Apocalypse - Chapitre 12 - La femme et le dragon

dragon
    Alors que l’essentiel de la première partie du livre s’est déroulé dans le ciel ou dans le cosmos, nous nous situons ici dans un espace ciel/terre. La scène se déroule en trois actes :

  • Scène 1 : Deux « signes » dans le ciel : une Femme qui va mettre au monde un enfant, et le Dragon. Ils représentent deux mondes antagonistes.
  • Scène 2 : Combat dans le ciel entre le Dragon et Michel, le Dragon vaincu est précipité sur la terre, un cantique proclame le triomphe du Christ (v. 7-12).
  • Scène 3 : Le Dragon mène sur terre ses attaques contre la Femme puis menace « le reste de sa descendance » (v. 13-18).
Versets Commentaire
1 Un grand signe apparut dans le ciel : une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Le ciel (v. 1.3.4.7.8.10) et la terre (v. 4.9.12.13.16) : ce sont les deux lieux où se déroule l’action. Suite à un combat décisif, le Dragon est précipité du ciel (lieu où siège et règne Dieu), sur la terre où il exerce son pouvoir de nuire.

Un signe (v. 1 ; v. 3) : dans l’Ancien Testament, l’expression « signes et prodiges » (Ex 7, 3 ; Dt 4, 34) évoque les actions de salut de Dieu en faveur de son peuple. Dans l’Apocalypse, le mot « signe », qui apparaît ici pour la première fois, désigne tantôt le bien (ici v.1, le « grand signe » de la Femme), tantôt le mal (v. 3, le Dragon). Le sens est donc ambivalent, contrairement à celui de l’évangile de Jean où le signe renvoie toujours aux œuvres de Jésus (essentiellement les miracles). Dans la suite du livre, nous trouvons cinq autres occurrences du mot, dont une porteuse du sens du bien (15, 1) et quatre porteuses du sens du mal (13, 13.14 ; 16, 14 ; 19, 20. 14).

La femme représente à la fois Israël, Sion, et l’Église, mère du Messie et du peuple de Dieu. Enveloppée du soleil, elle reflète la gloire divine ; la lune sous ses pieds exprime la domination cosmique reçue ; la couronne de douze étoiles rappelle les douze tribus d’Israël et les douze apôtres. Le symbolisme réunit donc les deux alliances : l’ancien peuple et la communauté nouvelle.

La Femme est la personnification d’Israël. Elle apparaît enveloppée de la gloire céleste : revêtue du soleil, elle a la lune sous ses pieds, et sur la tête, une couronne de douze étoiles. Dans l’Ancien Testament, le peuple de Dieu a été comparé à une femme. Il faut lire par exemple le Cantique des Cantiques (6,10) et Isaïe (66,7-10). Mais le texte le plus proche de ce chapitre 12 de l’Apocalypse à cet égard, est sans doute le chapitre 60 d’Isaïe. Jérusalem, considérée comme une femme, épouse de Yahvé et mère du peuple de Dieu, apparaît soudain éclairée de la lumière même de Dieu (Is 60,1.19-20). Et aussitôt après, le prophète souligne comment cette Jérusalem nouvelle doit donner naissance à un peuple saint et nombreux (60,21-22). La Femme, dans l’Apocalypse 12, est donc identifiée avec la Sion idéale annoncée par les prophètes: revêtue de la gloire divine, elle enfante le peuple nouveau. D.A.

Ambroise associe explicitement la Femme de l’Apocalypse à Marie, en soulignant sa victoire sur la mort (lune) et sa maternité spirituelle (étoiles = apôtres). "La lune est sous ses pieds, parce que la mort est sous ses pieds ; elle est vêtue du soleil, parce qu’elle est vêtue de la lumière du Christ. [...] Elle est couronnée d’étoiles, parce qu’elle est la mère des apôtres, qui sont comme des étoiles dans le monde." Exameron, Livre II, 6,30.

Augustin, Sermon 215 : "La Femme que Jean a vue dans l’Apocalypse, c’est l’Église, mère de nous tous, qui enfante le Christ dans le cœur des fidèles."

Saint André de Césarée (VIIᵉ siècle). Commentaire sur l’Apocalypse, 12,1 : "La Femme vêtue du soleil, c’est la très sainte Mère de Dieu, toujours vierge. [...] Elle est couronnée de douze étoiles, car elle est la mère des douze apôtres, qui illuminent le monde comme des étoiles."

Constitution dogmatique Lumen Gentium (n° 55, 63) : "La Femme vêtue du soleil (Ap 12,1) [...] c’est la bienheureuse Vierge Marie, qui, resplendissante de lumière divine, se tient devant le trône de Dieu. [...] Elle est notre Mère dans l’ordre de la grâce, car elle a coopéré par son obéissance, sa foi, son espérance et son amour ardent à la restauration de la vie surnaturelle des âmes."

Jean-Paul II (1987). Encyclique Redemptoris Mater (n° 24) : "Dans le signe de la Femme de l’Apocalypse, l’Église voit une image de sa propre vocation, appelée à être mère des hommes dans l’ordre de la grâce. Mais cette image trouve sa réalisation la plus parfaite en Marie, qui est à la fois Mère du Christ et Mère de l’Église."

Benoît XVI (2005). Audience générale, 23 août 2006 : "La vision de la Femme vêtue du soleil, qui triomphe du Dragon, est une image de l’Église, mais aussi de Marie. [...] Marie est la figure de l’Église qui, malgré les persécutions, brille dans le monde comme un signe de l’espérance sûre de Dieu."
2 Elle était enceinte et criait dans le travail et les douleurs de l'enfantement. Cette image renvoie aux douleurs messianiques (cf. Is 26,17 ; Mi 4,9–10) : le salut s’enfante à travers la souffrance. La femme personnifie l’histoire du peuple de Dieu qui enfante le Messie au milieu de l’oppression. Les cris d’enfantement traduisent la tension entre promesse et accomplissement.
3 Alors un autre signe apparut dans le ciel : C'était un grand dragon rouge feu. Il avait sept têtes et dix cornes et, sur ses têtes, sept diadèmes. Animal mythique caractérisé par sa monstruosité, sa violence, sa capacité de nuire. Il incarne les puissances du mal. Dans l’Ancien Testament, sont qualifiés de « dragon » le Pharaon (Is 51, 9 ; Ez 29, 3) ainsi que Nabuchodonosor (Jr 51, 34, LXX 28, 34), responsables, le premier de la servitude, le second, de la captivité du peuple de Dieu. Dans notre texte, la figure du Dragon hérite au v. 9 d’images issues de l’Ancien Testament : celle du Serpent (Gn 3), et celle de Satan, de l’hébreu Sâtân, l’accusateur, l’adversaire (Jb 1-2 ; Za 3, 1 ; 1 Ch 21, 1), mot traduit en grec par diabolos, diable. Voir une synthèse sur le sujet.

Sa figure mythologique est reconnue dans la Bible comme puissance hostile à Dieu (le Léviathan). Son nom l’associe aux monstres marins, c’est-à-dire aux puissances démoniaques. Son identification est simple : dans le langage codé de l’Apocalypse, les sept têtes et les dix cornes représentent les sept collines de Rome et les dix empereurs qui ont régné à Rome jusqu’à Domitien (au moment de la rédaction de l’Apocalypse). Les sept têtes couronnées des sept diadèmes sont la contrepartie impériale à l’Agneau aux sept cornes et sept yeux (5,6). Le Dragon est Satan, et l’Empire romain persécuteur des chrétiens est une expression de la présence de Satan. C’est ce que suggère la reprise du thème de la chute des anges au verset 4, dans une citation de Daniel (8,10), pour montrer, dans le Dragon, Satan et ses anges déchus. Il veut “dévorer l’enfant“, car sa haine est tournée contre le Christ. Vaincu par le Christ, il retournera sa haine contre la Femme, c’est-à-dire contre l’Église et les chrétiens.

Les sept têtes et dix cornes expriment la plénitude du pouvoir usurpé — écho aux bêtes de Daniel (Dn 7,7). Les diadèmes montrent son autorité apparente sur les royaumes terrestres. Le combat cosmique entre Dieu et le mal atteint ici sa forme symbolique majeure.
4 Sa queue, qui balayait le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le dragon se posta devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l'enfant dès sa naissance. Le Dragon vient se poster devant la Femme pour dévorer l’enfant dès sa naissance. Dévorer, c’est-à-dire tuer et s’approprier. Dans un oracle, le prophète Jérémie fait dire à Jérusalem : « Il m’a dévorée, avalée, Nabuchodonosor, le roi de Babylone… Comme un dragon, il m’a engloutie » (Jr 51, 34). Le Dragon est donc l’ennemi d’Israël, il s’oppose au plan de salut de Dieu sur son peuple, ici à ce qui semble être l’Incarnation.
5 Elle mit au monde un fils, un enfant mâle ; c'est lui qui doit mener paître toutes les nations avec une verge de fer. Et son enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son trône. Elle est mère d’un enfant mâle, qui doit “mener toutes les nations avec un sceptre de fer”. C’est là une citation du Psaume 2 (v. 9), un psaume messianique, donc une désignation claire du Messie. Son enfant est enlevé (littéralement “arraché“) jusqu’auprès de Dieu et de son trône ; par son ascension, le Christ triomphant est désormais hors d’atteinte. On le voit, il ne s’agit pas directement de la naissance de Bethléem, mais plutôt de l’enfantement mystique du Golgotha et du matin de Pâques, de l’enfantement du salut messianique réalisé dans la douleur (voir Is 26,16- 19). N’oublions pas que Jésus a comparé l’affliction de ses disciples, au moment de son arrestation et de sa mort, aux douleurs de la femme qui enfante (Jn 16,20-22). D.A.

La Femme est aussi la personnification de l’Église, nouvel Israël. Après que l’enfant ait été “enlevé auprès de Dieu et de son trône”, il est dit que la femme s’enfuit au désert “pour qu’elle y soit nourrie mille deux cent soixante jours“ (vv. 6 à 14). C’est une désignation assez claire de l’Église, compte tenu du chapitre 11 qui précède, où les mille deux cent soixante jours représentent un temps de persécution dans la vie de l’Église. Ici, plusieurs allusions au livre de l’Exode nous font comprendre que l’Église est protégée par Dieu au sein de la persécution. La Femme reçoit “les deux ailes du grand aigle“ (v. 14), image empruntée à l’Exode (19,4) et Deutéronome (32,11) où Yahvé porte son peuple à travers le désert vers la terre promise, comme un aigle porte ses petits. Elle est “nourrie “ au désert, de même qu’Israël, tiré d’Égypte, fut nourri par Dieu au désert avant de rentrer en terre promise. D.A.

Revêtue de gloire, la Femme du chapitre 12 est déjà la Jérusalem nouvelle des chapitres 21 à 22. "Toutes les deux apparaissent dans le ciel; elles sont enveloppées de lumière et de splendeur; la Femme est couronnée de douze étoiles; l’Epouse-Jérusalem est munie de douze portes, et son rempart a douze fondements" (M-E Boismard, Revue Biblique, 1955, p. 295).

La Femme du chapitre 12 est donc avant tout la personnification du peuple de Dieu (à la fois Israël et l’Église) dans sa vocation de gloire et dans son cheminement terrestre. Cependant, un chrétien ne peut pas ne pas penser à la Vierge Marie. Sollicitée par l’ange Gabriel, elle représente alors tout le peuple de Dieu; son OUI est celui de l’humanité à Dieu. Mais l’interprétation mariale du chapitre 12, qui contemple, dans la Femme vêtue de lumière, la Vierge Marie dans la gloire de son Assomption, une telle interprétation n’est que seconde. Il faut le souligner, elle n’est pas d’abord celle de saint Jean. D.A.
6 Alors la femme s'enfuit au désert, où Dieu lui a fait préparer une place, pour qu'elle y soit nourrie mille deux cent soixante jours. Le désert (v. 6. 14) : à la fois lieu de la rencontre de Dieu et de sa protection (Elie, 1R 9, 1-8) et lieu d’épreuve (Exode). Ici c’est le premier sens qui est dominant : la Femme se réfugie au désert pour y être nourrie. 1260 jours = 3 ans et demi ("un temps, des temps et la moitié d'un temps" chez Dn 7,25).
Dieu nourrit son peuple dans la foi, comme la manne nourrissait Israël.
7 Il y eut alors un combat dans le ciel : Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon lui aussi combattait avec ses anges, Michel (v. 7) : son nom, qui est une question : qui est comme Dieu ? est un défi lancé au Dragon et à ses anges. Ce nom proclame l’absolue supériorité de Dieu. Le personnage de Michel nous est connu par le livre de Daniel (Dn 10, 13-21 ; 12, 1).

Le conflit céleste devient explicite. Le combat dans le ciel symbolise la dimension spirituelle du mal : le salut du monde suppose la victoire de Dieu sur les puissances invisibles.
8 mais il n'eut pas le dessus : il ne se trouva plus de place pour eux dans le ciel. La défaite du dragon est définitive : il est chassé du ciel — c’est-à-dire exclu de l’espace d’intercession devant Dieu. L’accusateur (cf. Job 1) est déchu : désormais, la grâce a remplacé l’accusation.
9 Il fut précipité, le grand dragon, l'antique serpent, celui qu'on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier, il fut précipité sur la terre et ses anges avec lui. Il n’y a pas de place au ciel à la fois pour le Christ ressuscité qui inaugure la divinisation de l’homme, et pour Satan qui veut entraîner les hommes dans sa séparation d’avec Dieu. Cette réalité de la défaite de Satan se traduit par un combat entre les anges. D’un côté les anges qui suivent l’archange Michel, de l’autre les anges qui suivent le Dragon, que la tradition nomme aussi Lucifer. Michaël est le seul ange nommé dans l’Apocalypse; en Daniel (10,13.21), il est appelé “l’un des principaux chefs“. C’est lui qui remporte ce combat, qui se solde pour le Dragon par son expulsion de l’univers de Dieu, et son établissement sur la terre, avant qu’il ne soit définitivement réduit à l’impuissance, “car ses jours sont comptés “. Cet épisode est appelé traditionnellement “la chute des anges“ (voir Lc 10,18 et Jn 12,31); c’est l’occupation de la terre créée pour l’homme par les “anges déchus“. D.A.

La mention des quatre noms (dragon, serpent, diable, Satan) désigne l’universalité du mal vaincu. Mais, précipité sur la terre, il devient plus dangereux : le combat se déplace vers le monde humain.
10 Et j'entendis une voix forte qui, dans le ciel, disait : Voici le temps du salut, de la puissance et du Règne de notre Dieu, et de l'autorité de son Christ ; car il a été précipité, l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant notre Dieu, jour et nuit. La liturgie céleste interprète la victoire : le salut du Christ a détruit le pouvoir de l’accusation.
11 Mais eux, ils l'ont vaincu par le sang de l'agneau et par la parole dont ils ont rendu témoignage : Ils n'ont pas aimé leur vie jusqu'à craindre la mort. Ce verset est un sommet théologique : la victoire sur le mal se fait par le sang du Christ (rédemption) et par le témoignage fidèle des croyants (martyr ou fidélité intérieure). L’expression « ils n’ont pas aimé leur vie » définit la spiritualité chrétienne du martyre : la vie terrestre est subordonnée à la vérité.
12 C'est pourquoi soyez dans la joie, vous les cieux et vous qui y avez votre demeure ! Malheur à vous, la terre et la mer, car le diable est descendu vers vous, emporté de fureur, sachant que peu de temps lui reste. A noter l'opposition entre la joie du ciel et le malheur de la terre. L'expression "malheur à vous, la terre !" du verset 12 s'interprète non pas comme une malédiction, mais comme une mise en garde destinée à nous rendre vigilants.

Le ciel célèbre la victoire ; la terre subit la fureur du vaincu. Le temps du diable est « court » : sa rage est celle d’un adversaire condamné. Cette tension eschatologique explique la violence du monde présent : le mal est à l’agonie, mais encore actif. Le temps du dragon est compté. Dieu reste maître de l'histoire.
13 Quand le dragon se vit précipité sur la terre, il se lança à la poursuite de la femme qui avait mis au monde l'enfant mâle. Ce tableau rappelle clairement ce qu'il est convenu d'appeler le "Protévangile" (c’est-à-dire Genèse 3,15) : “Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon“, dit Yahvé au serpent.
14 Mais les deux ailes du grand aigle furent données à la femme pour qu'elle s'envole au désert, au lieu qui lui est réservé pour y être nourrie, loin du serpent, un temps, des temps et la moitié d'un temps. La Femme fuit au désert : Interprétation : La protection divine d’Israël ou de l’Église pendant les temps de persécution (allusion à l’Exode ou aux persécutions romaines).
Les ailes d’aigle : Interprétation : La protection divine (cf. Ex 19,4 : "Je vous ai portés sur des ailes d’aigles").
15 Alors le serpent vomit comme un fleuve d'eau derrière la femme pour la faire emporter par les flots. Satan fait pourtant tout ce qu’il peut: il vomit un fleuve d’eau pour l’engloutir… Quel est ce “fleuve d’eau“ ? L’explication est-elle au chapitre 17, v.15 : “les eaux sont les peuples” ? Peut-être… Dans ce cas, cela signifierait que Satan lance l’Empire romain comme un fleuve pour engloutir l’Église; mais la terre engloutira le fleuve, l’Empire romain disparaîtra, ce qui est exprimé à travers une réminiscence du châtiment de Coré, Datan et Abirâm pendant la traversée du désert (Nb 16,30-34). Puisque l’Église résiste, puisqu’elle demeure inébranlable, Satan attaque les chrétiens individuellement. D.A.
16 Mais la terre vint au secours de la femme : la terre s'ouvrit et engloutit le fleuve vomi par le dragon.
17 Dans sa fureur contre la femme, le dragon porta le combat contre le reste de sa descendance, ceux qui observent les commandements de Dieu et gardent le témoignage de Jésus. On notera la définition des chrétiens donnée ici : “ceux qui observent les commandements de Dieu et gardent le témoignage de Jésus “ (v.17). Prière et apostolat. Le chrétien se nourrit de la Parole et en donne le témoignage dans sa vie (voir Jn 14- 15). Et, dans la mesure où chaque chrétien suit le Christ sur le chemin de la croix, où “il n’aime pas sa vie jusqu’à craindre la mort” (v.11), il est vainqueur lui aussi de Satan, car il est marqué du sang de l’Agneau. D.A.
18 Puis il se posta sur le sable de la mer.

Synthèse théologique du chapitre 12

Apocalypse 12 est un pivot du livre, introduisant le drame du mal et de la rédemption dans une perspective cosmique et historique.

1-Le symbolisme de la femme et du dragon

  • La femme représente le peuple de Dieu à travers l’histoire — Israël, Marie, et l’Église.
  • Le dragon symbolise Satan, puissance d’opposition radicale.
  • Leur affrontement incarne la lutte du bien et du mal à toutes les échelles.

2-La christologie implicite

  • L’enfant mâle, enlevé vers Dieu, résume toute la mission du Christ.
  • La victoire du Fils devient le fondement du salut du peuple.
  • Le chapitre montre la continuité entre le Christ exalté et son Église persécutée.

3-L’eschatologie du conflit

  • Le combat céleste (Michel contre le dragon) correspond à la défaite spirituelle de Satan opérée par la croix.
  • Mais le diable, chassé du ciel, agit encore sur terre : c’est le temps de l’Église, entre victoire acquise et victoire finale.

4-La théologie du témoignage

  • Les croyants participent à la victoire du Christ par leur fidélité jusqu’à la mort.
  • Le sang de l’Agneau et la parole du témoignage sont les deux armes spirituelles.
  • Le martyr n’est pas échec, mais accomplissement.

5-La théologie de la protection divine

  • Malgré la fureur du dragon, la femme — l’Église — est nourrie et gardée par Dieu.
  • Le désert, la fuite, les ailes : autant d’images de la providence dans l’histoire.

6-Le sens spirituel

    Le chapitre 12 dévoile la lecture mystique du monde :
  • Le mal n’est pas une force équivalente à Dieu.
  • Le temps présent est le champ d’un combat déjà orienté vers la victoire.
  • La foi, vécue dans la fidélité et le témoignage, est participation réelle à cette victoire.

Conclusion

  • Apocalypse 12 est à la fois drame cosmique et parabole spirituelle.
  • Le ciel et la terre y sont le théâtre d’un même mystère : Dieu sauve l’humanité par un enfant fragile, et le mal, dans sa rage, ne fait que confirmer sa défaite.
  • Ce chapitre réinterprète toute l’histoire du salut : la naissance, la passion et la glorification du Christ deviennent le modèle de la vie de l’Église.
  • Le reste fidèle — ceux qui gardent le témoignage de Jésus — est le signe visible de la victoire de Dieu dans le monde.

Commentaires

Les commentaires ci-dessous sont tirés du Supplément Cahiers Évangile 170-171, décembre 2014.

Eugenio CORSINI, L'Apocalypse maintenant, pp. 188-189. Nous pouvons conclure que le chap. 12 est une méditation sur l'histoire humaine depuis la Création. Cette histoire se présente comme une chute progressive de l'homme, à laquelle correspond une intervention progressive de Dieu pour le sauver. L'humanité a été créée en état de perfection. Cette perfection est d'abord d'ordre concret : l'homme est au centre du cosmos et le domine (la femme "est enveloppée de soleil, les étoiles autour de sa tête, la lune sous ses pieds", v. 1). Mais une plus grande perfection, d'ordre spirituel, est promise à l'humanité (l'enfant que la femme porte en elle : v. 2). Il ne s'agira plus d'un don immédiat : l'homme n'atteindra la nouvelle perfection que s'il respecte les conditions posées par Dieu, qui impliquent effort et renoncement. Cela est condensé dans l'image de la femme qui « crie dans les douleurs » (v. 2). Dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, cette image est fréquente pour dire l'épreuve qui accompagne la naissance spirituelle (Jr 13,21 ; Rm 8,22...). [...] Dans sa première condition, l'homme ne persévère pas ; l'enfant, dès qu'il est engendré, est « arraché » à la femme. La violence qu'elle subit se réfère à la fois à l'agression de Satan et à la punition imposée par Dieu. La femme du chap. 12 symbolise donc l'humanité dans son rapport complexe avec Dieu. Ce symbole vient de l'Ancien Testament, où il désigne Israël dans sa relation avec YHWH ; Jean en préserve la valeur originelle, puisque, dans la seconde fuite de la femme au désert, l'histoire de la femme coïncide avec l'histoire religieuse du peuple élu. Mais, aux yeux de Jean, l'élection et la délivrance d'Israël, loin d'être une fin à elles-mêmes, font partie d'un dessein qui concerne toute l'humanité. Les promesses de Dieu à Abraham, à Moïse, aux prophètes, et ses « signes » en faveur des Hébreux explicitent un don que Dieu avait annoncé dès le commencement, le salut qu'il allait réaliser en faveur de tous les hommes. Voilà pourquoi, en reprenant un symbole biblique qui se référait à Israël, Jean le resitue dans le contexte de la Genèse. L'histoire du peuple élu est soustraite par là à toute tentative d'une interprétation particularisante, et insérée dans une histoire bien plus vaste qui la contient et qui remonte aux origines de l'humanité.

Yves SIMOENS, Apocalypse de Jean, p. 122. L'enfant est protégé par Dieu « auprès de son trône ». La femme est protégée par Dieu au désert, lieu des fiançailles et de l'Alliance. Le dragon est assumé par Dieu à travers la symbolique du combat « dans le ciel ». L'hymne des vv. 10-12 célèbre cette victoire de Dieu, du Christ et des anges contre « l'accusateur » il lui est donné d'agir sur terre et dans la mer, mais pour un temps bref, compté. Il demeure sous le contrôle du don et surtout du Donateur lui-même. Toute la Bible enseigne cette sagesse de Dieu, seule capable de tirer un parti plus excellent encore, après le combat contre le mal, qu'avant. Le discernement se trouve ici aiguisé au maximum de ses possibilités sapientielles et apocalyptiques. C'est au profit d'une nouvelle protection gracieusement accordée à la femme. Les deux ailes de l'aigle et la terre viennent à son secours pour la faire échapper aux tentatives du dragon. La tentations est lassante, répétition du même. Un peu d'habitude apprend à voir venir pour prémunir. La grâce met en œuvre une créativité autrement plus ingénieuse. Elle est découverte toujours émerveillée d'une permanente nouveauté.

Jean DELORME, Isabelle DONEGANI L'Apocalypse de Jean, II, pp. 21-23.25. La réussite de l'entreprise du serpent contre la femme primordiale est effacée par l'échec du dragon contre la femme de l'Apocalypse. Dans les deux cas, c'est la vie de l'homme qui est en jeu, une vie que la mort vient interrompre dans la Genèse, une vie qui défie la mort dans l'Apocalypse, comme le montrent l'enfant puis la femme qui demeurent hors d'atteinte du dragon. Telle est la vie promise à la semence de la femme qui vit selon le vouloir de Dieu et le témoignage de Jésus. [...] L'Apocalypse offre donc l'équivalent d'un nouveau récit du commencement. À l'entrée en scène de la mort dans la Genèse répond ici la naissance à la vie indestructible. La condition humano-divine de l'homme comme fils se révèle d'un seul jet dans l'enfant et s'étire dans le temps d'un combat à soutenir pour les autres enfants de la femme. Et la figure du serpent qui fait bifurquer la vie vers la mort au bout de la vie se transforme en celle du dragon ennemi de la naissance... À défaut de pouvoir atteindre et tarir la source, il cherche à enrayer la naissance et la croissance parmi les hommes de ce qu'il y a en eux d'appel à vivre de la vie de l'enfant. Le règne de Dieu et de son Messie dont la septième trompe a donné le signal ne peut être que la victoire du Vivant sur toute mort... Cependant, il ne suffit pas d'identifier derrière les figures de l'Apocalypse une expérience vécue dans le passé par l'auteur du livre et ses destinataires. L'écriture apocalyptique transmue cette expérience en figure poétique, signifiante, d'une réalité qui demeure. La femme n'a pas fini d'engendrer des fils et des filles capables de se reconnaître dans l'enfant et dans ses frères. Les conditions de la nouvelle naissance et du combat pour la vie sont toujours d'actualité. Des hommes et des femmes naissent encore de la Parole qu'ils accueillent à travers le témoignage de Jésus poussé jusqu'au don suprême qu'il a fait de lui-même. À cette école, le désir s'allège et se creuse en s'accordant avec celui de Dieu.

Christoph THEOBALD, Présence d'Évangile, I, pp. 158-160. Puisqu'elle se construit sur rien, la violence, quand elle va jusqu'au bout d'elle-même, ne fait que manifester sa vacuité et s'auto-détruit. Face à la vérité et la fermeté, la bonté et l'absence de mensonge de l'Agneau et de ses compagnons (Ap 12,11 et 14,5), le dragon entre dans une violence et une fureur sans mesure; et c'est le premier « signe » de son auto-destruction (Ap 12,12). [...] Le chapitre 12 campe en quelque sorte les acteurs du combat spirituel qui traverse toute l'histoire mais qui, dans la situation actuelle, prend une forme ultime et donc révélatrice des enjeux de toujours. [...] Quel est au juste ce combat ? Le nom même de Michaël nous a déjà mis sur la piste : « Qui est comme Dieu ? » [...] Accéder à l'expérience de Dieu en tant que l'Incomparable, c'est en effet découvrir qu'on ne peut pas se faire d'image de Lui. [...] Face à ce geste fondamental « figuré » par Michaël, se dresse le dragon. Le dernier livre de la Bible lui attribue tous les noms utilisés jusqu'alors pour dire la puissance - vide - du mal : « L'antique serpent, celui qu'on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier » (Ap 19,9). D'un côté, la violence qui dévore et la comparaison qui devient blasphème et accusation d'autrui. Et, de l'autre côté ;l'apparition de l'Incomparable dont la figure est la femme et l'enfant qu'elle enfante, images par excellence de ta vulnérabilité. Notons en passant que, dans l'Apocalypse, l'image de la femme est complexe: à la fin du livre, nous rencontrerons l'épouse au moment des noces de la jeune mariée (Ap 19,7 s et Ap 21,2); ici il s'agit de la mère des vivants Ève qui, enfantant au cœur de la violence, est le signe ultime de l'espérance humaine.

Pierre PRIGENT, Flash sur l'Apocalypse, p. 67. Les événements rapportés se passent d'abord au ciel. Ce sont des choses importantes de l'histoire et de la vie, ce qui nous est déterminant, dernier, eschatologique, ce qui nous dépasse dans tous les ordres d'idées, et qui est cependant plus vrai que nos réalités d'ici-bas. Puis la scène se transporte sur terre. Nous y retrouvons ce que nous rencontrons chaque jour : incertitudes, craintes et luttes. Mais la terre n'est pas abandonnée à son sort, elle n'est pas étrangère à Dieu : événements et acteurs terrestres sont concernés par le plan de salut qui se réalise encore et toujours. Voilà pourquoi il y a le ciel et la terre. Au ciel voici le signe magnifique : le peuple de Dieu, depuis l'Ancien Testament, se prépare à enfanter le vrai homme devant Dieu ; celui qu'Ève n'avait mis au monde que comme imparfaite prophétie, le fils de l'homme, le Christ en qui nous sommes hommes. Et, comme au commencement, voici l'ennemi puissant et redoutable, l'anti-homme qui ose s'attaquer au plan de Dieu. Mais l'espérance ouverte par la promesse de Dieu qu'un jour viendrait où la malfaisance serait anéantie, cette espérance qu'Israël vivait dans l'attente de la naissance éprouvante du messie inaugurant l'ère nouvelle, cette espérance est accomplie : Jésus meurt sur la croix et sa résurrection manifeste l'avènement du salut. C'est l'époque dernière où le Seigneur du monde, premier d'une multitude de frères, naît à la vie éternelle après avoir subi la mort. Mieux que cela, ou plus mystérieux, la mort du Christ telle qu'elle est ici présentée a des aspects ou à tout le moins des répercussions cosmiques. C'est l'avènement du salut du monde nouveau, à travers la souffrance de la croix. Et cette mort-naissance est envisagée comme affectant le peuple céleste, la femme céleste.

Suite : Commentaire du chapitre 13