Apocalypse - Chapitre 18 - La chute de Babylone
Le chapitre 18 décrit la chute de Babylone la grande, développant et amplifiant ce qui était annoncé symboliquement au chapitre 17. Ce texte est construit comme une lamentation prophétique, rappelant les oracles contre Tyr (Ézéchiel 26–28), Ninive (Nahum), ou Babylone historique (Isaïe 13–14, 47 ; Jérémie 50–51). La chute n’est pas seulement politique : elle est théologique, cosmique et économique. Le chapitre expose la destruction d’un système idéologique, politique, commercial et culturel qui s’opposait à Dieu et persécutait les saints.
| Versets | Commentaire |
| 1 Je vis ensuite un autre ange descendre du ciel. Il avait un grand pouvoir et la terre fut illuminée de sa gloire. | Un ange puissant, lumineux, descend, et la terre est illuminée de sa gloire. Ce contraste entre lumière céleste et ténèbres de Babylone annonce un jugement public, manifeste. L’apparition de cet ange, qui proclame l’écroulement de la ville, comme c’était le cas au chapitre 14 (v.8), évite les descriptions morbides chères aux lecteurs de journaux à sensation. Tout est simplement suggéré, aussi bien par la voix de l’ange, que par les chants de lamentation qui suivent. D.A. |
| 2 Il s'écria d'une voix forte : Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande ; elle est devenue demeure de démons, repaire de tous les esprits impurs, repaire de tous les oiseaux impurs et odieux. | Le double « elle est tombée » renforce la certitude et la solennité de la proclamation. La ville est devenue habitation de démons et refuge pour tout esprit impur. L’image évoque une ruine totale, un renversement complet : ce qui était centre de commerce et de puissance devient un désert spirituel hanté. |
| 3 Car elle a abreuvé toutes les nations du vin de sa fureur de prostitution : les rois de la terre se sont prostitués avec elle, et les marchands de la terre se sont enrichis de la puissance de son luxe. | abylone symbolise un système mondial de corruption et de prospérité séduisante. Le vin est un symbole d’ivresse morale : les nations sont entraînées dans l’idolâtrie et l’injustice. Les rois ont commis « l’immoralité » avec elle — métaphore de l’alliance politique corruptrice — et les marchands se sont enrichis grâce à son luxe. Cela montre l’interconnexion du pouvoir politique, économique et religieux. |
| 4 Et j'entendis une autre voix qui, du ciel, disait : Sortez de cette cité, ô mon peuple, de peur de participer à ses péchés, et de partager les fléaux qui lui sont destinés. | Un appel divin à la séparation. Ce verset rappelle Jérémie 51:45 ou 2 Corinthiens 6:17. Le peuple de Dieu doit quitter symboliquement la culture de Babylone pour ne pas partager son destin. La séparation n’est pas géographique mais spirituelle : ne pas participer aux œuvres injustes. |
| 5 Car ses péchés se sont accumulés jusqu'au ciel, et Dieu s'est souvenu de ses injustices. | L’image évoque une tour d’iniquité, comme la tour de Babel (Gn 11). Les péchés de Babylone ne sont plus supportables : ils ont « atteint » Dieu. Le jugement devient inévitable car l’injustice est totale. |
| 6 Payez-la de sa propre monnaie, rendez-lui au double ce qu'elle a fait. Dans la coupe où elle a mêlé ses vins, mêlez-en pour elle le double. | C’était effectivement la norme légale à l’époque: le voleur devait restituer le double de ce qu’il avait volé (Ex 22,4). |
| 7 Autant elle s'est complu dans la gloire et le luxe, autant rendez-lui de tourment et de deuil. Puisqu'elle dit en son cœur : je trône en reine et ne suis point veuve, jamais je ne verrai le deuil, | Babylone se pense invincible. Son orgueil est mis en avant : elle se croit au-dessus du deuil et de la mort. Cette prétention rappelle l’arrogance du roi de Babylone (Ésaïe 47) et les discours auto-glorifiants de tyrans dans l’Ancien Testament. Le jugement vient répondre à une prétention quasi divine. |
| 8 à cause de cela viendront sur elle, en un seul jour, les fléaux qui lui sont destinés : mort, deuil, famine, et elle sera consumée par le feu. Car puissant est le Seigneur Dieu qui l'a jugée. | Le jugement est soudain. Les expressions « mort, deuil, famine » et le feu évoquent un effondrement total. Le contraste entre la grandeur arrogante et la chute subite est une structure typique des oracles contre les nations. |
| 9 Alors ils pleureront et se lamenteront sur elle, les rois de la terre qui ont partagé sa prostitution et son luxe, quand ils verront la fumée de son embrasement. | Ce passage s’inspire largement d’Ezéchiel (26-28), la complainte sur Tyr, qu’il faut lire pour saisir la relecture qu’en fait saint Jean. C’est une triple lamentation : des rois de la terre, versets 9 à 10 (voir Ez 26,16- 17); des marchands de la terre, vv. 11 à 17a (voir Ez 27) ; des marins, versets 17b à 19 (voir Ez 27,27-34). D.A. |
| 10 Ils se tiendront à distance par crainte de son tourment, et ils diront : Malheur ! Malheur ! O grande cité, Babylone, cité puissante, il a suffi d'une heure pour que tu sois jugée ! | Le cri double reprend la formule des lamentations prophétiques. Ils s’étonnent de la rapidité de la chute : « en une heure ». Cela signifie une ruine inattendue, rapide, irréversible. |
| 11 Et les marchands de la terre pleurent et prennent son deuil, car nul n'achète plus leurs cargaisons, | Le commerce mondial s’effondre. La liste impressionnante de marchandises rappelle Ézéchiel 27 (liste des richesses de Tyr). Le catalogue inclut des produits de luxe, des denrées, des métaux précieux, mais aussi — de manière saisissante — « des corps et des âmes d’hommes ». C’est une critique directe de l’exploitation et de l’esclavage, montrant que Babylone prospérait grâce à une économie inhumaine. La lamentation des marchands, en sept versets, fait défiler devant nos yeux vingt-huit objets divers pour exprimer le désastre économique que constitue la ruine de la civilisation urbaine. Le nombre 28 n’est sans doute pas choisi au hasard; composé de 7 (perfection, totalité) et de 4 (la terre), ce nombre de vingt-huit objets représente comme une somme de tout ce qui est désirable sur la terre, et que la ville avait concentré en elle. Tout ce “luxe effréné “ (vv.3.14.17) est balayé en un instant. D.A. |
| 12 cargaisons d'or et d'argent, de pierres précieuses et de perles, de lin et de pourpre, de soie et d'écarlate ; bois de senteur, objets d'ivoire, de bois précieux, de bronze, de fer ou de marbre, | |
| 13 cannelle et amome, parfums, myrrhe et encens, le vin et l'huile, la fleur de farine et le blé, les bœufs et les brebis, les chevaux et les chars, les esclaves et les captifs. | |
| 14 Le fruit que désirait ton âme s'en est allé loin de toi. Tout ce qui est raffinement et splendeur est perdu pour toi. Jamais plus on ne le retrouvera. | Le luxe et le confort disparaissent. Le verset souligne la vanité des plaisirs matériels : tout ce qui représentait le raffinement et le prestige est perdu. |
| 15 Les marchands, qu'elle avait enrichis de ce commerce, se tiendront à distance par crainte de son tourment. Dans les pleurs et le deuil, | |
| 16 ils diront : Malheur ! Malheur ! La grande cité, vêtue de lin, de pourpre et d'écarlate, étincelante d'or, de pierres précieuses et de perles, | |
| 17 il a suffi d'une heure pour dévaster tant de richesses ! Et tous les pilotes, tous ceux qui naviguent dans les parages, les marins et tous ceux qui vivent de la mer se tenaient à distance, | |
| 18 et s'écriaient en voyant la fumée de son embrasement : Quelle cité était comparable à la grande cité ? | |
| 19 Ils se jetaient de la poussière sur la tête, poussaient des cris de larmes et de deuil en disant : Malheur ! Malheur ! La grande cité dont l'opulence a enrichi tous ceux qui ont des vaisseaux sur la mer, il a suffi d'une heure pour qu'elle soit dévastée ! | Geste de deuil. |
| 20 Réjouis-toi de sa ruine, ciel ! Et vous aussi, les saints, les apôtres et les prophètes, car Dieu, en la jugeant, vous a fait justice. | Contraste majeur : ce que les nations pleurent, le ciel s’en réjouit. Le jugement de Babylone est une victoire pour les saints, les apôtres et les prophètes, car elle les avait persécutés. La perspective divine diffère radicalement de la perspective humaine. |
| 21 Alors un ange puissant saisit une pierre comme une lourde meule et la précipita dans la mer en disant : Avec la même violence sera précipitée Babylone, la grande cité. On ne la retrouvera plus. | Le verset 21 nous montre un ange qui pose un acte symbolique (comme en Jr 51,63-64 : 63Quand tu auras terminé la lecture de ce livre, tu y attacheras une pierre et le jetteras au milieu de l'Euphrate, 64et tu diras : “C'est ainsi que Babylone sombrera et ne se redressera plus, à cause des malheurs que je fais venir sur elle.” ). Cette pierre, comme une meule, rappelle une parole de Jésus sur le scandale des petits (Mt 18,6) ; Babylone a scandalisé les pauvres par son luxe effréné. D.A. |
| 22 Et le chant des joueurs de harpe et des musiciens, des joueurs de flûte et de trompette, on ne l'entendra plus chez toi. Aucun artisan d'aucun art ne se trouvera plus chez toi. Et le bruit de la meule, on ne l'entendra plus chez toi. | Les lamentations des versets 22 à 23 sont reprises des livres de Jérémie (25,10) et d’Isaie (23,8) ; elles expriment l’anéantissement définitif de Babylone. |
| 23 La lumière de la lampe ne luira plus chez toi. La voix du jeune époux et de sa compagne, on ne l'entendra plus chez toi, parce que tes marchands étaient les grands de la terre, parce que tes sortilèges ont séduit toutes les nations | |
| 24 et que chez toi on a trouvé le sang des prophètes, des saints et de tous ceux qui ont été immolés sur la terre. | Le dernier verset rappelle que Babylone représente une longue histoire de persécution contre le peuple de Dieu. La justice divine répond à ce sang versé. Ce verset relie Babylone à tous les systèmes oppressifs de l’histoire. |
Synthèse théologique du chapitre 18
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Babylone n’est pas seulement une force politique ou religieuse, mais un système économique injuste, construit sur le luxe, l’exploitation et l’esclavage.
- La séduction culturelle.
- Sa puissance vient de sa capacité à fasciner les nations.
- La soudaineté du jugement divin.
- Malgré son arrogance, sa chute est rapide, totale, irrévocable.
- La différence radicale entre la perspective terrestre et céleste.
- Ce que les nations pleurent, le ciel salue comme justice.
- La continuité typologique avec l’Ancien Testament.
- Babylone reprend les traits de Tyr, Babylone historique, Ninive et d'autres oppresseurs.
- L'appel à la séparation spirituelle du peuple de Dieu.
- « Sortez du milieu d’elle » : le chrétien doit rompre avec les logiques de séduction économique et culturelle du monde injuste.
- Apocalypse 18 est donc une critique prophétique de toutes les formes d’empires qui se construisent sur l’arrogance, la richesse ostentatoire, la violence et l’exploitation, et qui s'opposent à Dieu et à son peuple.

