Formation théologique

La triple finalité de la sexualité : union, procréation et plaisir

Introduction générale

La sexualité humaine constitue l’un des lieux majeurs de réflexion en philosophie, en psychologie et en théologie, car elle engage simultanément le corps, la subjectivité, la relation interpersonnelle et l’ordre social. Contrairement à une vision réductrice qui la limiterait à une fonction biologique ou à une recherche de satisfaction individuelle, la tradition intellectuelle occidentale a progressivement mis en lumière une triple finalité de la sexualité : l’union des personnes, la procréation et le plaisir. Ces finalités, loin d’être concurrentes, forment une structure cohérente qui permet de comprendre la profondeur anthropologique de l’acte sexuel.

Cette étude propose une première approche de ces trois finalités selon une approche pluridisciplinaire, mobilisant des références philosophiques classiques et contemporaines, des apports de la psychologie, ainsi que des éléments fondamentaux de la théologie chrétienne.

I. Anthropologie fondamentale de la sexualité

1. Sexualité et condition incarnée

La sexualité humaine s’enracine dans la condition incarnée de la personne. Contrairement à une conception dualiste opposant corps et esprit, l’anthropologie biblique et philosophique affirme l’unité substantielle de l’être humain. Le corps sexué n’est pas un simple instrument, mais le lieu même de l’expression personnelle.

« Le corps n’est pas un objet que l’on possède, mais une dimension constitutive du sujet. » (M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception)

Cette unité fonde la possibilité d’une signification morale de la sexualité : ce qui est fait avec le corps engage la personne entière.

2. Différence sexuelle, altérité et appel à la relation

La différence sexuelle manifeste l’incomplétude constitutive du sujet humain. Emmanuel Levinas montre que l’altérité n’est pas un obstacle à la liberté, mais sa condition même. La sexualité, en tant que rencontre de l’altérité sexuée, devient ainsi un lieu privilégié de l’éthique.

« L’éros est une relation avec l’altérité absolue. » (E. Levinas, Le temps et l’autre)

II. La finalité d’union : communion personnelle et alliance

1. Union et construction du lien psychique

Les théories de l’attachement montrent que l’intimité corporelle participe à la structuration du psychisme adulte. Une sexualité répétitivement dissociée de l’engagement fragilise la capacité à s’attacher durablement et renforce les dynamiques défensives.

« Les relations intimes répétées sans sécurité affective conduisent à des modèles internes instables. » (J. Bowlby, Attachment and Loss, vol. II)

2. Union conjugale et personnalisation de l’amour

Karol Wojtyła développe une éthique personnaliste dans laquelle l’union sexuelle est moralement juste lorsqu’elle exprime le don total et réciproque des personnes. Toute réduction de l’autre à un objet de jouissance constitue une négation de sa dignité.

« La norme personnelle est celle selon laquelle la personne est un bien qu’on ne peut utiliser. » (K. Wojtyła, Amour et responsabilité)

3. Union et alliance biblique

La révélation biblique comprend l’union sexuelle à partir de la catégorie d’alliance. Le Cantique des Cantiques offre une célébration de l’amour charnel comme lieu de joie, de fidélité et de réciprocité.

« Pose-moi comme un sceau sur ton cœur. » (Ct 8,6)

III. La finalité de procréation : engendrement et responsabilité

1. Natalité et sens de l’histoire

Hannah Arendt fait de la natalité la catégorie centrale de la condition humaine. Engendrer, c’est introduire du nouveau dans le monde et accepter que l’histoire ne soit pas close sur elle-même.

« Chaque naissance est un nouveau commencement. » (H. Arendt, Condition de l’homme moderne)

2. Procréation et impact psychique

Erik Erikson montre que la procréation protège le sujet du repli narcissique. Une culture qui refuse la transmission expose les individus à une angoisse de vacuité et de non-sens.

« Le contraire de la "générativité" est la stagnation. » (E. Erikson, Identity and the Life Cycle)

3. Procréation et théologie de la création

Dans la théologie chrétienne, la procréation est participation à l’acte créateur de Dieu. L’enfant est reçu comme don et mystère, non comme objet de maîtrise.

« L’enfant est le don le plus excellent du mariage. » (Gaudium et Spes, n°50)

IV. La finalité de plaisir : désir, joie et intégration morale

1. Le plaisir dans la tradition philosophique

Aristote reconnaît le plaisir comme perfection de l’acte bon. Séparé de la vertu, le plaisir devient tyrannique ; intégré à la finalité humaine, il devient joie.

« Le plaisir parachève l’acte. » (Aristote, Éthique à Nicomaque, X)

2. Psychanalyse, jouissance et limite

Freud et Lacan montrent que la jouissance illimitée conduit à la destructivité. La loi symbolique n’est pas une répression arbitraire, mais une condition de subjectivation.

« La jouissance ignore le bien de l’autre. » (J. Lacan, Séminaire VII)

3. Plaisir et théologie morale

Thomas d’Aquin articule plaisir et charité : le plaisir sexuel devient pleinement humain lorsqu’il est l’expression d’un amour juste.

« Le plaisir est bon s’il est conforme à la raison droite. » (Thomas d’Aquin, Somme théologique, I-II, q.34)

V. Chapitre critique : dissociation moderne des finalités

1. Contraception et rupture symbolique

La dissociation volontaire entre sexualité et fécondité transforme l’acte sexuel en espace de contrôle technique. Cette rupture affecte la symbolique du corps et la perception du temps long de l’amour.

« La technique modifie l’expérience morale elle-même. » (H. Jonas, Le principe responsabilité)

2. PMA et logique de production

La PMA accentue la séparation entre union sexuelle et engendrement. L’enfant tend à devenir l’objet d’un projet, soumis aux critères de faisabilité et de désir adulte.

3. Sexualité contemporaine et clinique du malaise

Les données cliniques contemporaines mettent en évidence une corrélation entre hypersexualisation, instabilité relationnelle et souffrance psychique. La sexualité sans alliance peine à produire du sens.

VI. Synthèse morale et théologique

L’unité des trois finalités apparaît comme un principe structurant de la sagesse morale chrétienne. Elle n’est pas une norme extrinsèque, mais l’expression d’une vérité sur l’homme confirmée par l’expérience psychologique.

La théologie morale sexuelle vise l’accomplissement du désir humain dans l’amour fidèle, la fécondité responsable et la joie partagée.

Conclusion générale

Comprendre la sexualité humaine à partir de la triple finalité d’union, de procréation et de plaisir permet de dépasser les oppositions modernes entre liberté et norme. La sexualité apparaît alors comme un lieu de vérité anthropologique, psychique et théologique, où se joue le sens même du don de soi.

Voir aussi le sens de l'éros.