Apocalypse - Chapitre 4 - Le trône de Dieu et le culte céleste

Versets Commentaire
1 Après cela je vis : Une porte était ouverte dans le ciel, et la première voix que j'avais entendue me parler, telle une trompette, dit : Monte ici et je te montrerai ce qui doit arriver ensuite. Ce verset inaugure une nouvelle section du livre. L’expression « après cela » ne marque pas une succession chronologique absolue, mais une transition visionnaire. La « porte ouverte » évoque l’accès à la sphère céleste, comme en Ézéchiel 1 ou en Isaïe 6. La « voix… comme une trompette » reprend celle du Christ glorifié en Ap 1,10. L’appel « monte ici » transpose Jean au plan céleste pour contempler la réalité divine derrière l’histoire humaine.

Le ciel s’ouvre pour saint Jean, ce qui ne va pas sans rappeler certains textes bibliques, surtout Ez 1,1 (voir aussi Is 63,19 ; Mt 3,16 ; Jn 1,51). Dans la première vision (1,12), Jean a vu Jésus et a écouté sa voix en se retournant en arrière. Car Jésus est déjà là, dans son Église. Mais voici que Jésus lui commande: “Monte ici.“ Jean va être soulevé au-dessus de ce monde et soustrait au temps pour vivre dans la gloire éternelle de Dieu. Car Jésus veut lui montrer “les choses qu’il faut qu’il arrive“. Nous retrouvons la même expression qu’au chapitre 1, versets 1 et 19, pour exprimer que les choses qui doivent arriver n’arriveront pas n’importe comment, mais selon une nécessité qui vient de l’être même de Dieu: son Amour. Dieu est Amour et ne peut employer que les moyens de l’Amour. Sa victoire à la fin des temps est liée à cela. D.A.
2 Aussitôt je fus saisi par l'Esprit. Et voici, un trône se dressait dans le ciel, et, siégeant sur le trône, quelqu'un. Le ravissement « en esprit » indique un état prophétique. Le trône est le centre de la vision : symbole de souveraineté, d’autorité et de jugement. Jean ne décrit pas Dieu directement, respectant la tradition apophatique biblique. La vision se concentre sur les signes de sa présence.

La vision de la gloire de Dieu peut surprendre, car elle se sert d’un langage qui nous est tout à fait étranger, celui d’un courant littéraire appelé l’apocalyptique juive. Jean contemple un trône où siège quelqu’un. Cette vision du trône est reprise du livre d’Ezéchiel (1,26 ; 10,22 ; 43,1-7). Dans la mystique hébraïque, la vision de Dieu est la vision du trône (ou du char). En reprenant cette vision d’Ezéchiel qui exprime que Dieu trône sur le monde créé, saint Jean évoque la puissance créatrice de Dieu. D. A.
3 Celui qui siégeait avait l'aspect d'une pierre de jaspe et de sardoine. Une gloire nimbait le trône de reflets d'émeraude. Les pierres précieuses évoquent la transcendance, la gloire et l’inaccessibilité de Dieu. L’arc-en-ciel rappelle l’alliance noachique (Gn 9) et la gloire divine d’Ézéchiel 1,28. Il allie majesté et miséricorde.

Jean essaie, en balbutiant, de rendre l’impression éprouvée : Dieu est lumière. Il évoque pour cela ce qu’il connaît de plus beau, l’éclat des pierres précieuses : le jaspe, vert très doux tirant sur le bleu, comme s’il voulait exprimer la paternité de Dieu; la sardoine, un rouge transparent, comme pour exprimer le coeur de Dieu. Et dans l’éblouissement de la gloire lumineuse de Dieu, il distingue nettement l’arc-en-ciel, signe de l’alliance. D.A.
4 Autour du trône vingt-quatre trônes, et sur ces trônes, vingt-quatre anciens siégeaient, vêtus de blanc, et, sur leurs têtes, des couronnes d'or. Les vingt-quatre anciens représentent probablement la totalité du peuple de Dieu : les douze tribus et les douze apôtres, ou encore un chœur liturgique céleste (cf. 1 Ch 24). Ils sont assis (participation à la royauté), vêtus de blanc (pureté, victoire) et portent des couronnes (récompense eschatologique).
5 Du trône sortaient des éclairs, des voix et des tonnerres. Sept lampes ardentes brûlaient devant le trône, ce sont les sept esprits de Dieu. Cette théophanie est directement inspirée d’Ézéchiel et du Sinaï (Ex 19). les éclairs, les voix et le tonnerre sortant du trône veulent souligner l’identité de l’expérience de saint Jean avec celle de Moïse au mont Sinaï (lire Ex 19,16-20). Comme Moïse, Jean voit Dieu face à face.

Les « sept lampes ardentes » sont identifiées à l’Esprit de Dieu dans sa plénitude (cf. Ap 1,4) : la scène est trinitaire en filigrane.
6 Devant le trône, comme une mer limpide, semblable à du cristal. Au milieu du trône et l'entourant, quatre animaux couverts d'yeux par-devant et par-derrière. La mer, souvent symbole du chaos dans l’Ancien Testament, apparaît ici domptée, transformée en cristal immobile. Elle marque la séparation et la transcendance de Dieu. Autour du trône se tiennent « quatre êtres vivants » empruntés à Ez 1, mais adaptés : lion, taureau, homme et aigle — symboles de la création entière dans ses forces. Leur nombre est significatif de la création, des éléments cosmiques (quatre points cardinaux). Leur présentation en lion, taureau, homme, aigle, remonte sans doute, au-delà d’Ezéchiel, à une origine astrale (quatre constellations : taureau, lion, scorpion, aigle étaient censées supporter le firmament) D.A. Voir le commentaire détaillé du tétramorphe.
7 Le premier animal ressemblait à un lion, le deuxième à un jeune taureau, le troisième avait comme une face humaine, et le quatrième semblait un aigle en plein vol.
8 Les quatre animaux avaient chacun six ailes couvertes d'yeux tout autour et au-dedans. Ils ne cessent jour et nuit de proclamer : Saint, saint, saint, le Seigneur, le Dieu souverain, celui qui était, qui est et qui vient ! Les six ailes et les yeux (v.8) sont un amalgame des livres d’Isaie (6,2) et d’Ezéchiel (1,18 et 10,12) où les roues et les vivants sont remplis d’yeux. Dans notre contexte, est-ce pour exprimer que la création est remplie de la connaissance de Dieu? En tout cas, ces quatre Vivants sont le symbole de la création. D.A.

Ces créatures reprennent la tradition chérubique et séraphique. Leur diversité représente la totalité de la vie créée. Leur présence indique la dimension cosmique du culte céleste.

Cette acclamation liturgique existe dans deux passages bibliques. Le premier, qui affirme la triple sainteté de Dieu, se trouve en Isaïe 6,3. Cette triple acclamation – qui équivaut à un superlatif absolu – faisait partie de la liturgie juive du Sabbat à l’époque de Jésus.
Is 6,1 L'année de mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé. Sa traîne remplissait le temple. 2 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds et deux pour voler. 3 Ils se criaient l'un à l'autre : « Saint, saint, saint, le SEIGNEUR de l'univers, sa gloire remplit toute la terre ! »

Dieu est le « Pantokratôr », le Seigneur de l’histoire. La louange est ininterrompue, inscrivant le temps dans une liturgie éternelle. la seconde partie de la louange provient du chapitre 1, verset 8. “Je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu. Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.“ Dieu est le principe et l’accomplissement de toute la création, il est le Dieu tout-puissant, le Pantocratôr (grec) : le Yahvé Sabaot (hébreu, le Dieu des armées). Sa sainteté et sa toute-puissance sont celles de son Amour par lequel il tient tout dans sa main et combat en tête de son peuple, prenant sur lui les coups comme il l’a prouvé en montant sur la croix à notre place. D.A.
9 Et chaque fois que les animaux rendaient gloire, honneur et action de grâce à celui qui siège sur le trône, au Vivant pour les siècles des siècles, La création (les quatre Vivants) rend gloire, honneur et action de grâce à Dieu (verset 5) : la gloire : elle dit le poids de Dieu, en regard d’elle (en héhreu, gloire = kabod = poids) ; l’honneur : elle proclame la suprématie de Dieu ; l’action de grâce : elle fait eucharistie.
10 les vingt-quatre anciens se prosternaient devant celui qui siège sur le trône, ils adoraient le Vivant pour les siècles des siècles et jetaient leurs couronnes devant le trône en disant : Cette reconnaissance est le contenu de la vie future, laquelle est un acte liturgique. Tous sont nommés “anciens “, titre qui évoque les responsables des communautés juives et des Églises chrétiennes. Comme ces responsables, les anciens que voit saint Jean autour du trône divin ont pour rôle de célébrer la liturgie divine. Leur nombre de vingt-quatre est probablement une allusion directe à cette vocation liturgique, puisqu’autrefois, le roi David avait réparti en vingt-quatre classes les prêtres qui venaient à tour de rôle remplir leur service liturgique au temple (1 Ch 24). On peut y retrouver aussi le nombre des chefs de l’ancien Israël : 12, et du nouveau: 12. (Lire en ce sens Ap 21,12.14). D.A.
11 Tu es digne, Seigneur notre Dieu, de recevoir la gloire, l'honneur et la puissance, car c'est toi qui créas toutes choses ; tu as voulu qu'elles soient, et elles furent créées. La doxologie finale articule deux dimensions essentielles : la dignité divine et la création. Dieu est reconnu comme origine, fin et centre de toute réalité.

Cette louange correspond aux honneurs rendus à César dans le culte impérial. Ici, il est confessé que Dieu, et non l’empereur, est créateur et Seigneur de l’univers. Lorsque l’empereur rentrait à Rome, étincelant sur son char de triomphe, la foule scandait ces mots : “Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu…“ Mais ici, la louange exalte la volonté divine qui a créé toutes choses. D.A.

Le chapitre 4 introduit la deuxième grande partie de l’Apocalypse (chapitres 4–22) en déplaçant le regard de l’Église terrestre (ch. 2–3) vers la cour céleste. La scène du trône ne constitue pas une digression, mais la clé herméneutique de tout ce qui suivra : avant les jugements, les fléaux et l’ouverture des sceaux, Jean montre que l’histoire humaine est embrassée et gouvernée depuis le sanctuaire céleste.

Le trône est la figure centrale : il désigne la souveraineté inconditionnelle de Dieu. Rien dans les événements futurs n’échappera à son autorité. La liturgie céleste montre que la véritable lecture du monde est théocentrique. Le langage symbolique, saturé d’images de l’Ancien Testament (Ézéchiel, Isaïe, Exode), inscrit la vision de Jean dans la continuité de la révélation prophétique.

Les vingt-quatre anciens manifestent la représentation du peuple de Dieu dans sa plénitude. Ils préfigurent l'Église céleste — non pas triomphaliste, mais participante à la liturgie divine. Les quatre êtres vivants indiquent que la création entière est intégrée à l’adoration. L'Apocalypse ne sépare pas théologie et cosmologie : le salut concerne l’ensemble du créé.

La présence des éclairs, tonnerres et voix évoque le Sinaï : la révélation n’annule pas la transcendance, elle la manifeste. Le « Saint, Saint, Saint » rappelle que le Dieu de l’Alliance demeure le Dieu de la gloire. Le seul contenu explicite de leur louange est la sainteté de Dieu, qui intègre passé, présent et avenir : « celui qui était, qui est et qui vient ».

Au cœur de ce chapitre, la liturgie devient la lecture théologique de l’histoire. La création n’est pas évoquée de manière abstraite, mais comme le fondement de la louange. La confession de la dignité divine dans le verset final est déjà une réponse aux prétentions idolâtres de l’Empire romain.

Ce chapitre prépare l’entrée de l’Agneau au chapitre 5. Il établit un cadre théologique indispensable : la révélation de l’histoire (sceaux, trompettes, coupes) doit être comprise depuis le sanctuaire. La cristallisation de la mer en verre annonce la pacification eschatologique du chaos. L’Esprit, mentionné au verset 5, rappelle que toute vision procède de Dieu et retourne à lui.

Apocalypse 4 est donc un pivot. Il articule la mystique, l’eschatologie, la cosmologie et l’ecclésiologie. La liturgie céleste donne sens au combat terrestre : l’Église n’est pas abandonnée mais intégrée symboliquement dans la célébration de la souveraineté divine. Rien ne commence sans l’adoration. Le chapitre entier est une catéchèse sur la vraie réalité : ce que voit Jean est invisiblement vrai au cœur du présent. L’eschatologie n’est pas fuite mais dévoilement.

Concluons. La première vision du septénaire est la vision du Dieu créateur. Elle nous livre le plan de Dieu sur la création. C’est une vision d’espérance. Le Dieu créateur veut tout rassembler, dans une unique louange à sa gloire. C’est la destinée de tous les hommes, mais c’est aussi la vocation de la création matérielle tout entière : proclamer la sainteté de l’amour créateur de Dieu dans une liturgie éternelle et cosmique, dont l’eucharistie est déjà l’anticipation. D.A.

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