Apocalypse - Chapitre 17 - Le jugement de la grande prostituée
Le chapitre 17 est l’un des plus symboliques et complexes du livre. Il met en scène la « grande prostituée » et la « bête écarlate », figures du système politico-religieux opposé à Dieu et persécutant les saints. Ce chapitre prépare le jugement de Babylone (chapitre 18) en dévoilant son identité spirituelle, sa séduction, sa puissance, son alliance avec les rois de la terre et sa chute inévitable. L’ange sert ici d’interprète, comme dans Daniel (Dn 7–12), soulignant que la vision doit être lue au-delà de ses symboles.
| Versets | Commentaire |
| 1 Et l'un des sept anges qui tenaient les sept coupes s'avança et me parla en ces termes : Viens, je te montrerai le jugement de la grande prostituée qui réside au bord des océans. | L’expression « grande prostituée » est une métaphore biblique traditionnelle désignant l’infidélité religieuse, politique et morale (cf. Osée, Ézéchiel). L’Ange qui parle à saint Jean utilise des images tirées de l’Ancien Testament pour désigner Babylone: le terme “prostituée“ s’applique dans l’Ancien Testament aux villes idolâtres (exemple : Is 1,21-28). "Assise au bord des grandes eaux“ est une citation de Jérémie 51,13. Babylone est située au bord de l’Euphrate. C’est une ville capitale, une mégapole qui exporte dans le monde entier le “vin de sa prostitution“, son idolâtrie. D.A. |
| 2 Avec elle les rois de la terre se sont prostitués, et les habitants de la terre se sont enivrés du vin de sa prostitution. | L’image de la prostitution est ici politique : les rois entrent en alliance avec Babylone pour partager son pouvoir et sa prospérité. L’ivresse représente l’illusion, la fascination et l’aveuglement spirituel : les peuples sont séduits par les avantages matériels et culturels que procure cette puissance. |
| 3 Alors il me transporta en esprit au désert. Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, couverte de noms blasphématoires, et qui avait sept têtes et dix cornes. | Comme la Comme la femme du chapitre 12, elle se trouve au désert, non plus comme en un lieu d’exode, mais comme au lieu où errent les esprits impurs (croyance traditionnelle dans le judaïsme; cf. Lc 11,24). Comme la Femme du chapitre 12, elle est mère, “mère des prostituées et des abominations de la terre “ (v. 5). Comme la Femme du chapitre 12, elle ne se nourrit plus de l’eucharistie, mais “elle se saoule du sang des saints et des martyrs de Jésus“ (v.6). Comme la Femme du chapitre 12, vêtue du soleil, de la lune et des étoiles, et comme l’Épouse du chapitre 21 (la Jérusalem céleste), qui resplendit telle une pierre précieuse, elle étincelle de pourpre, d’écarlate, d’or, de pierreries… On le voit, cette femme est la parodie démoniaque de la Femme du chapitre 12, et de l’Épouse du chapitre 2l. Elle chevauche la Bête écarlate (comme le Dragon rouge feu, 12,3), couverte de ces titres blasphématoires (description identique à 13,1) que sont les titres des empereurs de Rome. Ainsi, progressivement, nous passons de Babylone à Rome. Babylone a été le grand ennemi d’Israël et a détruit Jérusalem. Maintenant Rome persécute l’Église, elle verse le sang des saints. Rome est Babylone. Rome persécute l’Église et renouvelle la destruction de Jérusalem et la dispersion du peuple de Dieu. La ville de Rome est persécutrice du christianisme, et avec elle tout l’empire romain. Car “les rois de la terre et les habitants de la terre“ participent au culte impérial idolâtre qu’est le vin de sa prostitution. Cette coupe en or contient tout ce que l’homme désire de beauté et de culture humaine, d’esprit et d’art, de confort et de luxe… véhiculés par la Bête, par l’empire romain, à condition qu’il accepte le culte idolâtre de l’empereur. C’est pourquoi tout cela est appelé “les abominations et les souillures de sa prostitution“ (v.4). Au chapitre 13, la "Bête ayant sept têtes et dix cornes“ symbolisait Rome en tant qu’empire, en tant que puissance politique totalitaire et persécutrice. Ici, cette femme prostituée qui chevauche la Bête est une désignation plus précise de Rome en tant que ville. C’est une personnification symbolique de la ville de Rome. D.A. |
| 4 La femme, vêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d'or pleine d'abominations : les souillures de sa prostitution. | La description souligne son luxe : vêtements précieux, or, pierres fines. La coupe d’or rappelle l’apparence religieuse ou morale honorable, mais elle est « pleine d’abominations ». Cette interface entre séduction extérieure et corruption intérieure est essentielle : Babylone brille, mais sa richesse masque l’impureté morale et spirituelle. |
| 5 Sur son front un nom était écrit, mystérieux : Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre. | Babylone est un archétype biblique : ville orgueilleuse, siège de pouvoir tyrannique (Gn 11), capitale de l’empire persécuteur (Dn). L’appellation « mère des prostituées » signifie qu’elle engendre des systèmes semblables : elle est le modèle de toute puissance impériale idolâtre. Le mot « mystère » suggère que ce symbole dépasse un simple référent historique : il s’agit d’un archétype spirituel qui se manifeste dans plusieurs époques. Qui est cette prostituée? Son nom est livré au verset 5 : “Babylone la Grande“. Fondée au troisième millénaire avant Jésus-Christ, Babylone parvint à une première importance historique sous Hammourabi au XVIII° siècle, puis connut son apogée sous Nabuchodonosor au VI° siècle. C’est là qu’Israël fut amené en déportation de 587 à 538. Par contraste avec Jérusalem, Babylone, même après sa décadence historique, est devenue le type de la ville puissante, dominant le monde et hostile à Dieu. Le nom de Babylone est donc un symbole. D.A. |
| 6 Et je vis la femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. A sa vue je restai confondu. | |
| 7 Alors l'ange me dit : Pourquoi cette stupeur ? Je te dirai le mystère de la femme et de la bête aux sept têtes et aux dix cornes qui la porte. | |
| 8 La bête que tu as vue était, mais elle n'est plus. Elle va monter de l'abîme et s'en aller à la perdition. Et les habitants de la terre, dont le nom n'est pas écrit, depuis la fondation du monde, dans le livre de vie, s'étonneront en voyant la bête, car elle était, n'est plus, mais reviendra. | Cette phrase parodie le titre divin « celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1:4). La bête imite Dieu mais elle vient de l’abîme, domaine démoniaque, et va « à la perdition ». La formule « ceux dont le nom n’est pas écrit dans le livre de vie » rappelle que le jugement final révèle les appartenances spirituelles. La bête séduit par un faux mystère. |
| 9 C'est le moment d'avoir l'intelligence que la sagesse éclaire : les sept têtes sont les sept montagnes où réside la femme. Ce sont aussi sept rois. | Les « sept montagnes » évoquent immédiatement Rome (la ville aux sept collines). Mais l’ange ajoute que ce sont aussi « sept rois » dans un sens plus large. Le symbolisme est donc politico-historique ET spirituel. |
| 10 Cinq d'entre eux sont tombés, le sixième règne, le septième n'est pas encore venu, mais quand il viendra, il ne demeurera que peu de temps. | Ces sept rois représentent la perfection du pouvoir politique. Et pourtant, ce pouvoir s’en va à sa perte. C’est la conclusion de ces quelques acrobaties auxquelles se livre saint Jean aux versets 10 et 11. En négligeant trois rois qui ne régnèrent que quelques mois en 68-69 et qui sont omis dans les listes anciennes, les cinq rois passés sont: Auguste (-44 à 14), Tibère (14 à 37), Caligula (37 à 41), Claude (41 à 54), Néron (54 à 68). Celui qui règne est Vespasien (69 à 79). Le septième qui n’est pas encore venu et qui ne demeurera que peu de temps, Titus (79-81). |
| 11 La bête qui était, et qui n'est plus, est elle-même un huitième roi. Elle est du nombre des sept et s'en va à la perdition. | Quant au huitième, il s’agit de Domitien (81-96). C’est celui qui règne au moment où saint Jean écrit. Il est la Bête, le huitième, mais aussi l’un des sept, car Domitien fut considéré à cause de sa cruauté comme un nouveau Néron. Mais une question se pose : alors que saint Jean écrit sous Domitien, pourquoi dit-il que c’est le sixième, Vespasien, qui règne ? Il ne faut voir là aucune malice, mais l’emploi d’un procédé courant en apocalyptique: l’antidatation. C’est la raison pour laquelle, il se permet de donner des détails précis pour les septième et huitième rois… D.A. |
| 12 Les dix cornes que tu as vues sont dix rois qui n'ont pas encore reçu la royauté, mais, pour une heure, ils partageront le pouvoir royal avec la bête. | L’image est empruntée au livre de Daniel, où l’on trouve une Bête à dix cornes (7,7), et où les cornes sont la représentation symbolique des rois (7,24 et 8,20). Jean cite donc Daniel. D.A. |
| 13 Ils n'ont qu'un seul dessein : mettre au service de la bête leur puissance et leur pouvoir. | |
| 14 Ils combattront l'agneau et l'agneau les vaincra, car il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois, et avec lui les appelés, les élus et les fidèles vaincront aussi. | |
| 15 Puis il me dit : Les eaux que tu as vues, là où réside la prostituée, ce sont des peuples, des foules, des nations et des langues. | |
| 16 Les dix cornes que tu as vues et la bête haïront la prostituée, elles la rendront solitaire et nue. Elles mangeront ses chairs et la brûleront au feu. | |
| 17 Car Dieu leur a mis au cœur de réaliser son dessein, un même dessein : mettre leur royauté au service de la bête jusqu'à l'accomplissement des paroles de Dieu. | |
| 18 Et la femme que tu as vue, c'est la grande cité qui règne sur les rois de la terre. | Le dernier verset identifie la femme comme une ville impériale. À l’époque de Jean, cela désigne clairement Rome. Mais l’usage du symbolisme et du mot « mystère » montre que Rome n’est qu’un exemple historique d’un schéma spirituel : toute puissance politique qui se fait idole, persécute, séduit et prétend régner sur les rois participe de Babylone la grande. |
Synthèse théologique du chapitre 17
-
Le chapitre 17 met au jour les dynamiques cachées du pouvoir impérial opposé à Dieu :
- Babylone est la synthèse de la séduction, du luxe et de la persécution.
- Elle séduit les peuples et les rois par son apparence splendide, mais elle est intérieurement corrompue.
- La bête représente le pouvoir politique absolu et déshumanisé.
- Elle imite Dieu mais procède de l’abîme.
- La femme et la bête forment un système religieux-politique totalitaire.
- Leur alliance est instable et se termine dans la destruction mutuelle.
- Dieu dirige l’histoire même à travers les forces rebelles.
- La chute de Babylone est un acte de justice divine.
- Le conflit final oppose les rois de la terre à l’Agneau.
- La victoire est assurée non par la puissance militaire mais par l’autorité divine et la fidélité des saints.
- Apocalypse 17 révèle que derrière les séductions du pouvoir impérial se trouve une réalité spirituelle hostile à Dieu, mais déjà condamnée. Ce chapitre prépare ainsi le terrain à la lamentation et à la chute spectaculaire de Babylone au chapitre 18.

