Apocalypse - Chapitre 13 - Les deux bêtes
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La lecture de cette deuxième vision présente :
- La "Bête de la mer" : Elle est la personnification de l’Empire romain à travers lequel sont visés les gouvernements totalitaires qui tiennent leur pouvoir de Satan et se font adorer comme le Christ.
- La "Bête de la terre" : Elle symbolise la propagande de l'idéologie politique.
| Versets | Commentaire | |
| 1 Alors, je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes, sur ses cornes, dix diadèmes et sur ses têtes un nom blasphématoire. | La mer, dans la symbolique biblique, représente le chaos et les puissances hostiles à Dieu (cf. Dn 7,2–3 ; Ps 74,13).
La bête qui monte de la mer reprend la vision de Daniel : un empire monstrueux issu du tumulte des nations.
Ses dix cornes et sept têtes indiquent la plénitude du pouvoir et sa multiplicité historique : plusieurs royaumes ou empereurs.
Les diadèmes marquent une domination usurpée, et les noms de blasphème signalent une prétention divine.
➡️ La bête est la figure politico-idéologique du mal, concentrant en elle la puissance des empires persécuteurs (Rome, mais aussi tout pouvoir idolâtrique). La désignation qu’il en fait, sept têtes, dix cornes, dix diadèmes, vise l’Empire romain qu’il dénonce comme antéchrist blasphématoire. Ainsi, sur les monnaies, les empereurs s’attribuent les titres de: dieu, adorable, sauveur, seigneur… Dans l’Apocalypse (17,3-11), il est précisé que cette Bête est le huitième roi, c’est-à-dire sans doute Domitien (81- 96) qui se faisait appeler “seigneur et dieu“. Pour saint Jean, c’est clair : Satan règne par personne interposée. L’Empire romain s’est laissé pervertir et, en réalité, Satan l’a investi de sa fausse puissance. D.A. | |
| 2 La bête que je vis ressemblait au léopard, ses pattes étaient comme celles de l'ours, et sa gueule comme la gueule du lion. Et le dragon lui conféra sa puissance, son trône et un pouvoir immense. | Cette Bête n’a aucun pouvoir par elle-même ; si elle est nommée six fois dans ce passage, six fois aussi il est dit que ce qu’elle possède “lui a été donné”, à commencer par la puissance, le trône et l’autorité. | |
| 3 L'une de ses têtes était comme blessée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie. Émerveillée, la terre entière suivit la bête. | La blessure mortelle miraculeusement
guérie constitue une parodie
du Christ mort et ressuscité, une
caricature de l’Agneau décrit au chapitre
5, verset 6. Les commentateurs antiques y voyaient une référence à Néron, dont on attendait le retour mythique (mythe du Nero redivivus). Symboliquement, cela exprime la résilience du mal politique : abattu dans l’histoire, il renaît sous d’autres formes. "Émerveillée, la terre entière suivit la Bête". Lorsque l’homme ne sait plus s’émerveiller devant le divin, il court derrière le diable ou n’importe quel charlatan, dont il prend les miracles pour des révélations de vraie grandeur. D.A. | |
| 4 Et l'on adora le dragon parce qu'il avait donné le pouvoir à la bête, et l'on adora la bête en disant : qui est comparable à la bête et qui peut la combattre ? | Le culte impérial atteint son apogée : l’adoration du pouvoir équivaut à l’adoration du démon.
La question rhétorique parodie la louange de Dieu (« Qui est semblable à Dieu ? », cf. Mi-ka-El).
➡️ Le blasphème fondamental de l’Antéchrist est de se substituer à Dieu dans le cœur des hommes.
La politique devient idolâtrie quand elle exige une adoration absolue. Satan se fait adorer à travers la Bête, alors que l’ange refuse (voir 19,10 et 22,9) parce qu’à Dieu seul et au Christ convient l’adoration prosternée. Cette adoration satanique donne lieu à une anti-liturgie: “Qui est comparable à la Bête? “ fait écho à “qui est comme Dieu?” (que signifie en hébreu Michaël)… ainsi qu’aux liturgies du chapitre 5. Et saint Jean aime à souligner le paradoxe de la situation de la Bête aux versets 5 et 6: elle élève blasphèmes et arrogances contre Dieu. D.A. | |
| 5 Il lui fut donné une bouche pour proférer arrogances et blasphèmes, et il lui fut donné pouvoir d'agir pendant quarante-deux mois. | Le pouvoir de la bête est limité dans le temps (42 mois = 3 ans et demi), signe que Dieu reste souverain. | |
| 6 Elle ouvrit sa bouche en blasphèmes contre Dieu, pour blasphémer son nom, son tabernacle et ceux dont la demeure est dans le ciel. |
Ses paroles de blasphème rappellent Daniel 7,8 : un roi arrogant défiant le Très-Haut.
Le mal se manifeste d’abord par le langage : propagande, discours, mensonge.
L’attaque contre « le tabernacle » désigne la guerre contre la présence de Dieu dans le monde (l’Église, le culte, la foi). La Bête, au sens universel, est bien le paganisme ancien et futur, incarné présentement dans l’Empire romain, mais qui ne cessera de revivre au long de l’histoire. L’avènement du Christ-qui-vient provoque en contrepartie un suprême assaut des puissances diaboliques, incarnées dans des faux sauveurs, à la fois parodie et opposé du Christ. D.A. | |
| 7 Il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre, et lui fut donné le pouvoir sur toute tribu, peuple, langue et nation. | La bête semble triompher extérieurement : persécution universelle. Mais ce pouvoir « lui est donné » — Dieu demeure maître du scénario. L’universalité du mal reflète en miroir l’universalité du Royaume. L’Église doit reconnaître que la victoire apparente du mal fait partie du mystère de la croix. | |
| 8 Ils l'adoreront, tous ceux qui habitent la terre, tous ceux dont le nom n'est pas écrit, depuis la fondation du monde, dans le livre de vie de l'agneau immolé. | Certains
seront damnés à travers cela. Ceux
qui auront refusé que leur nom soit
inscrit dans le livre de vie de
l’Agneau immolé. Le “livre de vie “ est une expression de l’Ancien Testament pour désigner la prédestination à la vie éternelle (voir Ex 32,32; Ps 69,29); ici, l’expression est bien précisée: c’est le livre de vie de l’Agneau immolé. En Jésus nous sommes tous sauvés et nous sommes tous prédestinés à la gloire (lire Ep 1,4), nous sommes tous inscrits dans le livre. Mais la contre signature de notre liberté personnelle est nécessaire; c’est pourquoi demeure toujours possible le refus de l’amour, le péché contre l’Esprit, le seul dont Jésus ait dit qu’il menait à l’enfer (Mt 12,31 ; Lc 12,10). D.A. | |
| 9 Que celui qui a des oreilles entende : | Refrain de l'introduction. L’exhortation à écouter (vv. 9-10) souligne l’importance de ce qui vient d’être dit : l’empire de Rome et tous ceux qui en prendront la relève font le jeu du démon. | |
| 10 Qui est destiné à la captivité ira en captivité. Qui est destiné à périr par le glaive périra par le glaive. C'est l'heure de la persévérance et de la foi des saints. | La domination des empires totalitaires est universelle (v. 7). Tous les habitants de la terre adorent la Bête, les saints sont vaincus. Où est l’Église dans tout cela ? La présence de l’Église et sa victoire ici-bas consistent dans le martyre des saints, dans leur constance et dans leur foi (v.10). | |
| 11 Alors je vis monter de la terre une autre bête. Elle avait deux cornes comme un agneau, mais elle parlait comme un dragon. | Deuxième bête : issue de la terre, non de la mer. Elle représente le pouvoir religieux ou idéologique qui soutient le pouvoir politique.
Elle imite l’Agneau mais parle comme le dragon : parodie du Christ et de l’Esprit Saint. Cette deuxième bête est appelée dans le reste de l’Apocalypse le “faux prophète “ (16,13; 19,20; 20,10). Elle est au service de la première bête. Il s’agit là des idéologies au service de la puissance politique. La deuxième bête représente l’ensemble de ceux qui sécrètent les courants philosophico-religieux qui favorisent le culte des despotes divinisés. C’est la propagande de l’Empire, l’énoncé idéologique défenseur des thèses du pouvoir, la publicité idéologique pour enrôler les hommes sous les bannières imposées. D.A. | |
| 12 Tout le pouvoir de la première bête, elle l'exerce sous son regard. Elle fait adorer par la terre et ses habitants la première bête dont la plaie mortelle a été guérie. | En schématisant, on pourrait dire que cette deuxième bête joue en quelque sorte le rôle qui, dans l’Évangile selon saint Jean, est dévolu au Saint Esprit. Car selon la promesse de Jésus, le Saint Esprit “ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira” (Jn 16,13). | |
| 13 Elle accomplit de grands prodiges, jusqu'à faire descendre du ciel, aux yeux de tous, un feu sur la terre. | La deuxième bête amène la terre à adorer la première dont elle fait reconnaître l’étonnante guérison (v.12). C’est une parodie de l’action du Saint Esprit qui agit au cœur de l’homme pour lui faire confesser la Résurrection de Jésus. D.A. | |
| 14 Elle séduit les habitants de la terre par les prodiges qu'il lui est donné d'accomplir sous le regard de la bête. Elle les incite à dresser une image en l'honneur de la bête qui porte la blessure du glaive et qui a repris vie. | L’apocalypse dénonce ici les pouvoirs spirituels de manipulation. Cette deuxième bête “accomplit“ de grands prodiges ; le verbe “faire“, symptomatique du dévouement du faux prophète, revient huit fois en cinq versets, témoignant d’un activisme débordant: il faut sans cesse brasser les foules pour suppléer à la conviction sous-alimentée; il faut multiplier cérémonies fastueuses, miracles criants, et maintenir l’humanité en suspens. Un culte se forme autour de la plaie mortelle guérie par miracle (la survivance sans cesse renouvelée de l’empire totalitaire), caricature du culte rendu au crucifié ressuscité. Elle fait descendre le feu du ciel, parodie de la Pentecôte et accomplit des prodiges, produisant, avec la doctrine, les signes qui l’accréditent. D.A. | |
| 15 Il lui fut donné d'animer l'image de la bête, de sorte qu'elle ait même la parole et fasse mettre à mort quiconque n'adorerait pas l'image de la bête. | La deuxième bête va jusqu’à “donner l’esprit“ à cette image pour la faire parler et pour obliger les hommes à l’adorer sous peine de mort (v. 15). Dans l’Ancien Testament, le parallèle le plus frappant est l’adoration obligatoire de la statue de Nabuchodonosor rapportée au chapitre 3 de Daniel. On sait aussi que l’empereur (dément) Caligula prescrivait l’adoration de son image. Pline le Jeune rapporte également à l’empereur Trajan (vers 111) qu’il oblige tous ceux qui nient être chrétiens à rendre hommage à l’image de l’Empereur : “Ceux qui niaient être chrétiens ou l’avoir été, s’ils invoquaient les dieux selon la formule que je leur dictais et sacrifiaient par l’encens et le vin devant ton image que j’avais fait apporter à cette intention avec les statues des divinités, si en outre ils blasphémaient le Christ - toutes choses qu’il est, dit-on, impossible d’obtenir de ceux qui sont vraiment chrétiens - j’ai pensé qu’il fallait les relâcher.“ D.A. | |
| 16 A tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, elle impose une marque sur la main droite ou sur le front. | Tous les hommes (petits et grands, v.16) sont l’objet de la convoitise du Dragon, quels que soient leur condition économique (riches ou pauvres) et leur rang social (libre ou esclave). Tous doivent être marqués d’une “estampille“ (charagma en grec), mot technique désignant le sceau officiel apposé sur les documents de l’Empire. Cette marque doit être frappée en l’un ou l’autre des deux endroits du corps où devait résider le signe de la loi de Moïse (lire Ex 13,9- 16), la main droite étant symbole de l’action, et le front, symbole de la pensée et de la personnalité. On nivelle ainsi toutes les différences sociales, réalisant une caricature de la communion fraternelle, alors que la prière de Jésus "que tous soient un" se rapporte à l’imitation de l’unité trinitaire. D.A. | |
| 17 Et nul ne pourra acheter ou vendre, s'il ne porte la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom. | Toute opposition à cette unification signifie un impitoyable boycottage économique (v.17). Les réfractaires au chantage universel sont condamnés à mourir à petit feu. D.A. | |
| 18 C'est le moment d'avoir du discernement. Que celui qui a de l'intelligence interprète le chiffre de la bête, car c'est un chiffre d'homme : et son chiffre est six cent soixante-six. | Au verset 10, saint Jean exhortait ses
lecteurs à la foi, à la persévérance.
Ici, il nous dit : “C’est le moment
d’avoir du discernement“ (v.18),
c’est-à-dire de la sagesse. Saint Jean, qui écrit pour les églises asiatiques de son époque, leur désigne la Bête en langage chiffré. Ce chiffre est “un chiffre d’homme “, c’est-à-dire qu’il est à notre portée, alors que des nombres comme cent quarante-quatre mille sont d’ordre divin et ne peuvent être rendus selon nos statistiques. Six cent soixante-six est probablement un chiffre composé par “gématrie“, c’est-à-dire en additionnant les valeurs numériques des lettres d’un nom. Ce nom est César Néron en lettres hébraïques : QSR NRWN (Q100+S60+R200+N50+R200+W6+N 50 = 666). Saint Jean désigne par ce mode l’antichrist de son époque, Néron (ou Domitien en qui l’on voyait un nouveau Néron). |
Synthèse théologique du chapitre 13
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1. Le mystère du mal incarné
- Le chapitre 13 décrit la manifestation historique du mal sous deux formes complémentaires :
- La bête de la mer : pouvoir politique et militaire
- La bête de la terre : pouvoir idéologique, religieux, culturel
- Ces deux forces sont inspirées par le dragon (Satan) et travaillent de concert à imposer une contrefaçon du Royaume.
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2. Le pouvoir comme idolâtrie
- Le mal n’est pas seulement moral : il devient structurel et cultuel.
- Quand le pouvoir politique exige l’adoration, il devient antichristique.
- L’Apocalypse dénonce toute confusion entre la foi et l’empire, entre la liturgie et la propagande.
- C’est une critique radicale de la sacralisation du pouvoir.
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3. Le mensonge comme arme spirituelle
- Les deux bêtes agissent par parole et image : discours, séduction, faux miracles.
- Le mensonge religieux et la manipulation symbolique sont au cœur du système démoniaque.
- La lutte de la foi est avant tout une lutte de vérité.
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4. La fidélité dans la persécution
- Le chrétien ne doit pas se laisser séduire ni intimider.
- Le texte appelle à la persévérance : la foi est un acte de résistance spirituelle face à l’empire du mensonge.
- Refuser la marque de la bête, c’est affirmer la liberté de conscience et l’allégeance à l’Agneau.
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5. Le Christ en contrepoint
- Derrière la bête se profile une contrefaçon du Christ :
- Deux bêtes contre les deux témoins (Ap 11)
- Faux miracles contre les signes de l’Esprit
- marque sur le front contre le sceau divin
- Ainsi, le mal imite Dieu pour tromper les croyants.
- Mais le vrai Seigneur règne : l’Agneau immolé reste la clé de discernement.
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6. Théologie du discernement
- Le verset 18 résume la vocation spirituelle du lecteur : « que celui qui a de l’intelligence calcule ».
- Le chrétien doit exercer la sagesse apocalyptique, discerner les idoles modernes — idéologies, systèmes, pouvoirs — qui reprennent la logique de la bête.
- L’apocalypse n’appelle pas à la peur, mais à la lucidité spirituelle.
Conclusion
Apocalypse 13 dévoile la forme politique et religieuse du mal dans l’histoire. C’est un chapitre de discernement : il enseigne à reconnaître le pouvoir quand il se divinise et à résister par la fidélité à l’Agneau. Sous le langage des bêtes, le texte parle de la tentation permanente de l’humanité : transformer le pouvoir, la science ou la religion en absolus.
Mais le Christ, Agneau immolé, reste la mesure de toute vérité : celui qui garde son nom porte déjà la marque du Royaume.

