Apocalypse - Chapitre 6 - Ouverture des 6 premiers sceaux

Versets Commentaire
1 Alors je vis : Quand l'agneau ouvrit le premier des sept sceaux, j'entendis le premier des quatre animaux s'écrier d'une voix de tonnerre : Viens ! Ce qui frappe d’abord, dans la lecture de ces huit versets, c’est l’appel quatre fois répété :"Viens!" (1, 3, 5, 7).

L’ouverture du premier sceau inaugure le déploiement du plan divin révélé dans le livre scellé du chapitre précédent. C’est l’Agneau, et lui seul, qui a l’autorité d’ouvrir les sceaux : la souveraineté de Dieu sur l’histoire passe par le Christ crucifié et glorifié. Les quatre Vivants, figures de la création et des forces célestes (chapitre 4), introduisent chacun des quatre premiers sceaux ; leur voix « comme le tonnerre » marque la dimension théophanique du dévoilement. L’impératif « Viens » peut s’adresser au cavalier qui surgit ou exprimer l’attente du voyant : dans les deux cas, il s’agit d’un appel à la manifestation de l’action divine dans l’histoire.
2 Et je vis : c'était un cheval blanc. Celui qui le montait tenait un arc. Une couronne lui fut donnée, et il partit en vainqueur et pour vaincre. Voir l'étude sur les quatre cavaliers.
3 Quand il ouvrit le deuxième sceau, j'entendis le deuxième animal s'écrier : Viens !
4 Alors surgit un autre cheval, rouge feu. A celui qui le montait fut donné le pouvoir de ravir la paix de la terre pour qu'on s'entre-tue, et il lui fut donné une grande épée.
5 Quand il ouvrit le troisième sceau, j'entendis le troisième animal s'écrier : Viens ! Et je vis : c'était un cheval noir. Celui qui le montait tenait une balance à la main.
6 Et j'entendis comme une voix, au milieu des quatre animaux, qui disait : Une mesure de blé pour un denier et trois mesures d'orge pour un denier, quant à l'huile et au vin, n'y touche pas.
7 Quand il ouvrit le quatrième sceau, j'entendis le quatrième animal s'écrier : Viens !
8 Et je vis : c'était un cheval blême. Celui qui le montait, on le nomme « la mort », et l'Hadès le suivait. Pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour tuer par l'épée, la famine, la mort et les fauves de la terre.
9 Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l'autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu'ils avaient porté. Le ciel apparaît meublé d’un mobilier liturgique qui est la réplique de celui du Temple de Jérusalem. L’autel est celui des holocaustes. La mort des martyrs est comparée à l’immolation des animaux. Leur sang était répandu au pied de l’autel des holocaustes au temple de Jérusalem: le sang des martyrs est répandu au bas de l’autel céleste. Le sang étant le siège de l’âme, les âmes se trouvent sous l’autel (dans la littérature rabbinique le lieu de séjour des âmes trépassées est sous le trône de Dieu). On notera le terme employé pour parler des martyrs : les âmes (on le retrouvera au chapitre 20, verset 4). D.A.
10 Ils criaient d'une voix forte : Jusques à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu à faire justice et à venger notre sang sur les habitants de la terre ? Le cinquième sceau introduit une scène céleste : les martyrs sont « sous l’autel », lieu de sacrifice, signe que leur mort participe au culte céleste. Leur cri reprend le « jusqu’à quand » des psaumes de lamentation. Leur demande de justice n’est pas vengeance personnelle, mais attente de la manifestation de la justice divine.

Ps 13,1-5 Jusqu'à quand, Eternel, m'oublieras-tu sans cesse? Jusqu'à quand me cacheras-tu ton visage? Jusqu'à quand aurai-je des soucis dans mon âme, et chaque jour des chagrins dans mon cœur ?

Les martyrs ont livré leur vie, et ils sont en attente de la résurrection et de la Jérusalem céleste. C’est pourquoi ils interpellent Dieu : qu’est-ce que tu attends pour nous venger ? ils posent la question que nous posons tous les jours : qu’attends-tu pour remettre les choses en place, pour rétablir la justice ? Dieu leur répond de patienter, de “rester tranquilles“. Nous sommes renvoyés au terme de l’histoire. Dieu n’intervient pas comme nous le souhaitons, mais, au contraire, il nous laisse dans les conditions d’un témoignage authentique. Et ce témoignage ne portera la plénitude de son fruit qu’au terme de l’histoire, de même que la résurrection du Christ ne produit son plein effet qu’au terme de l’histoire. Après nous avoir dévoilé, par l’ouverture des quatre premiers sceaux, l’importance décisive de la prière qui, du coeur même du monde créé, monte vers Dieu pour appeler la venue du Christ, l’Agneau nous dévoile l’existence dans l’invisible de la prière des martyrs. De même que les vivants “s’écrient d’une voix de tonnerre : viens ! “, de même les martyrs “crient d’une voix forte : Jusqu’à quand tarderas-tu à faire justice ? “ Parce qu’ils ont été configurés à l’Agneau dans son sacrifice, ils interviennent dans l’évolution de l’histoire humaine par leur prière puissante. Le poids décisif de la prière des martyrs appelle l’avènement de la Fin. D.A.
11 Alors il leur fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de patienter encore un peu, jusqu'à ce que fût au complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères, qui doivent être mis à mort comme eux. La robe blanche signifie leur justification et leur participation à la victoire de l’Agneau. L’attente imposée indique que le temps du témoignage n’est pas achevé : le mal doit encore être dévoilé avant la restauration complète. Cette vision affirme la valeur rédemptrice du martyre et le lien entre culte céleste et souffrance terrestre.
12 Et je vis : Quand il ouvrit le sixième sceau, il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune entière comme du sang. La sixième ouverture déclenche une théophanie cosmique : le bouleversement des astres et des éléments exprime la désintégration de l’ordre ancien. Les images sont empruntées aux prophètes (Joël 2, Ésaïe 34, Aggée 2). Le langage n’est pas descriptif mais symbolique : il évoque l’irruption de Dieu dans l’histoire, le dévoilement de sa transcendance. L’univers devient théâtre du jugement ; la création tout entière réagit à la présence de son Créateur. Le « livre qu’on roule » évoque la fin du temps et l’ouverture du ciel à la révélation finale.
13 Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme fruits verts d'un figuier battu par la tempête.
14Le ciel se retira comme un livre qu'on roule, toutes les montagnes et les îles furent ébranlées.
15 Les rois de la terre, les grands, les chefs d'armée, les riches et les puissants, tous, esclaves et hommes libres, se cachèrent dans les cavernes et les rochers des montagnes. La réaction des humains face à la théophanie souligne l’universalité du jugement : aucune distinction sociale ne subsiste. Les puissants comme les faibles sont également confrontés à la « colère de l’Agneau », paradoxe saisissant où la douceur du Christ devient instrument de justice.
16 Ils disaient aux montagnes et aux rochers : Tombez sur nous et cachez-nous loin de la face de celui qui siège sur le trône, et loin de la colère de l'agneau !
17 Car il est venu le grand jour de leur colère, et qui peut subsister ? Le cri final, « Qui peut subsister ? », prépare la vision suivante (ch. 7), où les serviteurs de Dieu sont marqués pour être préservés. Le sixième sceau révèle donc non la fin totale, mais la conscience de la fin : l’humanité découvre sa responsabilité devant Dieu.

Pour bien comprendre ce sixième sceau, il faudrait relire tous les textes de l’Ancien Testament qui décrivent le “Jour de Yahvé”. La venue de Dieu y est décrite en termes de bouleversements cosmiques ; ainsi en Isaïe (13,9-10), Ezéchiel (32,7-8), Joël (2,10 ; 3,l5l6). Dans les Évangiles, la venue du Christ glorieux est décrite dans des termes similaires, reprenant le langage de l’Ancien Testament. Saint Matthieu, qui écrit pour des juifs, décrit la mort et la résurrection du Christ de cette façon-là. Lisez saint Matthieu (27,51-54 et 28,24), et de même saint Luc (23,44-45) ; l’emploi d’un tel langage signifie que la mort de Jésus en croix est déjà le dévoilement du Jour de Yahvé. C’est donc un langage symbolique, qui ne prétend pas décrire une réalité, mais lui donner une interprétation.

Ce jugement final sera l’objet du septénaire des coupes (15,5-19,4). Au moment du jugement final, l’endurcissement du coeur de ceux qui n’auront pas voulu s’ouvrir à la miséricorde, leur vaudra de vivre l’amour de Dieu comme colère de Dieu, colère de l’Agneau comme il est dit au verset 16. Ceci est un grand mystère, tout à fait incompris aujourd’hui, sur lequel nous reviendrons plus loin : quelle est la signification de la colère de Dieu par rapport à la liberté de l’homme ? D.A.

Voir l'étude sur le jour du jugement.
Voir l'étude sur le jugement dernier.

Synthèse théologique

Le chapitre 6 marque un tournant majeur du livre : après la vision du trône et du livre, il décrit le déploiement du dessein divin dans l’histoire humaine. Les sceaux ouverts par l’Agneau ne sont pas encore le jugement final mais les signes préliminaires qui révèlent la réalité du mal et la fragilité des puissances terrestres. La scène articule trois niveaux : cosmique, historique et spirituel.

Les quatre premiers sceaux présentent une série de fléaux sous forme de cavaliers — guerre, famine, mort — qui rappellent Zacharie 1 et 6. L’imagerie apocalyptique relie ici les visions du prophétisme ancien à l’accomplissement christologique. Le Christ, en ouvrant les sceaux, ne crée pas le mal : il le révèle et l’intègre dans la marche de son dessein. Les cavaliers manifestent la justice permissive de Dieu : les conséquences du péché humain deviennent les instruments de l’histoire sainte.

Le cinquième sceau déplace la scène vers le ciel et introduit le thème du martyre, clé de lecture du livre. L’Église terrestre participe déjà au drame céleste ; le témoignage jusqu’à la mort devient la forme actuelle du combat eschatologique. Le cri des martyrs met en tension la patience divine et l’attente humaine : le jugement est certain, mais différé pour que s’accomplisse le nombre des témoins.

Le sixième sceau, enfin, ouvre le champ du jugement cosmique. Les cataclysmes ne doivent pas être compris comme des prédictions physiques, mais comme des signes théologiques : ils expriment la dissolution de l’ordre injuste et l’imminence d’un monde nouveau. Le langage des astres et des tremblements de terre traduit l’expérience du dévoilement de Dieu.

À travers ces six sceaux, l’Apocalypse articule une théologie du dévoilement progressif : Dieu agit non par surprise mais par révélation successive. Le Christ-Agneau demeure le centre : c’est son autorité qui ouvre chaque étape. Même la colère divine se comprend comme le revers de son amour, qui purifie et redresse. L’humanité, confrontée à ses propres œuvres, découvre que seule la fidélité à l’Agneau permet de « subsister ».

Ainsi, Apocalypse 6 n’est pas une chronique de catastrophes, mais une mise à nu de la logique du monde sans Dieu et une préparation à la rédemption finale. Derrière les cavaliers, les famines et les tremblements de terre, se déploie la pédagogie divine : révéler la nécessité d’un salut que seul le Christ, Agneau immolé et vainqueur, peut accomplir.

Suite : Commentaire du chapitre 7