Apocalypse - Chapitre 7 - Une Église de martyrs

Versets Commentaire
7,1 Après cela, je vis quatre anges debout aux quatre coins de la terre. Ils retenaient les quatre vents de la terre, afin que nul vent ne souffle sur la terre, sur la mer ni sur aucun arbre. La scène s’ouvre après la révélation des six premiers sceaux, avant l’ouverture du septième : un interlude qui suspend l’élan du jugement pour introduire la perspective du salut. Les quatre anges symbolisent les puissances divines de la nature et du jugement, situées aux « quatre coins de la terre », expression de la totalité cosmique. Les vents représentent à la fois la destruction et le souffle divin. Leur retenue indique que le jugement de Dieu est différé : la création entière est mise en attente. L’ordre cosmique, menacé par les cataclysmes du chapitre 6, est provisoirement stabilisé. Cette suspension dramatique prépare l’acte de protection de Dieu sur les siens avant que les vents du jugement ne soufflent.
2 Et je vis un autre ange monter de l'orient. Il tenait le sceau du Dieu vivant. D'une voix forte il cria aux quatre anges qui avaient reçu pouvoir de nuire à la terre et à la mer : 3 Gardez-vous de nuire à la terre, à la mer ou aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. Un autre ange, venant de l’orient — symbole de la lumière, de la résurrection et de la venue divine — porte le sceau du Dieu vivant, signe d’appartenance et de protection. L’image renvoie à Ézéchiel 9 (Ez 9,3 La gloire du Dieu d'Israël s'éleva au-dessus du chérubin sur lequel elle se trouvait et se dirigea vers le seuil de la Maison ; alors il appela l'homme vêtu de lin et portant une écritoire à la ceinture. 4 Le SEIGNEUR lui dit : « Passe au milieu de la ville, au milieu de Jérusalem ; fais une marque sur le front des hommes qui gémissent et se plaignent à cause de toutes les abominations qui se commettent au milieu d'elle. ») , où les fidèles sont marqués au front pour être épargnés lors du jugement. Le sceau exprime la fidélité de Dieu envers ceux qui lui appartiennent : ils sont identifiés, mis à part, sanctifiés. La scène met en valeur la maîtrise divine du jugement : la catastrophe cosmique n’échappera pas au plan de salut. Le mal n’agit pas de manière autonome ; il est contenu jusqu’à ce que la communauté du peuple de Dieu soit assurée de sa préservation spirituelle.

Ce signe peut aussi se rapprocher du sang mis sur les montants des portes lors de la 10ème plaie d’ Égypte.
4 Et j'entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : Cent quarante-quatre mille marqués du sceau, de toutes les tribus des fils d'Israël. Le nombre 144 000 est symbolique : 12 (tribus) × 12 (apôtres ou fondements de l’Église) × 1000 (plénitude numérique). Il désigne la totalité du peuple de Dieu dans sa perfection, non une élite restreinte. La mention d’Israël n’exclut pas l’universalité, mais l’assume comme catégorie théologique : l’Église, peuple de la Nouvelle Alliance, est le nouvel Israël spirituel. Ce sceau indique non la promesse d’exemption de souffrance, mais la garantie d’appartenance à Dieu au cœur des tribulations.
5 De la tribu de Juda douze mille marqués du sceau. De la tribu de Ruben douze mille, de la tribu de Gad douze mille, 6 de la tribu d'Aser douze mille, de la tribu de Nephtali douze mille, de la tribu de Manassé douze mille, 7 de la tribu de Siméon douze mille, de la tribu de Lévi douze mille, de la tribu d'Issakar douze mille, 8 de la tribu de Zabulon douze mille, de la tribu de Joseph douze mille, de la tribu de Benjamin douze mille marqués du sceau. La liste des tribus suit, chacune comptant douze mille membres : Juda, Ruben, Gad, Aser, Nephtali, Manassé, Siméon, Lévi, Issacar, Zabulon, Joseph et Benjamin. Cette liste n’est pas identique à celles de l’Ancien Testament. Dan est omis, souvent considéré comme symbole d’idolâtrie, et Éphraïm remplacé par Joseph. En revanche, Lévi, la tribu sacerdotale, y figure, signe d’un peuple tout entier consacré. La réorganisation des noms a une portée théologique : le peuple scellé n’est pas la simple continuation ethnique d’Israël, mais la communauté sanctifiée des fidèles du Christ. L’ordre commence par Juda, tribu messianique du Lion vainqueur (Ap 5,5), soulignant la primauté christologique. Ainsi, cette liste représente le peuple de Dieu restauré, rassemblé sous le signe de la fidélité messianique.
9 Après cela je vis : C'était une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le trône et devant l'agneau, vêtus de robes blanches et des palmes à la main. La vision se déploie maintenant : après le peuple scellé d’Israël, apparaît une foule innombrable. L’unité de l’économie du salut s’élargit à l’universalité. Cette foule symbolise les nations sauvées, accomplissement de la promesse faite à Abraham. Les robes blanches expriment la purification par le sang de l’Agneau, et les palmes, la victoire et la fête (cf. Fête des Tabernacles). Cette multitude n’est pas séparée d’Israël : elle en est l’accomplissement. Le peuple de Dieu se révèle universel et eschatologique, englobant tous les croyants rachetés.

Ils ont des palmes à la main et proclament : “Le salut est à notre Dieu.“ C’est une allusion directe à la Fête des Huttes, où l’on construisait des huttes de branchages pour rappeler le nomadisme du désert. Au septième et dernier jour de la fête, une procession se déroulait en grande pompe, tout le monde portant des palmes à la main. Ce septième jour était appelé “le jour du grand hosannah", car, pendant la procession, on ne cessait de répéter l’acclamation du Psaume 118 (25) : Hosannah, “donne le salut“. Or c’est justement l’acclamation qui retentit ici, même si le “Hosannah“ a été traduit en grec un peu laborieusement ; le salut a bel et bien été donné conjointement par Dieu et par l’Agneau. Cette vision, exprimée dans le rituel de la fête des Huttes, nous découvre donc l’immense cortège des élus, nomades qui parviennent enfin au terme de leur itinéraire. D.A.

En 7, 9-17, on trouve un certain nombre de références à la fête des Tentes (Soukkot). C’est une fête d’automne, reliée d’abord aux fêtes agraires des récoltes (Ex 23, 16), puis réinvestie dans un sens théologique et spirituel (Lv 24, 42-43). Jean reprend au moins quatre éléments qui rappellent la pratique de cette fête au 1er siècle après J.C.
  • 1) 7, 9 : la foule immense des sauvés porte « des palmes à la main », comme il était coutume de le faire pour la procession de la fête des Tentes.
  • 2) 7, 10 : le psaume 118 (« Hosannah ») était une lecture de ces jours de fête, un cri de salut qui est repris par Jean : « Le salut appartient à notre Dieu ».
  • 3) 7, 15 : l’activité première de la fête consistait à dresser une tente. Mais cette fois encore, avec Jean, Dieu prend l’initiative car c’est lui qui « établira sa demeure chez eux ». Dieu et l’Agneau ont pris en charge la fête en faveur de leur peuple.
  • 4) 7, 17 : l’eau, apportée en procession depuis la piscine de Siloé, jouait un rôle très important dans le déroulement liturgique de la fête des Tentes. Au temps du Royaume, il n’y aura plus besoin de venir puiser l’eau à Siloé, puisque l’Agneau sera celui qui « conduira aux sources des eaux de la vie ».
10 Ils proclamaient à haute voix : Le salut est à notre Dieu qui siège sur le trône et à l'agneau. 11 Et tous les anges rassemblés autour du trône, des anciens et des quatre animaux tombèrent devant le trône, face contre terre, et adorèrent Dieu. 12 Ils disaient : Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles ! Amen ! La louange de la multitude rejoint celle des anges et des Vivants, unissant ciel et terre dans un même culte. La doxologie à sept termes exprime la plénitude de la gloire divine. Le « salut » (sôtêria) est attribué conjointement à Dieu et à l’Agneau : la rédemption du monde est l’œuvre trinitaire réalisée dans le Christ. Cette liturgie céleste anticipe la communion éternelle. Elle souligne la continuité entre la foi des martyrs, la fidélité du peuple scellé et la victoire eschatologique.
13 L'un des anciens prit alors la parole et me dit : Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d'où sont-ils venus ? 14 Je lui répondis : Mon Seigneur, tu le sais ! Il me dit : Ils viennent de la grande épreuve. Ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'agneau. L’interrogation de l’Ancien sert de révélation pédagogique. Les robes blanches ne sont pas le signe d’une innocence naturelle, mais d’une purification sacrificielle : le sang de l’Agneau, paradoxe théologique, blanchit au lieu de tacher. L’expression « la grande tribulation » désigne le temps de persécution et d’épreuve que traverse l’Église. Cette foule n’est pas exempte de souffrance : elle en sort victorieuse. L’image unifie les martyrs et les croyants fidèles : le salut résulte de la participation au sacrifice rédempteur du Christ.

La “grande épreuve “. Cette expression désignant un temps de détresse est empruntée au Deutéronome 12,1 ; elle est reprise par Jésus en Marc 13,19. Elle est employée ici à la fois dans la perspective d’un monde où la présence du Mal crée un climat d’épreuve tel que beaucoup sont menés à vivre la croix sans même être croyants ; mais aussi et surtout dans la perspective du martyre pour la cause du Christ. Jean lui-même, captif à Patmos, se nomme “compagnon dans l’épreuve “ (1,9). Et ici, le présent de l’indicatif : “ils viennent de la grande épreuve“, donne l’impression d’une persécution permanente qui produit sans cesse de nouveaux martyrs. D. A.
15 C'est pourquoi ils se tiennent devant le trône de Dieu et lui rendent un culte jour et nuit dans son temple. Et celui qui siège sur le trône les abritera sous sa tente. 16 Ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus, 17 car l'agneau qui se tient au milieu du trône sera leur berger, il les conduira vers des sources d'eaux vives. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. Le texte culmine dans une vision pastorale et paradisiaque. Le culte céleste devient vie éternelle : servir Dieu dans son temple signifie demeurer en sa présence. L’expression « dresser sa tente » renvoie au tabernacle de l’Exode : Dieu habite désormais parmi les siens. Les privations physiques de la tribulation sont inversées : faim, soif, brûlure deviennent impossibles. Le rôle de l’Agneau se renverse symboliquement : il est berger (« il les paîtra »), accomplissant la prophétie d’Ézéchiel 34. Il conduit aux sources de la vie, image du salut total, et Dieu essuie toute larme, signe d’une réconciliation absolue. Ce verset anticipe la promesse finale d’Apocalypse 21,4. L’humanité rachetée trouve ici sa place auprès de Dieu dans une adoration qui est aussi consolation et plénitude.

Is 49,10 Ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif, la chaleur brûlante et le soleil ne les frapperont plus.
Jn 6, 35 Et Jesus leur dit: Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim ; et celui qui croit en moi n'aura jamais soif.

Jn 4,13 Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; 14 mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » 15 La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »

Synthèse théologique

Le chapitre 7 forme un intermède entre le sixième et le septième sceau, un temps de suspension entre le jugement et la restauration. Son rôle est double : rassurer les fidèles avant la poursuite des événements, et révéler la dimension salvifique du plan de Dieu au sein même du drame cosmique.

Deux visions se répondent : – La première (v. 1–8) présente les 144 000 scellés d’Israël, symbolisant le peuple de Dieu protégé dans l’histoire. – La seconde (v. 9–17) dévoile la foule universelle glorifiée, image du peuple de Dieu dans l’éternité.

Ces deux réalités ne s’opposent pas, elles s’interprètent l’une l’autre : la communauté scellée sur terre devient la communauté triomphante au ciel. L’unité d’Israël et des nations manifeste la cohérence du salut divin, fidèle à la promesse d’Abraham et accomplie dans le Christ.

Le sceau constitue le symbole central du chapitre : il marque l’appartenance, la fidélité et la protection. Dans un monde exposé aux vents destructeurs, Dieu distingue les siens sans les soustraire à la lutte. Le marquage sur le front, signe d’identité spirituelle, exprime la transformation intérieure opérée par la foi. Le peuple de Dieu n’est pas anonyme : il est connu, compté, aimé.

L’opposition entre le chiffre défini (144 000) et la foule innombrable illustre la dialectique biblique entre élection et universalité. Le salut a une structure : il s’enracine dans l’histoire d’Israël et s’élargit à toutes les nations. Ce que l’Ancien Testament annonçait comme bénédiction des tribus devient, dans l’Apocalypse, accomplissement cosmique.

Sur le plan christologique, l’Agneau demeure au centre : c’est lui qui sauve, conduit et nourrit. Il n’est pas seulement l’objet du culte, mais aussi le pasteur et la source de vie. Le sang rédempteur établit une économie nouvelle de la pureté : la souffrance des croyants devient participation à la victoire du Christ.

Théologiquement, Apocalypse 7 enseigne que le jugement de Dieu n’est jamais séparé de sa miséricorde. Avant la tempête du septième sceau, Dieu scelle les siens, rappelant que le dessein divin est avant tout salvifique. Le mal est contenu, non par faiblesse, mais pour que le nombre des sauvés s’accomplisse.

Enfin, le chapitre est une liturgie céleste : il fait passer le lecteur de la peur du jugement (chap. 6) à la joie de la rédemption. Le salut se traduit par l’adoration. Les robes blanches, les palmes, les chants, tout évoque la fête eschatologique où Dieu habite avec son peuple. L’histoire humaine, marquée par la tribulation, débouche sur la présence permanente de Dieu, où l’Agneau est à la fois roi et berger.

Ainsi, Apocalypse 7 n’est pas une parenthèse anodine, mais un pivot théologique : il montre que le dessein de Dieu, même à travers les catastrophes, vise la restauration du peuple et la communion universelle. L’humanité marquée par le sceau de Dieu est déjà introduite dans la liturgie éternelle où se conjugue la fidélité de l’Ancienne Alliance et l’accomplissement de la Nouvelle. En lui se dévoile la vérité profonde de l’Apocalypse : au cœur des jugements, c’est la grâce qui triomphe, et au centre du trône, c’est l’Agneau immolé qui conduit l’histoire vers la paix éternelle.

Et le septième sceau? La composition des septénaires est faite de telle sorte que chaque septième élément annonce le septénaire suivant. C’est comme un élément télescopique qui se déploie en sept. Le septième sceau est donc le signe de l’arrivée des sept trompettes. Le silence d’une demi-heure annonce une intervention éclatante de Dieu (So 1,7 ; Za 2,l7; Am 8,3). Ce qui a été entrevu par Jean va s’accomplir. D. A.

Suite : Commentaire du chapitre 8