Apocalypse - Mille ans

Dans le chapitre 20 du Livre de l'Apocalypse, d’une part, Satan est enchaîné pendant mille ans ; d’autre part, les martyrs règnent avec le Christ pendant mille ans. Que représente cette période de mille ans ?

Ce chiffre comme d'autres est symbolique. Il représente une longue durée, indéterminée dans le temps.

“Le sens du règne de mille ans ne nous paraît pas tellement obscur. Il s’agit du règne des “âmes” des martyrs (20,4) (...) Mais il ne s’agit pas d’un règne semblable à celui des royaumes terrestres visibles, charnels. Il s’agit des “âmes“ qui attendent sur “terre“ (dans ce monde) la venue du monde futur. La période où Satan est enchaîné, c’est maintenant qu’elle existe. En ce moment et depuis la formation de l’Église, Satan est enchaîné; il agit par ses suppôts, les deux Bêtes. Mais à la fin des temps, quand les deux Bêtes auront été vaincues, il sera délié un temps, et tentera lui-même un dernier assaut désespéré, après quoi il sera relégué définitivement dans l’abîme de feu. Saint Jean utilise le schème du millénium, bien connu de l’apocalyptique juive, pour résoudre un problème qui préoccupait la chrétienté de la fin du premier siècle. En ce moment, devant le fait du martyre, se pose la question : que deviennent les chrétiens mis à mort ? Comme leur vie chrétienne sur cette terre a été interrompue, que se passe-t-il en attendant la résurrection finale ? Vivent-ils ? Où sont-ils ? Dans un shéol ? Dans un enfer quelconque? (...) En attendant la résurrection des corps, les âmes des témoins ressuscitent et participent déjà de la vie et du règne du Christ dans une Sion spirituelle qui est une anticipation de la nouvelle Jérusalem" (Joseph Comblin, Le Christ dans l'Apocalypse, Desclée, 1965, p. 214- 215).

"La signification à donner aux “mille ans” a été, évidemment, l’objet de discussions indéfinies. Passer ici en revue les opinions et en faire un examen approfondi serait sortir de notre sujet. Beaucoup d’auteurs anciens, prenant à la lettre les visions de l’Apocalypse, ont cru y trouver le “millénarisme“, théorie inspirée de spéculations messianiques juives et de rêves humains universels : avant la résurrection générale, le Christ reviendrait sur la terre pour y régner pendant dix siècles et il associerait à ce règne les chrétiens les plus méritants, qui seraient au préalable ressuscités. Ce serait une période de bonheur terrestre extraordinaire, dont l’évocation permet de lâcher la bride aux imaginations. Ce genre d’interprétation ne tient pas compte du fait que l’Apocalypse s’exprime continuellement en langage symbolique. À l’interpréter comme si elle communiquait des renseignements matériels précis, on est sûr de se méprendre. Par ailleurs, le millénarisme ajoute au texte bien des éléments qui n’y sont pas. Dans ce passage (20, 4-5), Jean n'affirme ni un retour du Christ, ni un règne sur la terre. En réaction contre le millénarisme, "l’interprétation augustinienne” adopte des perspectives extrêmement larges. Le règne de mille ans est considéré comme une représentation symbolique du temps de l’Église, depuis la résurrection du Christ jusqu’à la fin du monde. La “première résurrection“ est comprise de la régénération des croyants, effectuée dans le baptême. Après leur baptême les chrétiens sont déjà rois avec le Christ. Cette seconde interprétation assimile le texte de 20,6 aux deux autres (1,6; 5,10) qui, effectivement, affirment la royauté sacerdotale des baptisés. Mais elle oublie que le contexte donne, cette fois, des précisions très différentes. Selon la phrase de 20,4, les premiers ressuscités sont d’abord et avant tout des chrétiens qui ont été décapités à cause de leur foi. Il ne s’agit donc pas simplement de n’importe quels baptisés . Mieux vaut sans doute voir en 20,4-5 l’expression vigoureuse d’une certitude exprimée souvent dans le Nouveau Testament : “Si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons, si nous tenons ferme avec lui, avec lui nous régnerons “ (2 Tm 2, 11-12). Jean ne se contente pas de répéter ce principe général : son regard de foi en discerne une application plus concrète dans le cas des martyrs et des autres chrétiens exemplaires : puisqu'ils ont participé plus intensément à la passion du Christ, ils ont, sans attendre, une participation effective à son règne. Les martyrs et les saints “vivent” (20,5) dès maintenant avec le Christ et de même que la fécondité de la passion du Christ ne s’est pas manifestée seulement par sa gloire céleste, mais aussi par l’extension de son règne “spirituel sur la terre, ainsi également les martyrs et les saints jouiront d’un pouvoir sur la terre, en union avec lui. Leur victoire procurera à l’Église une très longue période de paix et lui assurera une nouvelle vitalité. C’est en ce sens, semble-t-il, qu’on peut le mieux comprendre l’affirmation d’un règne des martyrs et des saints avec le Christ, pendant mille ans, dès avant la résurrection générale. Et ce règne est étroitement lié au sacerdoce, c’est-à-dire à la relation privilégiée qu’ils ont désormais avec le Christ et avec Dieu. En cette phrase de l’Apocalypse, il est permis de reconnaître, non seulement un des premiers témoignages de la vénération que l’Église a accordée très tôt à ses martyrs et à ses saints, mais aussi le fondement de la piété qui, dès les premiers siècles, a porté les chrétiens à recourir à leur intercession. S’ils sont prêtres du Christ et règnent avec lui, il n’est certainement pas vain de s’adresser à eux" (A. Vanhoye, Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Seuil, 1980, pp.336-337).

Ce règne des martyrs avec le Christ, saint Jean l’appelle la “première résurrection“. “Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection“ (20,6). Cette béatitude n’affirme pas qu’il faut être saint pour participer à la première résurrection, mais qu’on est saint parce qu’on y participe. C’est un don de Dieu, c’est l’accomplissement de la promesse faite aux vainqueurs. Et c’est pour cela aussi qu’elle est un privilège. On ne peut l’obtenir que par un attachement inébranlable au “témoignage de Jésus“ et à la “Parole de Dieu“, en refusant de se prosterner devant la Bête. “Les autres morts ne reprirent pas vie avant l’accomplissement des mille ans“ (20,5). Cette première résurrection libère définitivement les saints et les martyrs de l’emprise possible de l’enfer, appelée “seconde mort“, et les établit dans une possession plénière de la royauté et du sacerdoce du Christ. L’appellation de “première résurrection“ est pour saint Jean le moyen de concilier la vie des justes dès leur mort avec la perspective de la résurrection finale. "Le Nouveau Testament ne semble pas envisager que les âmes seules sont jugées et sanctionnées en attendant une résurrection finale. Ce sera plutôt le fruit d’une réflexion postérieure (peut-être amorcée en Mt 10,28). Les auteurs bibliques ne pensent pas aux “âmes séparées”, et quand ils évoquent les âmes de ceux qui sont passés par la mort, ils semblent les considérer comme déjà ressuscités " (D. Sesboüé, La mort et après, in Prêtres Diocésains, 1975, p. 171).

Nous nous souvenons que l’Apocalypse donne la participation à la royauté et au sacerdoce du Christ comme une réalité présente de la vie du baptisé (voir 1,6-9 et 5,10). Mais il semble que la “première résurrection“ confère à ceux qui y ont part la plénitude de la participation à la dignité du Christ Prêtre, Prophète et Roi. Le jugement qui leur est remis, la Royauté et le Sacerdoce qu’ils reçoivent en plénitude, font que les saints et les martyrs partagent avec le Christ la responsabilité du salut du monde dans l’exaltation de la gloire, après l’avoir partagée pendant leur vie terrestre dans l’abaissement de la croix. Jésus n’a-t-il pas présenté l’exercice de nos responsabilités ecclésiales pendant notre vie terrestre comme un test en vue de responsabilités plus grandes à venir, par exemple dans la parabole des mines (Lc 19,11-27) ? "Les martyrs sont passés du premier degré du sacerdoce, qui est commun à tous les baptisés, à un degré supérieur. Ce premier degré a pour fondement la mort rédemptrice du Christ, qui “nous a déliés de nos péchés” et a fait de nous “des prêtres pour son Dieu et Père“. Ce premier degré n’est évidemment pas le terme de la vie chrétienne, mais son début. Il constitue le point de départ d’une vocation qui tend à une réalisation plus parfaite du sacerdoce, grâce à une participation personnelle au sort de l’Agneau égorgé. L’Apocalypse ne se lasse pas d’insister sur cette vocation. Les martyrs l’accomplissent à la perfection (...). La mort des martyrs et la fidélité sans compromis des autres fidèles constituent donc la voie d’accès à un accomplissement plus parfait du sacerdoce chrétien, source de bonheur et de sainteté : “Heureux et saints… ils seront prêtres de Dieu et du Christ” (20,6) (...). Les martyrs et les saints sont ainsi prêtres “chrétiens” à un double titre : parce qu’ils doivent au Christ leur sacerdoce et parce qu'ils sont consacrés au culte du Christ en même temps qu'à celui de Dieu" (A. Vanhoye, op. cit., pp.333-335).

GEORGES DUBY, An 1000, An 2000. Sur les traces de nos peurs Je suis certain qu'il existait à la fin du millénaire une attente per-manente, inquiète, de la fin du monde, car l'Évangile annonce que le Christ reviendra un jour, que les morts ressusciteront et qu'il fera le tri entre les bons et les méchants. Tout le monde le croyait et attendait ce jour de colère qui provoquerait évidemment le tumulte et la destruction de toutes les choses visibles.

Jules Michelet, Histoire de France. C’était une croyance universelle au moyen âge, que le monde devait finir avec l’an 1000 de l’Incarnation. Avant le christianisme, les Étrusques aussi avaient fixé leur terme à dix siècles, et la prédiction s’était accomplie. Le christianisme, passager sur cette terre, hôte exilé du ciel, devait adopter aisément ces croyances. Le monde du moyen âge n’avait pas la régularité extérieure de la cité antique, et il était bien difficile d’en discerner l’ordre intime et profond. Ce monde ne voyait que chaos en soi ; il aspirait à l’ordre, et l’espérait dans la mort. D’ailleurs, en ces temps de miracles et de légendes, où tout apparaissait bizarrement coloré comme à travers de sombres vitraux, on pouvait douter que cette réalité visible fût autre chose qu’un songe. Les merveilles composaient la vie commune. L’armée d’Othon avait bien vu le soleil en défaillance et jaune comme du safran[2]. Le roi Robert, excommunié pour avoir épousé sa parente, avait, à l’accouchement de la reine, reçu dans ses bras un monstre. Le diable ne prenait plus la peine de se cacher : on l’avait vu à Rome se présenter solennellement devant un pape magicien. Au milieu de tant d’apparitions, de visions, de voix étranges, parmi les miracles de Dieu et les prestiges du démon, qui pouvait dire si la terre n’allait pas un matin se résoudre en fumée, au son de la fatale trompette ? Il eût bien pu se faire alors que ce que nous appelons la vie fût en effet la mort, et qu’en finissant, le monde, comme ce saint du Légendaire, commençât de vivre et cessât de mourir. « Et tunc vivere incepit, morique desiit. » https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_de_France_(Jules_Michelet)/%C3%A9dition_1893/Moyen_%C3%82ge/Livre_4/Chapitre_1er