Apocalypse - Chapitre 8 - Ouverture du 7eme sceau

Le chapitre 8 présente le 7e sceau et les 4 premières trompettes.

Versets Commentaire
1 Quand il ouvrit le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d’environ une demi-heure… L’ouverture du septième sceau constitue l’achèvement de la série inaugurée au chapitre 6. Contrairement aux précédents sceaux qui déclenchaient des visions spectaculaires, celui-ci introduit un silence, énigmatique et solennel. Ce silence céleste évoque la stupeur sacrée devant la présence de Dieu (cf. Habacuc 2,20 : « Que toute la terre fasse silence devant lui »). Il marque une transition : l’action de Dieu suspend l’agitation cosmique pour introduire une nouvelle série de jugements, ceux des sept trompettes. Sur le plan liturgique, ce silence rappelle la pause du culte avant l’offrande de l’encens. Il signifie l’écoute, l’attente du jugement final, et la gravité du mystère divin. L’histoire s’arrête pour contempler la majesté du plan de Dieu.
2 Et je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu. Il leur fut donné sept trompettes. Qui sont ces sept anges qui se tiennent depuis toujours et indéfiniment devant Dieu (en grec le verbe est au parfait) ? Nous n’avons qu’un seul parallèle dans l’Ancien Testament : à la fin du livre de Tobie, lorsque le compagnon de Tobie se présente, il dit : “Je suis Raphaël, l’un des sept anges qui se tiennent toujours prêts à pénétrer auprès de la gloire du Seigneur“ (Tb 12,15). Un livre apocryphe, le premier livre d’Hénoch (chapitre 20, texte grec) en donne la nomenclature : Ouriel, Raphaël, Ragouël, Michel, Sariel, Gabriel et Reniel. Ils sont au service de Dieu, dont ils exécutent les tâches plus ou moins spécifiques à chacun. Ici, toutefois, ils auront une mission identique: faire sonner les trompettes de Dieu. D.A.

Quelle est la signification des trompettes ? La trompette, dans l’Ancien Testament, est employée pour convoquer, rassembler le Peuple de Dieu (cf.1Sm 13,3), pour louer et acclamer Dieu (Ps 98,6), pour proclamer une victoire certaine dans un combat (Jg 7,22; Jos 6), pour annoncer le Jour de Yahvé (Jl 2,1 et les emplois du Nouveau Testament). Nous avons déjà remarqué que, dans l’Apocalypse même, Jean était invité, par une voix semblable à une trompette, à répercuter les révélations reçues (1,10 et 4,1). Puisque dans l’ensemble du Nouveau Testament la sonnerie de la trompette est mise en rapport avec les événements de la Fin, il semble bien qu’elle annonce ici le grand jugement divin à la fin des temps.
3 Un autre ange vint se placer près de l’autel. Il portait un encensoir d’or, et il lui fut donné des parfums en grand nombre, pour les offrir avec les prières de tous les saints sur l’autel d’or qui est devant le trône. 4 Et, de la main de l’ange, la fumée des parfums monta devant Dieu, avec les prières des saints. Cette scène liturgique relie les prières des saints à l’action céleste. L’ange-prêtre agit comme médiateur du culte : il offre l’encens sur l’autel d’or, symbole de la prière qui monte vers Dieu (Psaume 141,2). L’offrande est collective — « les prières de tous les saints » — et situe le jugement dans une dimension de réponse divine : les trompettes ne sont pas des châtiments arbitraires, mais la conséquence de la prière du peuple qui demande justice. La fumée de l’encens exprime la communication entre ciel et terre. Le culte céleste et la prière humaine participent au même mouvement théologique : la prière précède et déclenche les actes de Dieu.

Voici maintenant un autre ange, anonyme (v. 3), porteur des prières des chrétiens. La mise en scène est toujours celle du Temple de Jérusalem où il y avait, dans le Saint, un autel des parfums, en or (Ex 30,3). La prière est à l’origine de la progression de l’histoire vers la Fin. Après la prière de l’Esprit qui monte des profondeurs du monde créé pour appeler la venue de la Gloire, après la prière des martyrs qui demande le rétablissement de la Justice, voici la prière des “saints“, c’est-à-dire des chrétiens. L’humble prière de l’Église agit sur le déroulement de l’histoire du monde, elle hâte l’avènement de la Fin, l’établissement du Règne. D.A.
5 L’ange prit alors l’encensoir, il le remplit du feu de l’autel et le jeta sur la terre : et ce furent des tonnerres, des voix, des éclairs et un tremblement de terre. Le geste de l’ange à l’encensoir illustre le caractère bouleversant de la prière des chrétiens dans la marche du monde. Non seulement l’ange fait monter vers Dieu la prière, mais, en quelque sorte, il transmet la réponse en jetant le feu de l’autel sur la terre. Il en résulte une révélation extraordinaire de Dieu. En effet, tonnerres, voix, éclairs, tremblements de terre, sont autant de signes qui accompagnèrent la théophanie, la révélation de Yahvé sur le Sinaï (Ex 19,16). Dans l’expérience fondamentale du peuple hébreu au désert, le feu exprime la sainteté divine, à la fois attirante et redoutable. Dans l’apocalypse de Daniel, le feu fait partie du cadre où se manifeste la présence divine, mais il joue surtout un rôle dans la description du jugement (Dn 7,10-11). La tradition prophétique, en effet, compare le jugement de la fin des temps à un feu. C’est donc très probablement dans ce sens qu’il faut chercher une interprétation du feu de l’autel jeté sur la terre. D.A.

Apocalypse - Chapitre 8 - Les 4 premières trompettes

Versets Commentaire
6 Les sept anges qui tenaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner. Cette brève mention annonce l’imminence des jugements. Le verbe « se préparèrent » suggère une mise en ordre, une obéissance rituelle. Rien n’est improvisé : le jugement suit un protocole sacré. Les trompettes ne sont pas des instruments du chaos, mais de la révélation ordonnée de Dieu.
7 Le premier fit sonner sa trompette : grêle et feu mêlés de sang tombèrent sur la terre ; le tiers de la terre flamba, le tiers des arbres flamba, et toute végétation verdoyante flamba. La première trompette déclenche un fléau inspiré des plaies d’Égypte (Exode 9,23-25), mais avec une description qui s’inspire d’Ezéchiel (38,22). La grêle et le feu mêlés de sang combinent les éléments célestes et sanglants : destruction, purification et violence. Le tiers (répété dans tout le cycle) indique une punition partielle, proportionnée, non totale : Dieu avertit avant de condamner. La terre, les arbres et l’herbe verte symbolisent la création et la fécondité : c’est la nature qui subit les conséquences du péché humain. Cette première sonnerie introduit une écologie théologique du jugement : la création elle-même est impliquée dans la révélation du mal.
8 Le deuxième ange fit sonner sa trompette : on eût dit qu’une grande montagne embrasée était précipitée dans la mer. Le tiers de la mer devint du sang. 9 Le tiers des créatures vivant dans la mer périt, et le tiers des navires fut détruit. La deuxième épreuve, une montagne embrasée dans la mer, dont le tiers devient du sang, rappelle la première plaie : l’eau changée en sang (Ex 7,14-25). La montagne en feu peut évoquer un volcan ou un astéroïde, mais l’image renvoie d’abord à la symbolique biblique de la puissance orgueilleuse abattue (Jérémie 51,25 : Babylone, “montagne de destruction”). La mer, lieu du chaos dans la pensée hébraïque, devient théâtre du jugement : le sang renvoie à la plaie du Nil en Exode 7. Les navires détruits symbolisent l’effondrement du commerce et de la puissance maritime. Ce fléau, comme le précédent, met en lumière la fragilité des structures humaines et la fin de l’ordre économique idolâtre.
10 Le troisième ange fit sonner sa trompette : et, du ciel, un astre immense tomba, brûlant comme une torche. Il tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. 11 Son nom est : Absinthe. Le tiers des eaux devint de l’absinthe, et beaucoup d’hommes moururent à cause des eaux qui étaient devenues amères. La troisième épreuve, l’absinthe dans les eaux, ne semble pas avoir de rapport direct avec les plaies d’Égypte, mais plutôt avec les menaces de châtiments par Yahvé dans l’Ancien Testament (voir Jr 23,15). La grande étoile tombant du ciel évoque la chute d’un être spirituel ou d’une puissance céleste. Le nom « Absinthe » (Apsinthos) signifie amertume, poison. L’image suggère une corruption spirituelle plus qu’une catastrophe naturelle : les sources de vie deviennent amères, ce qui symbolise la dégradation morale et religieuse. L’empoisonnement des eaux reprend Jérémie 9,15 et 23,15, où Dieu fait boire aux peuples l’eau amère de leurs propres fautes. Le tiers des eaux atteint exprime la gravité du péché : le mal infecte les sources de la vie, la parole et la foi.
12 Le quatrième ange fit sonner sa trompette : le tiers du soleil, le tiers de la lune et le tiers des étoiles furent frappés. Ils s’assombrirent du tiers : le jour perdit un tiers de sa clarté et la nuit de même. Le quatrième fléau touche les astres, symboles de lumière et d’ordre cosmique. L’obscurcissement partiel rappelle rappelle la neuvième plaie, les ténèbres (Ex 10,21-26), et les oracles d’Ésaïe (13,10). Cette diminution de la lumière évoque une crise spirituelle universelle : la lumière de la vérité est voilée, la création semble sombrer dans la confusion. Mais la réduction au tiers exprime encore la retenue de Dieu : l’obscurité est un avertissement, non une annihilation. Dieu manifeste son pouvoir sur les luminaires, rappelant qu’aucune stabilité cosmique ne subsiste en dehors de sa volonté.
13 Alors je vis : Et j’entendis un aigle qui volait au zénith proclamer d’une voix forte : Malheur ! Malheur ! Malheur aux habitants de la terre, à cause des sonneries de trompettes des trois anges qui doivent encore sonner ! L’aigle, messager du ciel, proclame trois « malheurs » correspondant aux trois dernières trompettes (chapitres 9–11). Sa position « au milieu du ciel » indique une annonce universelle. L’aigle, souvent associé à la majesté divine, devient ici porteur d’un avertissement : les jugements précédents étaient des signes partiels, mais ceux qui suivent seront directement liés au péché humain et à la rébellion spirituelle. Ce verset clôt le chapitre sur une note de tension apocalyptique : la terre est avertie, mais le temps de la repentance reste ouvert.

Synthèse théologique

Le chapitre 8 marque le passage de la série des sceaux à celle des trompettes, approfondissant la logique du jugement divin dans une structure concentrique : chaque cycle récapitule et intensifie le précédent. Là où les sceaux révélaient la fragilité de l’histoire humaine, les trompettes manifestent désormais l’intervention active de Dieu.

Le silence initial (v. 1) en constitue le seuil mystique. Il indique que le jugement divin naît du recueillement, non du tumulte : Dieu agit après le silence de l’adoration. Ce silence a une dimension liturgique — pause avant la prière — et théologique : le mystère du dessein divin dépasse tout langage.

Les trompettes qui suivent traduisent la correspondance entre le culte céleste et les réalités terrestres. Le feu de l’autel jeté sur la terre (v. 5) illustre la transformation du culte en jugement : la prière des saints déclenche la justice divine. Le monde n’est pas jugé sans que le peuple de Dieu ait intercédé ; la théologie apocalyptique fait de la prière un élément constitutif de l’histoire.

Les quatre premières trompettes touchent la nature — terre, mer, eaux, astres. Le schéma reprend les plaies d’Égypte, mais en accentue la portée cosmique : ce ne sont plus seulement les ennemis d’Israël qui sont frappés, mais la création entière, solidaire du destin humain. Cette vision souligne la dimension cosmique du péché : la désobéissance de l’homme corrompt l’ordre de la création. Mais la limitation au tiers manifeste la miséricorde : Dieu ne détruit pas, il avertit. Les catastrophes ont une valeur pédagogique et symbolique : elles appellent à la conversion avant la colère définitive.

    Chaque fléau a aussi une signification spirituelle :
  • la grêle et le feu évoquent la violence de l’orgueil ;
  • la montagne en feu, la chute des puissances politiques ;
  • l’absinthe, l’amertume du péché et la corruption des sources de vérité ;
  • l’obscurcissement des astres, la perte de la lumière spirituelle.

En reprenant le thème des plaies d’Égypte pour décrire la tragédie de l’histoire humaine, saint Jean suggère ainsi que le coeur des hommes s’est endurci (l’empire romain refuse le message de l’Évangile et persécute les chrétiens). Les épreuves qu’il permet comme autant de signes du jugement à venir, sont une possibilité offerte d’une libération de l’orgueil et de l’idolâtrie. L’histoire est une histoire sainte dont le terme est la libération du Peuple de Dieu. Mais les hommes accepteront-ils de reconnaître la présence de Dieu ? D.A.

Ainsi, le jugement divin n’est pas extérieur, mais révélateur : il dévoile ce que le péché a déjà produit dans le monde.

Le cri de l’aigle (v. 13) introduit la deuxième partie du cycle, plus centrée sur la dimension morale et démoniaque du mal. Mais déjà, le chapitre 8 établit le principe d’une théologie de l’histoire : Dieu gouverne non seulement les événements humains, mais aussi les forces de la nature. L’ordre cosmique devient un langage de la justice divine.

Sur le plan liturgique, le chapitre montre l’unité entre le culte céleste et terrestre : l’encens, le feu, les prières des saints relient l’adoration au jugement. Le culte n’est pas un refuge hors du monde, mais la matrice de la transformation du monde.

Enfin, d’un point de vue christologique, bien que l’Agneau ne soit plus explicitement mentionné après le verset 1, c’est toujours son autorité qui soutient le déroulement des événements. L’Agneau demeure le garant de la justice et de la miséricorde, le médiateur qui, par sa victoire, donne sens au jugement.

Ainsi, Apocalypse 8 déploie une théologie de la prière efficace et du jugement contenu : Dieu répond au cri des saints non par vengeance, mais par purification. Le silence, les trompettes et les fléaux s’inscrivent dans une économie d’amour exigeant, où la création, blessée par le péché, est convoquée à reconnaître la gloire de son Créateur. Le chapitre ouvre une nouvelle étape du drame apocalyptique : la révélation du jugement n’est pas destruction, mais pédagogie divine en vue du salut et de la restauration de l’univers.

Il va sans dire qu’en ces chapitres 8 et 9, saint Jean n’entend pas décrire littéralement ce qui se passe ou se passera au cours de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une prédiction ou d’une description d’événements à venir; il ne faut donc pas y chercher des détails précis à prendre à la lettre. Contentons-nous du rapprochement avec les grandes catastrophes qui frappent de plein fouet notre monde, pour lire leur signification à la lumière de l’Apocalypse. D.A.

Suite : Commentaire du chapitre 9