Formation théologique

Qui est Dieu ? Une question religieuse et humaine

Introduction

Par-delà les crises, les croyances et les doutes, la question de Dieu revient avec une étonnante persistance dans le débat public. Est-elle seulement religieuse, ou profondément humaine ?

Dans un monde saturé d’informations, de technologies et de récits concurrents, la question « Qui est Dieu ? » pourrait sembler anachronique. Et pourtant, elle traverse l’actualité comme une ligne de fond. Elle surgit à la faveur des conflits, des catastrophes, des débats éthiques, ou encore des quêtes spirituelles individuelles. Loin d’être cantonnée aux sacristies ou aux amphithéâtres universitaires, cette interrogation travaille silencieusement les consciences contemporaines. Dans une première partie nous confronterons cette question à la théologie, la philosophie, l’histoire et l’expérience humaine. Dans une seconde partie nous interrogerons la Bible.

Une question plurielle

Une question ancienne, jamais épuisée

La question de Dieu est aussi vieille que l’humanité consciente d’elle-même. Des premières formes de religiosité aux grandes traditions monothéistes, l’homme n’a cessé de nommer, de représenter et d’interroger ce qu’il perçoit comme l’Absolu. Mais si la question est ancienne, les réponses ne cessent de se renouveler. La théologie, loin d’être un discours figé, est un effort continu pour dire l’indicible à partir de contextes historiques précis.

Dans la tradition biblique, Dieu ne se laisse pas définir comme un objet parmi d’autres. À Moïse qui demande son nom, Dieu répond : « Je suis celui qui suis » (Exode 3,14). Cette formule énigmatique ne livre pas une définition, mais ouvre un horizon. Dieu n’est pas un être que l’on enferme dans un concept ; il est présence, relation, événement. Déjà, la théologie naît ici comme tension entre révélation et mystère.

Dieu, un être personnel ou un principe abstrait ?

L’un des grands débats théologiques traverse les siècles : Dieu est-il une personne ou un principe ? Dans les monothéismes, Dieu est généralement compris comme personnel : il parle, appelle, promet, juge et pardonne. Il entre en relation avec l’humanité. Cette dimension relationnelle est centrale dans le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Cependant, la philosophie a parfois privilégié une autre approche. De Platon à Spinoza, Dieu est pensé comme le principe ultime de l’être, la cause première, ou la substance infinie. Dans cette perspective, Dieu se confond moins avec une figure personnelle qu’avec l’ordre même du réel. Cette tension entre le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes demeure vive. Elle alimente encore aujourd’hui les discussions entre croyants, agnostiques et athées.

Le Dieu chrétien : Trinité et incarnation

Du point de vue chrétien, la question « Qui est Dieu ? » reçoit une réponse singulière : Dieu est Trinité. Un seul Dieu en trois personnes – le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Cette affirmation, souvent jugée abstraite, se veut pourtant une tentative de dire que Dieu est, en lui-même, relation et amour. Dieu n’est pas solitude, mais communion. Voir l'étude sur la Trinité

L’incarnation constitue un autre mystère théologique : Dieu se fait homme en Jésus de Nazareth. Ici, Dieu ne se contente pas de parler à l’humanité ; il partage sa condition. La théologie chrétienne affirme que Dieu se révèle non pas d’abord dans la puissance, mais dans la vulnérabilité. Cette vision interroge radicalement les représentations d’un Dieu lointain ou dominateur. Voir l'étude sur l'incarnation

Dieu et le mal : une question brûlante

Aucune réflexion sur Dieu ne peut éviter la question du mal. Comment croire en un Dieu bon et tout-puissant face à la souffrance innocente, aux guerres et aux injustices ? Cette interrogation, appelée théodicée, traverse l’actualité avec une acuité particulière.

Les réponses théologiques sont multiples et souvent incomplètes. Certaines insistent sur la liberté humaine : Dieu crée des êtres capables d’aimer, donc capables aussi de faire le mal. D’autres mettent l’accent sur un Dieu qui souffre avec les victimes plutôt que sur un Dieu qui expliquerait le mal. Ici encore, la théologie contemporaine se garde des réponses simplistes et accepte de demeurer dans une zone de tension et de silence. Voir l'étude sur l'origine du mal

Dieu à l’épreuve de la modernité

La modernité a profondément transformé la manière de poser la question de Dieu. Les progrès scientifiques, la sécularisation et la pluralité des croyances ont relativisé les discours religieux traditionnels. Pour beaucoup, Dieu n’est plus une évidence culturelle, mais une option parmi d’autres.

Pourtant, cette crise de l’évidence ne signifie pas la disparition de Dieu du paysage intellectuel. Au contraire, elle oblige la théologie à un travail de purification. Il ne s’agit plus de défendre Dieu comme une hypothèse concurrente des sciences, mais de réfléchir à ce que le mot « Dieu » désigne réellement. De plus en plus de théologiens parlent de Dieu comme d’un appel, d’une promesse, ou d’un horizon de sens plutôt que comme d’une « divinité » expliquant le monde.

Dieu et l’expérience humaine

Au-delà des concepts, la question de Dieu se joue souvent dans l’expérience. Pour certains, Dieu se rencontre dans la prière, la liturgie ou les textes sacrés. Pour d’autres, il se manifeste dans l’engagement pour la justice, dans la beauté artistique ou dans l’épreuve traversée.

Cette dimension "expérimentale" explique pourquoi la question de Dieu résiste à toute clôture définitive. Dieu n’est pas seulement l’objet d’un discours, mais le sujet d’une relation vécue. Même ceux qui se disent non-croyants utilisent parfois un langage proche du religieux pour parler de ce qui les dépasse : le mystère, l’infini, l’absolu.

Une question pour aujourd’hui et demain

Alors, qui est Dieu ? La théologie contemporaine répond avec prudence : Dieu est toujours plus que ce que l’on peut en dire. Toute parole sur Dieu est à la fois nécessaire et insuffisante. Nécessaire, parce que l’homme cherche du sens. Insuffisante, parce que Dieu, s’il existe, dépasse infiniment nos catégories.

Dans un contexte marqué par les crises écologiques, sociales et spirituelles, la question de Dieu retrouve une dimension éthique et politique. Parler de Dieu, c’est aussi interroger notre responsabilité envers les autres et envers la planète. Un Dieu réduit à une idée abstraite perd sa force transformatrice ; un Dieu instrumentalisé par le pouvoir trahit son nom.

Conclusion : une question ouverte

Loin d’être un vestige du passé, la question « Qui est Dieu ? » demeure une question ouverte, inconfortable et féconde. Elle ne se laisse ni imposer ni évacuer. Elle invite au dialogue entre croyants et non-croyants, entre traditions religieuses et pensée critique.

Peut-être est-ce là l’une des intuitions les plus profondes de la théologie : Dieu n’est pas d’abord une réponse, mais une question qui met l’homme en marche. Une question qui, génération après génération, continue de façonner les consciences, d’inspirer des engagements et de susciter l’espérance.

Qui est Dieu ? La révélation biblique

Introduction : Dieu se révèle, il ne se démontre pas

Dans la Bible, la question « Qui est Dieu ? » ne reçoit jamais la forme d’une définition abstraite. Elle ne relève ni d’un raisonnement spéculatif ni d’une démonstration philosophique. Dieu n’est pas un objet de savoir posé devant l’homme ; il est un sujet qui se fait connaître. La révélation biblique repose sur une conviction fondamentale : Dieu se révèle dans l’histoire, par des paroles et des actes, dans une relation vivante avec un peuple et, à travers lui, avec l’humanité.

Ainsi, la Bible ne répond pas d’abord à la question « qu’est-ce que Dieu ? », mais à la question « comment Dieu se donne-t-il à connaître ? ». La révélation biblique est progressive, narrative et relationnelle. Elle se déploie comme une histoire de rencontre, où Dieu se manifeste en appelant, en libérant, en promettant et en accompagnant.

1. Le Dieu qui appelle : une révélation personnelle

Dès les premières pages de la Genèse, Dieu apparaît comme un Dieu qui parle. Il appelle le monde à l’existence par sa parole : « Dieu dit : “Que la lumière soit” » (Gn 1,3). La création elle-même est déjà une révélation : Dieu se manifeste comme source de vie, d’ordre et de bonté.

Mais la révélation biblique prend une tournure décisive lorsque Dieu s’adresse à des personnes concrètes. À Abraham, Dieu dit : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai » (Gn 12,1). Dieu se révèle ici comme un Dieu qui appelle et qui promet. Il n’impose pas sa présence, il invite à une relation fondée sur la confiance.

Cette dimension personnelle distingue profondément la révélation biblique. Dieu n’est pas une force anonyme : il connaît l’homme, l’appelle par son nom, et s’engage avec lui dans une alliance.

2. Le Dieu libérateur : l’Exode comme cœur de la révélation

L’événement fondateur de la révélation biblique est sans doute l’Exode. En libérant Israël de l’esclavage en Égypte, Dieu se révèle comme un Dieu qui prend parti pour les opprimés. « J’ai vu la misère de mon peuple… j’ai entendu son cri… je suis descendu pour le délivrer » (Ex 3,7-8).

Au buisson ardent, Moïse demande à Dieu son nom. La réponse divine — « Je suis celui qui suis » (Ex 3,14) — n’est pas une définition métaphysique, mais une promesse de présence. Dieu se révèle comme Celui qui sera avec son peuple dans l’histoire.

La révélation biblique est ainsi inséparable de l’action salvifique de Dieu. Connaître Dieu, ce n’est pas accumuler des concepts sur lui, mais faire l’expérience de sa fidélité et de sa puissance libératrice.

3. Le Dieu de l’alliance : fidélité et responsabilité

Après la libération vient l’alliance. Au Sinaï, Dieu donne la Loi non comme un instrument d’oppression, mais comme un chemin de vie : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte » (Ex 20,2). La Loi est précédée par la grâce.

Dans la révélation biblique, Dieu se présente comme un Dieu fidèle à son alliance, même lorsque son peuple se montre infidèle. Les prophètes rappellent sans cesse cette fidélité. Par la voix d’Osée, Dieu parle comme un époux blessé mais fidèle : « Je te fiancerai à moi pour toujours » (Os 2,21).

La révélation biblique dévoile ainsi un Dieu profondément engagé, dont la justice n’est jamais séparée de la miséricorde. Voir l'étude sur l'alliance

4. Le Dieu des prophètes : justice et parole critique

Les prophètes occupent une place centrale dans la révélation biblique. À travers eux, Dieu se révèle comme un Dieu qui parle au cœur de l’histoire et qui refuse toute instrumentalisation religieuse.

Amos dénonce un culte vidé de justice : « Je hais vos fêtes… que le droit jaillisse comme une source » (Am 5,21.24). Isaïe rappelle que Dieu est le Saint, radicalement autre, mais proche des humbles : « Je demeure dans les hauteurs et dans la sainteté, mais je suis avec l’homme contrit et humble » (Is 57,15).

La révélation biblique n’est donc jamais complaisante. Elle met en crise les fausses images de Dieu et appelle à une conversion éthique. Voir l'étude sur les prophètes

5. Le Dieu de la sagesse : mystère et proximité

Dans les livres sapientiaux, Dieu se révèle autrement. Il n’est plus seulement le Dieu des grands événements historiques, mais le Dieu du quotidien, de la quête de sens et de la fragilité humaine.

Le livre de Job refuse toute explication simpliste de Dieu face à la souffrance. Dieu y demeure mystérieux, irréductible aux schémas humains. Les Psaumes, quant à eux, donnent voix à toute la gamme des expériences humaines : louange, plainte, confiance, révolte.

La révélation biblique accepte ainsi la complexité de l’expérience humaine. Dieu n’est pas absent du doute ; il s’y laisse parfois chercher.

6. L’accomplissement de la révélation dans le Nouveau Testament

Pour les chrétiens, la révélation biblique atteint son accomplissement en Jésus-Christ. L’évangile de Jean affirme : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique… l’a fait connaître » (Jn 1,18).

En Jésus, Dieu ne se contente plus de parler par des intermédiaires : il se donne lui-même. La vie, les paroles, les gestes et la mort de Jésus révèlent un Dieu proche, compatissant, qui partage la condition humaine.

La révélation biblique culmine dans la croix, où Dieu se révèle paradoxalement dans la faiblesse et l’amour livré. Le Dieu biblique n’est pas un Dieu de domination, mais un Dieu qui se donne.

7. La résurrection : Dieu plus fort que la mort

La révélation biblique atteint un sommet décisif dans l’événement de la résurrection. Si la croix révèle jusqu’où Dieu va dans le don de soi, la résurrection révèle qui est Dieu face à la mort. Elle n’est pas un simple retour à la vie biologique, mais l’irruption d’une vie nouvelle, inaugurant une création transfigurée.

Dans les récits pascals, Dieu se révèle comme Celui qui ne laisse pas la mort avoir le dernier mot. « Il n’est pas ici, il est ressuscité » (Lc 24,6). Cette affirmation ne constitue pas seulement une consolation pour les disciples endeuillés ; elle est une révélation sur Dieu lui-même. Dieu est Celui qui fait être là où tout semblait fini, Celui qui ouvre un avenir là où l’histoire humaine semblait close.

La résurrection révèle un Dieu fidèle jusqu’au bout : fidèle à Jésus qu’il relève d’entre les morts, fidèle à ses promesses, fidèle à l’humanité qu’il refuse d’abandonner au néant. Elle manifeste une puissance qui n’est pas domination, mais puissance de vie.

D’un point de vue théologique, la résurrection n’est pas d’abord un fait observable par les sens, mais une réalité révélée à travers des rencontres, des signes et une foi naissante. Le Ressuscité se donne à reconnaître sans jamais se laisser posséder. Il est le même et pourtant autre. Cette transformation révèle que Dieu dépasse radicalement les catégories humaines, y compris celles de la vie et de la mort.

Ainsi, en ressuscitant Jésus, Dieu se révèle comme le Dieu de l’espérance ultime, celui pour qui aucune situation n’est définitivement close. La question « Qui est Dieu ? » reçoit ici une réponse existentielle majeure : Dieu est Celui qui ouvre la vie là où l’homme ne voit que la mort. Voir l'étude sur la résurrection

8. Ascension et Pentecôte : Dieu rendu présent autrement

La révélation biblique ne s’achève pas avec la résurrection, mais se déploie encore à travers l’Ascension et la Pentecôte. Ces deux événements marquent un déplacement décisif dans la manière dont Dieu se rend présent.

L’Ascension, souvent mal comprise comme un éloignement, affirme au contraire que le Christ ressuscité n’est plus limité par les conditions spatio-temporelles. « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? » (Ac 1,11). Dieu ne se donne plus à voir de manière immédiate et sensible, mais il n’est pas pour autant absent. Il devient présent autrement.

La Pentecôte explicite ce nouveau mode de révélation. Par le don de l’Esprit Saint, Dieu se rend intérieur à l’homme. « Vous recevrez une force, celle de l’Esprit Saint, et vous serez mes témoins » (Ac 1,8). Dieu ne se révèle plus seulement face à l’homme, mais en lui.

L’Esprit n’abolit pas la médiation, il la transforme. La révélation devient diffusion, inspiration, discernement. Dieu se laisse reconnaître dans la parole annoncée, dans la communauté, dans les sacrements, mais aussi dans l’histoire humaine traversée par l’Esprit.

Ainsi, Dieu n’est plus directement accessible aux sens comme au temps de Jésus de Nazareth, mais il n’est pas moins proche. La révélation devient plus intérieure, plus universelle, mais aussi plus exigeante : elle suppose l’écoute, le discernement et la foi.

Ascension et Pentecôte révèlent donc un Dieu qui refuse toute appropriation. Il se donne sans se rendre capturable. Il est présent sans être possédé. Dieu se révèle comme Esprit, c’est-à-dire comme souffle de vie, force de communion et dynamisme de liberté. Voir l'étude sur l'ascension

Conclusion : une révélation ouverte

La révélation biblique ne ferme pas la question « Qui est Dieu ? », elle l’ouvre. Dieu se révèle tout en demeurant mystérieux. Il se donne à connaître sans jamais se laisser posséder.

Ainsi, la Bible ne propose pas une définition de Dieu, mais un chemin de rencontre. Dieu est Celui qui appelle, libère, accompagne, relève d’entre les morts et demeure présent par son Esprit. La révélation biblique invite chaque génération à entrer à son tour dans cette histoire vivante.