Apocalypse - Genèse
Tableau comparatif
Le tableau ci-dessous présente les grands thèmes communs au récits de la Genèse et de l'Apocalypse.
| Motif | Genèse (Création et Chute) | Apocalypse (Nouvelle Création) | Similitudes / Différences | Parallèles |
|---|---|---|---|---|
| Jardin / Nouvelle Ville | Un jardin paradisiaque, intime et naturel, Gn 2,8 : « Yahvé Elohim planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y plaça l'adam qu'il avait formé. » | Une ville-jardin (nouvelle Jérusalem), architecturée et glorieuse (Ap 21–22). | Transformation du jardin originel en cité accomplie : nature + culture réconciliées. | |
| Nudité / Vêtement | Nudité innocente, Gn 2,25 : « Adam et sa femme étaient tous deux nus, et ils n'en avaient point honte. » Puis, après la chute, Gn 3,21 : « L'Éternel fit à l'homme et à sa femme des habits de peau. » | Les élus sont vêtus de robes blanches signe de justice et de gloire, Ap 7:9 : « Ils se tenaient debout devant le trône et devant l'agneau, vêtus de robes blanches et des palmes à la main. » | Nudité = innocence perdue / honte ; vêtement blanc = innocence restaurée et glorifiée. | |
| Péché / Victoire | Entrée du péché dans le monde (Gn 3). | Disparition du péché, du mal et de la mort (Ap 20–22). | Inversion totale : ce qui commence par la chute finit par la rédemption totale. | |
| Manducation du fruit / livre | Le fruit est pris et mangé, Gn 3,6 : « La femme vit que l'arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il en mangea. » | Le livre est reçu et mangé, Ap 10,9 « Je m'avançai vers l'ange et le priai de me donner le petit livre. Il me dit : Prends et mange-le. Il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche il aura la douceur du miel. 10 Je pris le petit livre de la main de l'ange et le mangeai. Dans ma bouche il avait la douceur du miel, mais quand je l'eus mangé, mes entrailles en devinrent amères. » | Différence : Prendre et recevoir. | |
| Présence de Dieu | Dieu marche dans le jardin, Gn 3,8 : « L'Éternel Dieu se promenait dans le jardin, à la brise du jour. » | Dieu habite avec les hommes dans la ville céleste, Ap 21,3 : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il habitera avec eux; ils seront son peuple… ». | Présence perdue → présence permanente, immédiate et totale. | Ézéchiel 37:27 : « Ma demeure sera parmi eux; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. » |
| Temple | Pas de temple dans le jardin d'Eden. Plus tard, tente de la reconcontre, puis temple de Salomon, puis second temple détruit en 70. | Le temple n'existe plus, Ap 21,22 : « Mais de temple, je n'en vis point dans la cité, car son temple, c'est le Seigneur, le Dieu souverain, ainsi que l'agneau. » | Présence immédiate : le temple symbolique des origines devient présence directe. | |
| Humanité | Créée à l’image de Dieu, puis corrompue par le péché. | Humanité rachetée, sanctifiée, transfigurée (Ap 21–22). | Même image, restaurée et accomplie dans la sainteté. | |
| Alliance nuptiale | Union d’Adam et Ève, Gn 2,24 : « ils deviennent une seule chair. » | Noces de l’Agneau, nouvelle alliance éternelle, Ap 21,2 : « La ville sainte s'est présentée comme une épouse parée pour son mari. » | Le mariage naturel devient symbole transfiguré : union Christ–Église. | Osée, Ephésiens |
| Terre et ciel | Création de ciel et terre, Gn 1,1 : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. » | Ciel nouveau et terre nouvelle, Ap 21,1 : « Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu… ». | Création initiale → recréation définitive : même motifs, accomplissement culminant. | Ésaïe 65:17 « Car voici, je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre… » |
| Accès à Dieu / Interdits | Dieu chasse l’homme du jardin et un chérubin garde l’accès (Gn 3). | Les portes de la ville restent ouvertes, accès libre aux élus (Ap 21,25). | Départ forcé → accueil définitif ; exclusion → communion. | |
| Eau / Fleuve | Un fleuve sort d’Éden pour irriguer le jardin, Gn 2,10 : « Il y eut un fleuve qui sortait d'Éden pour arroser le jardin ; de là il se divisait en quatre bras. ». | Un fleuve d’eau vive sort du trône de Dieu et de l’Agneau, Ap 22,1 : « Et il me montra un fleuve d'eau de la vie, clair comme du cristal, qui sortait du trône de Dieu et de l'Agneau. » | L’eau naturelle de la création devient l’eau vivifiante et divine de la nouvelle création. | Ézéchiel 47:1–12 : Description d'une rivière qui assure guérison et vie (parallèle à la source vivifiante). |
| Lumière | Dieu crée la lumière et sépare la lumière des ténèbres, Gn 1,3-4 : « Dieu dit: Que la lumière soit. Et la lumière fut. » | La lumière vient directement de Dieu ; plus de nuit, Ap 21,23 : « La ville n'a besoin ni du soleil ni de la lune pour l'éclairer; car la gloire de Dieu l'éclaire, et l'Agneau est son flambeau. » ; 22,5. | La lumière créée devient lumière divine permanente, sans ténèbres. | Ésaïe 60:19 : « Le soleil ne te servira plus de lumière… car l'Éternel sera pour toi une lumière éternelle. » |
| Animaux | Création harmonieuse des animaux (Gn 1-2) ; le serpent devient instrument de tentation (Gn 3). | Bêtes apocalyptiques symbolisant les puissances du mal ; le dragon identifié au serpent (Ap 12 ; 13). | La bonté initiale est pervertie : la création devient théâtre du combat eschatologique. | |
| Serpent / Dragon | Serpent trompeur, auteur de la chute, Gn 3,1 : « Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs… ». | Dragon « l’antique serpent », 12:9 « Le grand dragon… appelé le diable et Satan… fut précipité sur la terre. » Vaincu définitivement, Ap 20,10 : « Le diable… fut jeté dans l'étang de feu et de soufre… ». |
Même adversaire : séduction au début, destruction finale à la fin. | |
| Femme/serpent | La femme devient l'ennemie du serpent, Gn 3,15 « Je mettrai l'hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira à la tête et toi, tu la meurtriras au talon. » | La femme devient un signe apocalyptique, Ap 12,1 « Un grand signe apparut dans le ciel : une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. » | ||
| Malédiction | La terre est maudite, Gn 3,17-19 : « Le sol sera maudit à cause de toi. C'est dans la peine que tu t'en nourriras tous les jours de ta vie, 18il fera germer pour toi l'épine et le chardon et tu mangeras l'herbe des champs. 19 A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu'à ce que tu retournes au sol car c'est de lui que tu as été pris. » | Plus de malédiction, Ap 22,3 « Il n'y aura plus de malédiction. » | Ce qui est brisé est guéri : annulation eschatologique de la chute. | |
| Mort | Conséquence du péché, Gn 2,17 : « Tu mourras » ; Gn 3,19 : « Tu retourneras à la terre… car tu es poussière, et tu retourneras en poussière. » | La mort ne sera plus, Ap 21,4 « Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus. Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu. » | La première conséquence de la chute devient la première réalité abolie. | Ésaïe 25:8 : « Il détruira la mort pour toujours. » |
| Terre | Création du ciel et de la terre (Gn 1,1). | Ciel nouveau et terre nouvelle : « Ap 21,1 Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n'est plus. 2 Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, comme une épouse qui s'est parée pour son époux. | La création originelle est recréée et transfigurée. | Isaïe 43,18-19 ; 65,17-18 ; 66,22. |
| Soleil et lune | Luminaires célestes, Gn 1,14 : « Dieu dit : Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, qu'ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années, 15 et qu'ils servent de luminaires au firmament du ciel pour illuminer la terre. Il en fut ainsi. 16Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles. » | Dieu est lumière, Ap 21,23 : « La cité n'a besoin ni du soleil ni de la lune pour l'éclairer, car la gloire de Dieu l'illumine, et son flambeau, c'est l'agneau. » | La création originelle est recréée et transfigurée. | |
| Arbre de vie | Au milieu d'Éden. « Gn 3,2 ...l'arbre qui est au milieu du jardin... 22 Yahvé Elohim dit : « Voici que l'homme est devenu comme l'un de nous par la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. Maintenant, qu'il ne tende pas la main pour prendre aussi de l'arbre de vie, en manger et vivre à jamais ! » 23 Le SEIGNEUR Dieu l'expulsa du jardin d'Eden pour cultiver le sol d'où il avait été pris. 24 Ayant chassé l'homme, il posta les chérubins à l'orient du jardin d'Eden avec la flamme de l'épée foudroyante pour garder le chemin de l'arbre de vie. » | Arbre de vie au centre de la cité : « 2,7 Au vainqueur, je donnerai à manger de l'arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu. Ap 22,2 Au milieu de la place de la cité et des deux bras du fleuve, est un arbre de vie produisant douze récoltes. Chaque mois il donne son fruit, et son feuillage sert à la guérison des nations. » |
Retiré à cause du péché ➜ redonné en plénitude. La continuité, c’est la présence de l’arbre de Vie. La différence, c’est que nous passons d’un jardin à une ville. Ainsi n’assistons-nous pas à un retour à l’origine. Le Dieu biblique n’est pas ce Dieu têtu qui referait un jardin parce qu’au début c’était son plan! Le fait qu’il s’agisse d’une ville signifie que Dieu n’annule pas l’histoire et l’oeuvre de l’homme, mais au contraire l’assume. La ville, c’est la grande oeuvre de l’homme ; Dieu reprend toute l’histoire de l’homme et la synthétise dans la ville absolue. Ce que les hommes ont librement et volontairement créé, ils vont le retrouver dans Jérusalem. D’une part, cette Jérusalem céleste est une création absolument nouvelle ; d’autre part, elle est la parfaite synthèse faite par Dieu de toute l’histoire et de toute la vie de l’humanité. D.A. |
Proverbes 3:18 : « Elle [la sagesse] est un arbre de vie pour ceux qui la saisissent. » |
| Gardien | Chérubin gardant l’accès à l’arbre (Gn 3,24). | Portes toujours ouvertes ; rien d’impur n’entre (Ap 21,25-27). | Accès interdit ➜ accès libre pour les saints. |
Analyse
Toute la Bible peut se lire comme un vaste itinéraire allant de Genèse 1–3, le récit du jardin d’Éden, jusqu’à Apocalypse 21–22, la description de la nouvelle Jérusalem. Ces deux textes ne sont pas simplement les premières et dernières pages du canon ; ils constituent les piliers narratifs et théologiques qui encadrent l’ensemble du drame biblique. Il ne s’agit pas d’une symétrie artificielle, mais d’une architecture délibérée où le début anticipe la fin et où la fin accomplit le début.
Dans la Genèse, Dieu crée un monde ordonné, bon et habitable. La lumière apparaît, séparée de la ténèbre, les eaux se divisent, la terre produit, les animaux surgissent, jusqu’à l’homme et la femme, créés à l’image de Dieu. Tout respire l’harmonie, la fécondité et la bénédiction. Le jardin d’Éden est plus qu’un simple cadre idyllique : il est le premier temple, un lieu où Dieu et l’humanité cohabitent dans une communion naturelle. Les grands symboles y sont déjà présents : le fleuve, l’arbre de vie, la nudité innocente, la voix de Dieu qui marche dans le jardin.
Mais cette harmonie est fragile, car l’homme est un être libre. Le serpent, créature rusée, mais encore anonyme, introduit le doute, la méfiance, l’autonomie orgueilleuse. La transgression n’est pas d’abord une faute morale, mais un renversement de l’ordre symbolique : l’homme veut prendre lui-même le discernement du bien et du mal, sans Dieu comme source. Alors viennent la honte, la rupture relationnelle, la peur, la mort et l’expulsion. L’accès à l’arbre de vie est désormais interdit par un chérubin armé d’un glaive. Le monde reste bon, mais l’homme y est désormais étranger, blessé dans sa vocation et séparé de sa source.
Toute la Bible racontera alors, de manière variée mais cohérente, la tentative de Dieu pour ramener l’humanité vers ce jardin perdu, non pour le restaurer tel quel, mais pour le conduire à son accomplissement ultime. L’histoire d’Israël, les prophéties, la sagesse, le culte, et enfin la venue du Christ, se déploient comme une pédagogie du salut qui reconstruit la communion brisée.
C’est précisément l’Apocalypse qui révèle la fin de cette trajectoire. Mais le décor n’est plus celui d’un jardin primitif. Ce qui apparaît est une cité : la nouvelle Jérusalem. Cette différence n’est pas accidentelle. La ville est le lieu où se concentre l’histoire humaine, ses constructions, sa culture, sa mémoire, sa vie communautaire. Alors que le jardin d’Éden était un don, la ville est une œuvre ; mais l’Apocalypse montre que l’histoire humaine, purifiée, peut être intégrée dans le dessein de Dieu. La cité est un jardin transfiguré, une nature pleinement assumée par la culture humaine rachetée.
L’à-propos de cette transformation est visible dans chaque motif symbolique. L’eau du fleuve d’Éden devient un fleuve d’eau vive qui jaillit du trône de Dieu et de l’Agneau. L’arbre de vie, perdu dans la Genèse, est retrouvé au centre de la cité, portant douze fruits et guérissant les nations. La nudité honteuse devient vêtement blanc de gloire, non plus un signe de perte mais un vêtement liturgique. Le serpent, discret dans la Genèse, apparaît dévoilé comme le dragon, principe du mal cosmique ; et ce dragon, longtemps actif, finit détruit, ce que Genèse n’avait fait qu’annoncer sans accomplir.
La présence de Dieu constitue le cœur de cette inversion. Dans la Genèse, Dieu se retire après la chute, et l’homme est expulsé du jardin. Dans l’Apocalypse, Dieu demeure avec les hommes : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes. » L’exclusion cède la place à l’inclusion totale. La création devient temple, non plus un lieu où l’on cherche Dieu, mais un lieu où sa présence est immédiate et constante. C’est pourquoi il n’y a plus de temple dans la nouvelle Jérusalem : Dieu et l’Agneau en sont eux-mêmes le sanctuaire.
La mort, introduite dans la Genèse comme conséquence de la désobéissance, est la première réalité abolie dans l’Apocalypse. L’histoire s’achève ainsi sur l’inversion radicale de son premier drame : ce qui a été introduit par l’homme est détruit par Dieu. De même, la malédiction qui frappait la terre disparaît : « plus de malédiction ». Tout ce qui était blessure devient guérison.
Un autre motif majeur est celui de l’humanité elle-même. Adam et Ève incarnent l’humanité au début ; dans l’Apocalypse, l’Épouse — la Jérusalem nouvelle — incarne l’humanité réconciliée. La femme trompée de la Genèse trouve sa contrepartie dans la femme couronnée de l’Apocalypse 12 et dans l’Épouse glorieuse du chapitre 21. La masculinité et la féminité, unies dans le couple originel, se voient transfigurées en une union eschatologique entre le Christ et l’Église, union qui donne sens et achèvement à toute anthropologie biblique.
Ainsi, Genèse et Apocalypse ne sont pas deux récits disjoints : ils sont les deux pôles d’un même mouvement. Le premier raconte un monde créé pour la communion, mais brisé par la révolte. Le dernier raconte un monde recréé pour la communion définitive, rendu possible par la victoire de l’Agneau. Entre les deux, toute l’Écriture se déploie comme un long retour vers la présence perdue. Ce que l’homme n’a pu accomplir par lui-même, Dieu l’accomplit pleinement. La Bible commence dans un jardin fermé et s’achève dans une cité ouverte. Elle commence avec un serpent qui parle et finit avec un dragon réduit au silence. Elle commence avec la lumière créée et finit avec la lumière increée. Elle commence avec un couple blessé et finit avec une Épouse glorieuse. Elle commence avec la mort et finit par la vie éternelle.
La structure est circulaire, mais non répétitive : c’est un cercle ascendant, où la fin accomplit, transfigure et dépasse le commencement. Toute la théologie biblique se comprend entre ces deux pôles : création, chute, promesse, rédemption, accomplissement. Genèse donne la vocation ; Apocalypse donne le destin. Et l’ensemble proclame que l’histoire humaine, malgré ses ruptures, est guidée par un dessein de vie éternelle et de communion parfaite.

