Apocalypse - Chapitre 14
Le chapitre 14 fonctionne comme une grande vision de contraste entre deux humanités :
- celle de l’Agneau, rassemblée sur Sion,
- celle de la Bête, vouée à la destruction.
Après la noirceur du chapitre 13, ce chapitre offre une perspective lumineuse, une anticipation de la victoire finale.
L'agneau et les rachetés
| Versets | Commentaire |
| 1 Et je vis : L'agneau était debout sur la montagne de Sion, et avec lui les cent quarante-quatre mille qui portent son nom et le nom de son Père écrits sur leurs fronts. | La montagne de Sion représente : la présence de Dieu (Ps 2 ; 48) ; le lieu du rassemblement messianique. Le sceau sur le front renvoie au Shema juif (Dt 6,8) mais transfiguré : c’est l’identité spirituelle du croyant. Face à la Bête et à ses adorateurs, l’Agneau se dresse avec les cent quarante- quatre mille. Ils portent son nom et celui du Père écrits sur le front. Manifestement, le contraste est voulu avec la vision précédente où la Bête impose à ses adorateurs “une marque sur la main droite ou sur le front” (13,16). D.A. Le verset 1 nous parle de l’Église sur la terre, dénombrée en tant qu’Israël nouveau (12 x 12 x 1 000) ; ces cent quarante-quatre mille sont les mêmes qu’au chapitre 7, verset 4, où ils étaient marqués du sceau. D.A. |
| 2 Et j'entendis une voix venant du ciel, comme la voix des océans, comme le grondement d'un fort coup de tonnerre, et la voix que j'entendis était comme le chant de joueurs de harpe touchant leurs instruments. | |
| 3 Ils chantaient un cantique nouveau, devant le trône, devant les quatre animaux et les anciens. Et nul ne pouvait apprendre ce cantique, sinon les cent quarante-quatre mille, les rachetés de la terre. | L’Église céleste est rassemblée dans la louange; on y chante ce cantique nouveau déjà mentionné an chapitre 5 (vv. 8 et 9). Sur la terre, seuls les chrétiens fidèles, et parmi eux les martyrs, peuvent chanter ce même cantique. C’est dire qu’ils sont destinés à la gloire, parce qu’ils ont été touchés par la croix. |
| 4 Ils ne se sont pas souillés avec des femmes, car ils sont vierges. Ils suivent l'agneau partout où il va. Ils ont été rachetés d'entre les hommes comme prémices pour Dieu et pour l'agneau, | Ils sont “vierges“ (v.4); il ne s’agit pas de la virginité physique (la vie conjugale n’est pas une souillure et les cent quarante-quatre mille ne sont pas tous du sexe masculin!), mais de la virginité spirituelle, de l’intégrité et de la fidélité de l’Église qui se garde de toute contamination avec l’idolâtrie du monde (les prophètes ont souvent comparé l’idolâtrie à un adultère envers Dieu, à une prostitution; il y a probablement en plus une allusion à la prostitution sacrée…). |
| 5 et dans leur bouche ne s'est point trouvé de mensonge : ils sont irréprochables. | La précision du verset 5, “dans leur bouche, pas de mensonge“, est bien dans la même ligne ; dans l’Ancien Testament le mensonge désigne souvent la religion des faux dieux. Ils sont “irréprochables“ ou encore “immaculés“, selon la traduction du mot grec en Ephésiens 1,4. Ce qui souligne bien qu’ils ne sont pas hissés par leurs propres efforts au-dessus de l’impureté générale, mais qu’ils ont correspondu à la grâce de Dieu. |
Nous nous acheminons maintenant vers la fin de cette partie de l’Apocalypse. Les quatre premières visions nous ont conduit à discerner la réalité d’un combat spirituel qui se déroule dans l’histoire des hommes, entre Satan, incarné dans les États totalitaires, et l’Église, unie à l’Agneau immolé et ressuscité. Cette cinquième vision constitue l’annonce solennelle du Jugement et des réalités qui s’ensuivent. D.A.
L'annonce du jugement
| Versets | Commentaire |
| 6 Et je vis un autre ange qui volait au zénith. Il avait un Evangile éternel à proclamer à ceux qui résident sur la terre : à toute nation, tribu, langue et peuple. | Encore un livre : une bonne nouvelle. |
| 7 Il disait d'une voix forte : Craignez Dieu et rendez-lui gloire, car elle est venue, l'heure de son jugement. Adorez le créateur du ciel et de la terre, de la mer et des sources d'eaux. Annonce du jour du jugement, plus précisément de l'heure, ce qui rend la sentence très "proche". | |
| 8 Et un autre, un second ange, le suivit et dit : Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande, elle qui a abreuvé toutes les nations du vin de sa fureur de prostitution. | Babylone, même après sa décadence historique, est devenue le type de la ville puissante, dominant le monde, et hostile à Dieu. Sa localisation peut différer selon la situation historique; ici, il s’agit de Rome, évidemment. La corruption de l’empire romain et de tous les empires totalitaires qui suivront, est figurée par l’ivresse déchaînée de la débauche, allusion à certaines pratiques des orgies païennes, et évocation du désordre spirituel et moral de l’idolâtrie qui mène au chaos. L’écroulement de Babylone-Rome sera longuement décrit aux chapitres 17 et 18. D.A. |
| 9 Et un autre, un troisième ange, les suivit et dit d'une voix forte : Si quelqu'un adore la bête et son image, s'il en reçoit la marque sur le front ou sur la main, | Une double réalité est évoquée ici. D’une part, et comme précédemment, l’Apocalypse évoque le jugement final qui sera colère pour les idolâtres et les persécuteurs. D’autre part, elle ajoute un avertissement sur la possibilité de leur damnation appelée ici “tourments“. Rien ne nous permet de “gommer“ cette possibilité et de statuer hardiment un non-lieu. La mention du feu et du soufre renvoie sans doute au châtiment exemplaire de Sodome et Gomorrhe (Gn 19,24 ; Dt 29,22 ; Lc 17,29). La description - très sobre d’ailleurs - de la colère de Dieu et des tourments des idolâtres se retrouve dans les chapitres de la fin de l’Apocalypse (19,3.20 ; 20,10.14.15 ; 21,8) qui affirment l’existence de l’étang de feu, c’est-à-dire de la mort éternelle. Ici, l’Agneau et les anges sont envisagés comme seuls témoins des “tourments“. Il n’est pas question de satisfaire les instincts de certains croyants qui savourent d’avance la ruine des impies… D.A. |
| 10 il boira lui aussi du vin de la fureur de Dieu, versé sans mélange dans la coupe de sa colère, et il connaîtra les tourments dans le feu et le soufre, devant les saints anges et devant l'agneau. | Aux adorateurs de la Bête, à ceux qui se livrent lucidement à l’idolâtrie, elle affirme : vous risquez l’enfer. “C’est l’heure de la persévérance des saints qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus.“ |
| 11 La fumée de leur tourment s'élève aux siècles des siècles, et ils n'ont de repos ni le jour ni la nuit, ceux qui adorent la bête et son image, et quiconque reçoit la marque de son nom. | |
| 12 C'est l'heure de la persévérance des saints qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus. | |
| 13 Et j'entendis une voix qui, du ciel, disait : Ecris : Heureux dès à présent ceux qui sont morts dans le Seigneur ! Oui, dit l'Esprit, qu'ils se reposent de leurs labeurs, car leurs œuvres les suivent. | Une des 7 béatitudes. |
Moisson et vendange de la terre
| Versets | Commentaire |
| 14 Et je vis : C'était une nuée blanche, et sur la nuée siégeait comme un fils d'homme. Il avait sur la tête une couronne d'or et dans la main une faucille tranchante. | Réminiscence de Daniel 7.
La nuée est signe de gloire divine.
La faucille évoque la moisson : celle du salut (Mt 13,39), mais aussi celle du jugement. Le Christ apparaît comme juge souverain. D’après saint Matthieu (13,39), “la moisson, c’est la fin du monde“. On peut penser que l’Apocalypse, après l’annonce solennelle du jugement, nous introduit ainsi au seuil des événements de la Fin. D.A. |
| 15 Puis un autre ange sortit du temple et cria d'une voix forte à celui qui siégeait sur la nuée : Lance ta faucille et moissonne. L'heure est venue de moissonner, car la moisson de la terre est mûre. | Cette scène de moisson (et de vendange)
s’inspire d’un passage du
livre de Joël (4,12-13) qui juxtapose
les images de la moisson et du pressoir
comme exprimant le jugement et
le châtiment des nations ennemies de
Dieu. Mais entre deux, Jésus, dans
les évangiles, reprend cette image en
lui conférant un sens nouveau qui
n’a plus rien de péjoratif : si les blés
sont mûrs pour la moisson, c’est que
le Royaume de Dieu et advenu en
plénitude (cf. Mc 4,29). La moisson,
c’est précisément le rassemblement
des élus dans le Royaume de Dieu
(cf. Mt 13,43). D.A. Jl4,12 Que les nations se mettent en branle ; qu'elles montent vers la vallée nommée « Le Seigneur juge » : C'est là que je vais siéger pour juger toutes les nations d'alentour. 13 Brandissez la faucille, la moisson est mûre ; venez, foulez, le pressoir est plein ; les cuves débordent. Oui, leur malice est grande. 14 Des foules, des foules dans le Val de la Décision : le jour du SEIGNEUR est proche dans le Val de la Décision. |
| 16 Alors celui qui siégeait sur la nuée jeta sa faucille sur la terre, et la terre fut moissonnée. | |
| 17 Puis un autre ange sortit du temple céleste. Il tenait, lui aussi, une faucille tranchante. | La plupart des commentaires de l’Apocalypse voient dans les deux scènes successives l’antithèse entre la récompense des bons et le châtiment des méchants, en raison même du texte de Joël dont s’inspire saint Jean. |
| 18 Puis un autre ange sortit de l'autel. Il avait pouvoir sur le feu et cria d'une voix forte à celui qui tenait la faucille tranchante : Lance ta faucille tranchante et vendange les grappes de la vigne de la terre, car ses raisins sont mûrs. | |
| 19 Et l'ange jeta sa faucille sur la terre, il vendangea la vigne de la terre et jeta la vendange dans la grande cuve de la colère de Dieu. | |
| 20 On foula la cuve hors de la cité, et de la cuve sortit du sang qui monta jusqu'au mors des chevaux sur une étendue de mille six cents stades. | Le symbolisme accentue la portée cosmique du jugement : le sang sur 1 600 stades (40 × 40) = totalité complète ; c’est l’anti-messie écrasé, les forces du mal détruites. Ce n’est pas la destruction des nations, mais celle de leurs oppresseurs spirituels. Le langage apocalyptique traduit la radicalité du triomphe du Christ sur le mal. |
Synthèse théologique du chapitre 14
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Deux humanités
L’Apocalypse présente un contraste entre les fidèles de l’Agneau et les adorateurs de la Bête.
La neutralité n’existe pas : chacun se situe par rapport au Christ.
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La vraie adoration
Le chapitre oppose le culte idolâtrique (Ap 13) au culte céleste.
Le thème central est : à qui donnes-tu ton cœur ?
Le sceau de l’Agneau s’oppose à la marque de la Bête.
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L’Évangile éternel
Avant le jugement, Dieu avertit et appelle.
La miséricorde précède la justice.
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Babylone
- La chute de la cité prostituée est annoncée : tout système économique ou politique déshumanisant est condamné.
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Moisson du salut et du jugement
- Le Christ rassemble les siens, puis met fin aux forces du mal.
- La moisson n’est pas arbitraire : elle répond à la maturité morale de l’histoire.
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Espérance pour les martyrs
- Une béatitude promet repos et récompense.
- La souffrance vécue pour le Christ n’est jamais perdue.
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Le Fils de l’homme comme juge
- Jésus assume pleinement la fonction eschatologique décrite en Daniel 7.
- Son jugement est juste et nécessaire : il restaure la vérité du monde.
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Un chapitre de transition
- Le chapitre 14 prépare les grands jugements des chapitres 15–16.
- Il montre que le jugement n’est pas la destruction du monde mais la désintégration du mal.

