Le pain de ce jour
La traduction dans l'histoire
La demande telle que nous la récitons dans la liturgie "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour" a fait l'objet de bien des traductions dans l'histoire. (Extraits tirés du site https://oratoiredulouvre.fr/spiritualite/le-notre-pere)
Date | Origine | Verset |
Ve | Vulgate | Panem nostrum supersubstantialem da nobis hodie |
XIIe | Anglo-Normand | Nostre pain cotidian dun a nus oi |
XIIe | Français | Nostre pain de chascun jor nos donne hui |
XIIIe | Français | Sire, done nos hui nostre vivre de chascun jor |
XIVe | Raoul de Presles | Donne nous au iour duy notre pain supersubstanciel |
XVIe | Bible protestante | Donne nous auiourdhuy nostre pain supersubstanciel |
XVIe | Bible protestante (Pierre Robert Olivetan) | Donne nous aujourd’huy nostre pain quotidien |
XVIe | Bible protestante (Sébastien Castellion) | Donne-nous aujourd'hui notre pain pour nous sustenter |
XVIe | Clément Marot | À ce jourd'huy sois nous tant debonnaire, de nous donner nostre pain ordinaire |
XVIe | Confession de foi de Genève (Jean Calvin) | Donne nous auiourdhuy nostre pain quotidien |
XVIe | Yves d'Evreux (capucin) | Nostre pain quotidien donne auiourd'hui à nous |
XVIIe | Bible Protestante Maresior | Donne nous aujourd hui nostre pain quotidien |
XVIIe | Bible catholique Lemaitre de Sacy | Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour |
XVIIIe | Bible Catholique du Richard Simon | Donnés nous aujourd'hui nôtre pain qui est au dessus de toute substance |
XVIIIe | Bible Protestante (David Martin) | Donne-nous aujourd'hui nostre pain quotidien |
XIXe | Bible Protestante Darby | Donne-nous aujourd'hui le pain qu'il nous faut |
XIXe | Bible Catholique du Augustin Crampon | Donnez-nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance |
XIXe | Louis Segond | Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien |
XIXe | Jean-Frédéric (Pasteur)) | Donne-nous aujourd'hui nostre pain quotidien |
1910 | Version Synodale | Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien |
1930 | Paul Joüon (Jésuite) | Donne-nous aujourd'hui le pain de notre subsistance |
1948 | Émile Osty (Sulpicien) | Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien |
1950 | Bible de Jérusalem | Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien |
1982 | Bible en français courant | Donne-nous aujourd'hui le pain nécessaire |
1988 | Traduction Œcuménique de la Bible | Donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin |
1989 | André Chouraqui (Juif) | Donne-nous aujourd’hui notre part de pain |
1990 | Français fondamental | Donne-nous aujourd'hui le pain qu'il nous faut |
1991 | Claude Tresmontant (exégète) | notre pain du jour qui vient [du lendemain] donne-le-nous aujourd'hui |
1993 | Bible de la Liturgie | Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour |
2001 | Bible "des écrivains" Bayard | Le pain de la journée, donne-le-nous aujourd'hui |
2000 | Bible du Semeur | Donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin |
2000 | Louis Pernot (Pasteur) | Donne-nous aujourd'hui notre pain de demain |
2010 | TOB 2010 | Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin |
Interprétations
Parler de "pain" renvoie tout d'abord à l'aliment dont nous nourrissons quotidiennement. Cette demande doit être rapprochée de l’épisode de la manne dont Dieu nourrissait quotidiennement son peuple au désert. Les Hébreux ne pouvaient pas conserver la manne, ils ne pouvaient que manger leur ration du jour et compter sur Dieu pour leur fournir celle du lendemain.
Ex 16,4 Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne.
Mais le pain est aussi le symbole d'une autre réalité que Jésus affirme à plusieurs reprises.
Jn 6,35 Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif.
Mt 26,26 Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant: Prenez, mangez, ceci est mon corps.
Plus encore que le mot "pain", c'est le qualificatif "de tous les jours" (epiousion en grec) qui pose question.
Nous pouvons toujours avoir recours à l'étymologie, qui, elle, est limpide : " epiousion " est formé de deux mots que l'on connaît bien: " epi " qui signifie: " au dessus ", et " ousia " qui désigne l'essence, la substance, l'existence. Ainsi, " epi-ousion " désigne tout simplement ce qui est au-dessus de la substance. Et d'ailleurs certaines vieilles versions latines du Nouveau Testament traduisent par " super-substantialem ". Le sens le plus simple de notre mot n'a donc en fait rien de mystérieux et correspond bien au sens que l'on trouve en maints endroits dans l'Evangile : nous demandons à Dieu de nous donner cette nourriture dont nous avons besoin quotidiennement, ce pain qui est au-dessus de la substance concrète et matérielle, le pain spirituel.
Saint Jérôme a prétendu avoir trouvé dans un original hébraïque de l'Evangile de Matthieu, aujourd'hui inconnu, que le mot hébreu qui se trouvait à la place de ce mystérieux " epiousion " signifiait " de demain " Ce sens peut être, d'une certaine manière, possible pour notre prière. Certes, le " donne-nous aujourd'hui notre pain de demain " qu'avaient certaines traductions est insensé s'il s'agit de don matériel, ce serait même se moquer de Dieu que de lui demander une sorte d'avance sur salaire, de nous donner dès maintenant ce qui ne nous serait nécessaire que demain... Mais si l'on entend dans le " demain " une allusion à un futur eschatologique, un demain qui ne concerne pas ce temps terrestre, mais le demain du Royaume de Dieu, alors nous retrouvons d'une certaine manière le même sens que nous avions juste trouvé, de nous donner ici-bas sur terre les dons spirituels qui sont propres à son Royaume éternel, et dont nous avons besoin pour vivre comme enfants de Dieu.
Et il est vrai que l'on peut demander à Dieu de nous donner chaque jour, le pain spirituel dont nous avons besoin pour avancer sur notre route, nous nourrir quotidiennement de sa présence, de son esprit, de sa force et de sa parole (Louis Pernot).
Si Jésus répond aux besoins vitaux dans la multiplication des pains, il remet ce besoin à sa juste place :
Mt 6,31-33 Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît
Mt 4,4 L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu
La plupart des Pères de l’Eglise ont opté pour une interprétation eucharistique de cette demande du Notre Père.
Origène (185-253) Le pain véritable est celui qui nourrit l’homme véritable, créé à l’image de Dieu, qui élève celui qui s’en nourrit jusqu’à la ressemblance avec son Créateur (lien pour le texte complet).
Saint Cyrille d’Alexandrie tend à concilier les deux interprétations :
“Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin.” D’aucuns pensent peut-être, et même disent à coup sûr, qu’il n’est pas convenable pour des saints, voire malséant, de demander à Dieu des biens corporels ; et, pour cette raison, ils transposent ces mots au sens spirituel : ils demandent, disent-ils, le Pain qui n’est ni terrestre ni corporel, mais bien plutôt celui qui vient d’en haut et qui descend du ciel et qui procure la vie au monde. Quant à moi, je dirais sans aucunement hésiter, qu’il convient certes aux saints, au premier chef, de se hâter d’entrer en possession des dons spirituels ; cependant il faut bien voir que, même s’ils demandent le pain courant, comme le Sauveur a prescrit de le faire, ils n’exposent leur prière à nul reproche et la mettent en accord avec la vie de bien qui est la leur (Homélie sur S. Luc, 75).