Apocalypse - Chapitre 9 - Les trompettes
Ce chapitre décrit les 5ᵉ et 6ᵉ trompettes, qui marquent une escalade : les fléaux ne touchent plus la nature comme en Ap 8, mais désormais directement l’humanité et les forces spirituelles qui l’oppriment. Ces malheurs ne sont plus des avertissements extérieurs, mais jugements révélateurs du mal intérieur.
| Versets | Commentaire |
| 9,1 Le cinquième ange fit sonner sa trompette : je vis une étoile précipitée du ciel sur la terre. Et il lui fut donné la clé du puits de l’abîme. | L’“étoile tombée” désigne un être spirituel déchu (cf. Lc 10,18 ; Is 14,12) déjà en position de chute. La “clé” indique autorité reçue : Dieu reste souverain, même sur les forces infernales. Le “puits de l’abîme” est l’antre des démons, lieu du chaos (Tehom) et du mal en attente de jugement. Le fait qu’une action démoniaque puisse être à l’origine de cataclysmes naturels n’était que suggéré lors de la sonnerie des quatre premières trompettes, par le thème de la chute des anges. Mais voici que l’Apocalypse devient très explicite: saint Jean voit une étoile, un astre, qui du ciel était tombé sur la terre… L’image est fréquemment employée dans les apocalypses juives pour évoquer la chute des anges; on la retrouve au chapitre 12 (v.14). Qui est cet ange déchu ? Une indication est peut-être donnée par l’emploi du parfait pour le participe : l’étoile est tombée du ciel depuis longtemps et pour toujours. Mais, surtout, cet ange déchu joue un rôle important, car on lui donne la “clé du puits de l’abîme“. “L’abîme “, selon les représentations juives est le lieu normal de la résidence des démons (Lc 8,31; 2 P 2,4; Jude 6); il communique avec la terre grâce à une étroite cheminée, appelée ici “le puits de l’abîme“. D.A. En lisant ce passage, on ne peut manquer d’être frappé par l’emploi répété du passif (quatre fois : vv. 1,3,4,5 : “il lui fut donné “ ou bien “on lui donna”…) Le but est toujours de souligner que Dieu reste le Maître. Si le démon agit directement, ce n’est que dans les limites que Dieu lui a assignées. D.A. |
| 2 Elle ouvrit le puits de l’abîme, et il en monta une fumée, comme celle d’une grande fournaise. Le soleil en fut obscurci, ainsi que l’air. | La fumée obscurcit lumière et air : le mal obscurcit la vérité et l’Esprit (symbolisé par l’air). Le langage rappelle Exode 10, la plaie des ténèbres, mais transposée au niveau spirituel. Cet ange déchu a le pouvoir d’ouvrir le puits de l’abîme, autrement dit de libérer la puissance de l’enfer sur la terre. À voir ces “fumées“ de Satan qui montent sur la terre, nous comprenons que le champ libre va être donné au Tentateur et à ses sbires. D.A. |
| 3 Et, de cette fumée, des sauterelles se répandirent sur la terre. Il leur fut donné un pouvoir pareil à celui des scorpions de la terre. 4 Il leur fut défendu de faire aucun tort à l’herbe de la terre, à rien de ce qui verdoie, ni à aucun arbre, mais seulement aux hommes qui ne portent pas sur le front le sceau de Dieu. 5 Il leur fut permis non de les faire mourir, mais d’être leur tourment cinq mois durant. Et le tourment qu’elles causent est comme celui de l’homme que blesse un scorpion. | Les sauterelles biblico-apocalyptiques sont symbole de ravage et de jugement (Joël 1–2). Elle rappellent aussi la huitième
plaie d’Égypte (Ex 10,1-20). Ici toutefois, elles ne dévorent pas la végétation : elles ne sont pas naturelles, mais démoniaques. Les sauterelles (les démons) vont agir comme des scorpions (v. 3,5,10), animaux redoutables par leur piqûre, rarement mortelle, mais toujours douloureuse. Jésus a employé ce mot lui aussi pour désigner les démons (Lc 10,18-19). L’attaque des démons est dirigée contre les hommes qui ne portent pas sur le front le sceau de Dieu, allusion au sceau du baptême (7,3). Les démons s’en prennent aux non-chrétiens ; le chrétien est intangible dans la mesure où il demeure fidèle au Christ, à son baptême. Le tourment dure cinq mois; il est limité. Il s’agit donc probablement d’une ou de plusieurs périodes précises de l’histoire de l’humanité. D.A. |
| 6 En ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ne la trouveront pas. Ils souhaiteront mourir et la mort les fuira. | L’effet de ce déchaînement satanique est terrible. Un esprit suicidaire régnera (v.6). On voudra mourir par dégoût de la vie. Les profondeurs de l’humanité seront envahies par des sentiments, des pensées, des tendances, des courants qui la mèneront au désespoir, au nihilisme. Le néant semble envahir la terre, le néant, c’est-à-dire l’erreur qui obscurcit l’intelligence, et la mort qui cherche à engloutir la vie. D.A. |
| 7 Les sauterelles avaient l’aspect de chevaux équipés pour le combat, sur leurs têtes on eût dit des couronnes d’or, et leurs visages étaient comme des visages humains. 8 Elles avaient des cheveux comme des cheveux de femme, et leurs dents étaient comme des dents de lion. 9 Elles semblaient être comme cuirassées de fer, et le bruit de leurs ailes était comme le bruit de chars à plusieurs chevaux courant au combat. 10 Elles ont des queues comme celles des scorpions, armées de dards, et dans leurs queues réside leur pouvoir de nuire aux hommes cinq mois durant. | Le symbolisme composite (chevaux, armure d’or, dents de lions, ailes tonitruantes, corrosives queues de scorpion) exprime la terreur organisée du mal : intelligence stratégique, brutalité prédatrice, rapidité, capacité de nuire sans tuer. Le langage n’est pas zoologique, mais théologique : c’est l’expression de l’anti-création. |
| 11 Elles ont comme roi l’ange de l’abîme qui se nomme, en hébreu, Abaddôn et, en grec, porte le nom d’Apollyôn. | Abaddon, c’est-à-dire Destruction, ou Appolyon, c’est-à-dire Destructeur. |
| 12 Le premier « malheur » est passé : voici, deux « malheurs » viennent encore à la suite. | Formule liturgique annonçant la progression des jugements : escalade contrôlée. |
| 13 Le sixième ange fit sonner sa trompette : j’entendis une voix venant des cornes de l’autel d’or qui se trouve devant Dieu. | |
| 14 Elle disait au sixième ange qui tenait la trompette : Libère les quatre anges qui sont enchaînés sur le grand fleuve Euphrate. | La voix s’adresse au sixième ange qui
sonne de la trompette : “libère les
quatre anges qui ont été enchaînés“.
L’utilisation du parfait, en grec,
donne à entendre qu’ils le sont
depuis longtemps. Ce sont probablement
de nouveau des anges déchus,
comparses de Satan. Comment des
anges serviteurs de Dieu pourraient-ils
être enchaînés? Nous avons déjà
rencontré quatre anges préposés aux
vents (7,1). En effet, traditionnellement,
dans l’Ancien Testament, aux
quatre coins cardinaux de la terre
correspondent les quatre vents (Za
6,5 ; Mc 13,27) dominés par quatre
anges. Ici, le même nombre quatre, à
propos d’anges déchus, incite à penser
qu’ils vont partir à la conquête de
la terre et s’en emparer. D.A. Traditionnellement, dans l’Ancien Testament, l’Euphrate est la frontière entre le pays choisi par Dieu et l’Orient païen où se trouvent les pays dont les faux dieux ont souvent séduit Israël. De plus, à cause d’expériences malheureuses faites par Israël, l’Euphrate est devenu le terme légendaire par excellence de toutes les invasions effroyables. D.A. |
| 15 On libéra les quatre anges qui se tenaient prêts pour l’heure, le jour, le mois et l’année où ils devaient mettre à mort le tiers des hommes. | Les quatre anges sont préparés pour “mettre à mort le tiers des hommes“ : l’emploi conventionnel du tiers dans ce septénaire après celui du quart dans le septénaire précédent (6,8) peut signifier simplement une progression. L’épreuve est décrite sous forme d’une guerre. D.A. |
| 16 Et le nombre des troupes de la cavalerie était : deux myriades de myriades. J’en entendis le nombre. | Pourquoi cette précision d’une cavalerie de deux cents millions de cavaliers ? Vers le premier siècle, le monde romain était estimé à quatre-vingts millions d’habitants, et la population totale du globe à deux cents millions. D.A. |
| 17 Tels m’apparurent, dans la vision, les chevaux et leurs cavaliers : ils portaient des cuirasses de feu, d’hyacinthe et de soufre. Les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lion, et leurs bouches vomissaient le feu, la fumée et le soufre. | |
| 18 Par ces trois fléaux, le feu, la fumée et le soufre, que vomissaient leurs bouches, le tiers des hommes périt. | |
| 19 Car le pouvoir des chevaux réside dans leurs bouches ainsi que dans leurs queues. En effet, leurs queues ressemblent à des serpents, elles ont des têtes et par là peuvent nuire. | |
| 20 Quant au restant des hommes, ceux qui n’étaient pas morts sous le coup des fléaux, ils ne se repentirent pas des œuvres de leurs mains, ils continuèrent à adorer les démons, les idoles d’or ou d’argent, de bronze, de pierre ou de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher. | Absence de repentir. |
| 21 Ils ne se repentirent pas de leurs meurtres ni de leurs sortilèges, de leurs débauches, ni de leurs vols. |
Synthèse théologique
Apocalypse 9 décrit non seulement des fléaux, mais l’anatomie spirituelle du mal.
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Plusieurs enseignements majeurs se dégagent :
1) Le jugement révèle l’ennemi véritable
- Ce ne sont plus des calamités naturelles, mais des forces infernales.
- Jean démythifie la guerre humaine : à l’origine, il y a un conflit invisible.
- L’homme, en refusant Dieu, s’expose au règne du destructeur (Apollyon).
- Même les démons reçoivent permission, limites, temps fixé.
- L’histoire n’est pas livrée au chaos : Dieu reste le Seigneur du calendrier et du cosmos.
- Le motif du tiers indique une mise en garde.
- Dieu interrompt le mal, mais laisse un espace à la conversion.
- Non seulement les hommes souffrent, mais ils refusent de changer.
- La souffrance seule ne sauve pas.
- Seul l’Agneau mène à la transformation.
- Les démons apparaissent beaux/puissants (armures étincelantes), mais agissent par poison :
- Ils promettent puissance, ils donnent esclavage.
- Jean articule une vision du monde où le spirituel et le politique sont imbriqués :
- les tensions géopolitiques (Euphrate) ne sont que manifestations terrestres d’un conflit céleste.
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Le verset 20–21 est la clé du chapitre :
Conclusion globale
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Apocalypse 9 n’est pas une description cryptée de guerres futures, mais une révélation du fonctionnement profond du mal et du jugement de Dieu.
Ce chapitre montre :
- Où mène la rupture avec Dieu : aux ténèbres et à l’absurde
- Qui est le véritable adversaire : le destructeur
- Qu’une grâce demeure possible, même dans la crise
- Le but du jugement n’est pas la destruction des hommes, mais leur délivrance du Mal.
- Et pourtant, à la fin du chapitre, l’insurrection humaine persiste.
- Ce constat place au cœur du drame apocalyptique la nécessité de l’Agneau, seul capable d’ouvrir les sceaux et de convertir les cœurs : sans Lui, le jugement ne fait que dévoiler la maladie humaine sans la guérir.
Ainsi, Apocalypse 9 est un chapitre sombre, mais orienté vers un horizon d’espérance : le mal est dévoilé pour être vaincu, et Dieu, même dans son jugement, poursuit son dessein de salut.

