (cf. Lc 24, 1), ont vu le crucifié vivant, ressuscité ! Le crucifié est devenu le ressuscité, c’est-à-dire que le condamné a démontré l’inanité de la condamnation, il a montré qu’il était vraiment ce qu’il prétendait, par toute sa vie autant que par ses paroles, le Fils de Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même, qui a pouvoir sur la mort. L’échec patent est devenu un triomphe, la mort a été vaincue – non pas temporairement, par le simple miracle d’une résurrection éphémère, comme fut celle de Lazare, l’ami de Jésus – mais de façon définitive : en Jésus-Christ, la puissance de la vie divine a, une fois pour toutes, triomphé de l’attirance irrésistible du péché et de la mort sur l’humanité.

Ainsi, en Jésus-Christ, Dieu se fait pleinement libérateur, car il donne à l’homme sa justice : en prenant sur lui le péché des hommes, notre péché, Jésus-Christ nous a rendu justes, il nous a permis de vivre désormais notre relation à Dieu non plus sous le mode de la peur du jugement, mais sous le mode de la confiance filiale, comme lui-même l’a vécue.

Que signifie encore concrètement pour nous : Dieu justifie ceux qui croient en Lui ? Cela veut dire qu’il nous rend capables de faire le bien d’une manière durable, en échappant à l’engrenage du péché, et donc d’être pour nos frères les icônes de Jésus-Christ, ses porte-parole, des images et des témoins vivants de sa présence.

Jacques-Hubert Sautel, Dieu, juge de nos vies ? Résurrection, 2007, N° 119. Voir le lien dans la bibliothèque.

« Dieu » n’est pas toujours réputé miséricordieux. Souvent même, les chrétiens opposent le Dieu juge de l’Ancien Testament au Dieu d’amour de Jésus. Mais, souvent aussi, nous ne connaissons pas bien l’Ancien Testament et les richesses qu’il recèle. Nous oublions que le Dieu que nous révèle Jésus Christ n’est pas différent de celui qui s’est révélé peu à peu tout au long de l’histoire du peuple d’Israël. L’Ancien Testament raconte cette révélation progressive de Dieu à un peuple qui va apprendre à connaître peu à peu ce Dieu qui fait alliance avec lui. Il est aussi le fruit de cette histoire qui s’inscrit dans une évolution : il a fallu plusieurs siècles pour donner naissance à la Bible, telle qu’elle nous est transmise, et les passages qui la composent reflètent les différentes strates de son histoire.

Il est donc important de se souvenir que l’image de Dieu a évolué au cours de l’histoire du peuple d’Israël. Dans un premier temps, les Hébreux comprennent leur Dieu à la manière des peuples qui l’entourent : il a les attributs d’un souverain ancien, tout-puissant, peu miséricordieux et parfois capricieux. Cette image évolue peu à peu, avec la découverte progressive de la justice de Dieu, puis de la justice et de la miséricorde divines.

En effet, dans l’Ancien Testament, un des attributs fondamentaux de Dieu est la justice. Dieu crée et gouverne un monde harmonieux régit par sa justice, qui s’exprime à la fois dans les lois de la nature qui gouvernent l’univers et dans la Loi, la Torah, donnée à Israël : « 4 Car la parole du Seigneur est droite, et toute son œuvre est sûre. 5 Il aime la justice et l’équité ; la terre est remplie de la fidélité du Seigneur. 6 Par sa parole, le Seigneur a fait les cieux, et toute leur armée, par le souffle de sa bouche. 7 Il amasse et endigue les eaux de la mer ; dans des réservoirs, il met les océans. 8 Que toute la terre ait la crainte du Seigneur, que tous les habitants du monde le redoute : 9 c’est lui qui a parlé, et cela arriva ; lui qui a commandé, et cela exista » (Ps 33 [32],4-9).

Puisque Dieu gouverne l’univers et qu’il est un Dieu juste, tout ce qui arrive est considéré comme le fruit de ses justes décisions. De ce fait, il est dans l’ordre des choses que le juste soit récompensé et le méchant puni. La Bible regorge de passages qui l’affirment, selon ce qu’on appelle la « justice rétributive » opposant le sort du juste à celui du méchant ou de l’impie : « 27 La crainte du Seigneur accroît les jours, mais les années des méchants seront raccourcies. 28 L’attente des justes, c’est la joie ; quant à l’espérance des méchants, elle périra. 29 La voie du Seigneur est une citadelle pour l’homme intègre ; mais, pour les malfaisants, c’est une ruine » (Pr 10,27-29).

C’est ainsi que l’Exil à Babylone est relu comme un châtiment de Dieu en raison des infidélités récurrentes des rois de Juda et du peuple à leur suite. C’est du moins l’interprétation qui en est donnée à la fin du livre des Rois (2 R 24,1-4) et que l’on retrouve chez le prophète Jérémie : « 2 Ainsi parle le Seigneur, le Tout-Puissant, le Dieu d’Israël: Vous savez bien tous les malheurs que j’ai fait venir contre Jérusalem et contre les villes de Juda : les voilà maintenant en ruines, personne n’y habite ; 3 c’est à cause des méfaits qu’ils ont commis ; ils m’ont offensé en allant brûler des offrandes et rendre un culte à d’autres dieux qui ne s’étaient occupés ni d’eux, ni de vous, ni de vos pères. 4 Je vous ai envoyé inlassablement tous mes serviteurs les prophètes vous dire : "Ne commettez pas les choses horribles que je déteste !" 5 Ils n’ont ni écouté ni prêté l’oreille pour se convertir de leur méchanceté et ne plus brûler des offrandes à d’autres dieux. 6 Ainsi ma fureur, ma colère, s’est déversée et, tel un feu, elle a ravagé les villes de Juda et les ruelles de Jérusalem : elles sont devenues des monceaux de ruines, des lieux désolés – c’est bien la situation actuelle ! » (Jr 44,2-6).

Il faudra du temps pour que l’image de Dieu des Israélites évolue et qu’ils découvrent, d’une part, l’importance de la responsabilité humaine dans le cours des événements, et, d’autre part, la miséricorde de Dieu. Dieu n’est pas responsable de tout ce qui arrive et il est un Dieu qui fait miséricorde.

Peu à peu, en effet, la conception que l’on avait de la justice de Dieu et de l’univers qu’il gouverne est mise à mal. Qu’en est-il de la justice de Dieu quand l’innocent souffre et le méchant prospère, diront Job et Qohéleth ? Car la simple observation contredit ce que les anciens sages ont dit de la justice divine. Ainsi Job rétorque-t-il à ces amis : « 30 Au jour du désastre, le méchant est préservé. Au jour des fureurs, il est mis à l’abri. 31 Qui lui jettera sa conduite à la face et ce qu’il a fait, qui le lui paiera ? 32 Lui, on l’escorte au cimetière et on veille sur son tertre. 33 Douces lui sont les mottes de la vallée et derrière lui toute la population défile. L’assistance est innombrable.34 Pourquoi donc vous perdre en consolations ? De vos réponses, il ne reste que fausseté » (Jb 21,30-34).

Et Qohéleth n’est pas plus optimiste sur la justice qui règne dans le monde : « 1 Je vois toutes les oppressions qui se pratiquent sous le soleil. Regardez les pleurs des opprimés : ils n’ont pas de consolateur. La force est du côté des oppresseurs : ils n’ont pas de consolateur. 2 Et moi, de féliciter les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore en vie. 3 Et plus heureux que les deux celui qui n’a pas encore été, puisqu’il n’a pas vu l’œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil » (Qo 4,1-3).

À leurs remises en cause, la Bible ne donne pas de réponse : elle nous confronte au mystère de la souffrance du juste, du malheur de l’innocent, tout en maintenant quand même la foi en la justice de Dieu. Il faut alors reconnaître, comme Job en finale, quand il se retrouve enfin face à Dieu, que cette justice échappe bien souvent à notre compréhension : « 2 Je sais que tu peux tout et qu’aucun projet n’échappe à tes prises. 3 "Qui est celui qui obscurcit mon projet sans rien y connaître ?" Eh oui ! J’ai abordé, sans le savoir, des mystères qui me confondent. 4 "Écoute-moi, disais-je, à moi la parole, je vais t’interroger et tu m’instruiras." 5 Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant, mes yeux t’ont vu. 6 Aussi, j’ai horreur de moi et je me désavoue sur la poussière et sur la cendre » (Jb 42,2-6).

Reste alors l’espérance en la miséricorde de Dieu qui finit par venir au secours du juste. C’est la leçon du livre de Job, mais aussi des livres tardifs de l’Ancien Testament tels Tobit ou Judith : le croyant sait qu’il ne peut comprendre tous les projets de Dieu, ses desseins le dépassent ; mais il sait qu’il peut compter sur la miséricorde et la justice divines. De ce fait, il lui reste, de son côté, à maintenir le cap de la justice, même dans la nuit la plus complète. Et c’est ainsi que le livre de Qohéleth ne s’achève pas sur un dernier constat que tout est décidément vanité, mais plutôt sur ces mots : « Crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là tout l’homme : Dieu fera venir toute œuvre en jugement sur tout ce qu’elle recèle de bon ou de mauvais » (Qo 12,13-14).

Quant au livre de la Sagesse, probablement le dernier écrit de l’Ancien Testament, il projette cette espérance au-delà de la mort, dans la vie éternelle promise au juste : « Mais les justes vivent pour toujours ; leur salaire dépend du Seigneur et le Très-Haut prend soin d’eux. Aussi recevront-ils la royauté splendide et le diadème magnifique de la main du Seigneur. Car, de sa droite, il va les protéger et, de son bras, les couvrir » (Sg 5,16).

Cette évolution n’est pas présentée dans l’Ancien Testament de manière chronologique, puisque les textes ne sont pas classés en fonction de leur date de rédaction, mais plutôt en fonction de leur contenu (Pentateuque, livres historiques, livres poétiques et sapientiaux et livres prophétiques) et sont, de plus, chacun, le fruit d’une longue élaboration progressive qui s’échelonne sur plusieurs siècles. Nous pouvons donc rencontrer à différents endroits de la Bible, et même, parfois, à l’intérieur d’un même livre biblique, des textes reflétant des stades très contrastés de l’évolution de la théologie d’Israël. De plus, chaque livre biblique possède sa propre compréhension de Dieu, en dépendance plus ou moins grande de l’époque à laquelle il a été écrit. Ainsi, le livre d’Osée, un des prophètes les plus anciens (VIIIe siècle av. J.-C.) contient parmi les pages les plus belles pour dire la tendresse et la miséricorde de Dieu.

Catherine Vialle, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 178 (décembre 2016), « La miséricorde dans la Bible », p. 12-15.

Voir l'étude sur le jugement dernier.