L'Esprit Saint, une personne

Qu’est-ce qu’une personne ? Un être de relation ! Une personne est « un être qui parle, à qui l'on parle » ; c’est « un être doué de raison », un « être autonome, doué de volonté, de capacité d’action, de sentiments, de parole, etc.… »

Selon le dictionnaire étymologique (Rey), le mot "personne" est issu du latin persona qui désigne d'abord un masque de théâtre ; avec un développement qui reproduit partiellement celui du grec prosôpon (→ prosopopée), il a pris le sens de « rôle attribué à un masque » c'est-à-dire « type de personnage » et, en dehors du théâtre, la valeur générale d'« individu », déjà attesté chez Cicéron. À basse époque, persona signifie par extension « honneur, dignité » ; les grammairiens, depuis Varron, l'utilisent pour traduire le grec prosôpon et les juristes l'opposent à res « chose ». Le mot serait un emprunt technique à l'étrusque phersu qui, d'après l'inscription où se lit le mot, désigne un masque ; cependant, le rapport entre l'étrusque et le grec est difficile à déterminer.

Le mot latin persona, à l’époque, ne décrivait pas un individu conscient d’exister – ce que l'on entend habituellement par le mot français personne. Il décrivait uniquement une propriété juridique ou un masque utilisé au théâtre.

Persona, qui était le masque de scène, est devenu peu à peu le porteur de masque, l'acteur, puis le personnage joué par l'acteur, le rôle. Du théâtre, des choses du théâtre, il est passé aux choses de la vie, c'est-à-dire au rôle social joué par le personnage social. Un rapprochement est possible avec "personare" qui veut dire « résonner », « retentir ». Les acteurs porteraient des masques pour que leur voix retentisse. (Pour des raisons d'accentuation (la deuxième syllabe de persona est longue, la deuxième syllabe de personare est brève), il est impossible que persona dérive de personare. Encyclopédie Universalis.)

En quoi l'Esprit Saint est-il une personne ? La Bible ne l'affirme pas explicitement. La notion de "paraclet" dans Jean suggère déjà que l'Esprit est une personne. Mais la question ne se pose véritablement qu'après les réflexions sur la Trinité. Comment parler de Dieu qui est à la fois "un" et "trois". La notion de "personne" permet de les distinguer, sans toucher à leur unité.

Tertullien IIe

Nous distinguons trois personnes, le Père, le Fils et l'Esprit saint. Ils sont trois, non pas en essence, mais en degré; non pas en substance, mais en forme; non pas en puissance, mais en espèce; tous trois ayant une seule et même substance, une seule et même nature, une seule et même puissance, parce qu'il n'y a qu'un seul Dieu duquel procèdent ces degrés, ces formes et ces espèces, sous le nom de Père, de Fils et de Saint-Esprit. (Contre Praxeas, Sur la Trinité, 2, https://www.tertullian.org/french/g3_06_adversus_praxean.htm).

Quelle que soit donc la substance du Verbe, je la déclare une personne, et je revendique pour elle le nom de Fils, et en reconnaissant le Fils, j'en fais un second être distinct du Père. 7.

Remarque de plus l'Esprit saint, parlant comme troisième personne du Père et du Fils... Un Esprit saint qui parle, un Père auquel il parlé, un Fils de qui il parle. De même les autres passages, qui tantôt s'adressent au Père ou au Fils, au sujet du Fils; tantôt au Fils ou au Père, au sujet du Père; tantôt enfin à l'Esprit, constituent chaque personne avec sa propriété distincte. 11.

Nous déclarons qu'il y a dans la Trinité deux et même trois personnes, le Père, le Fils, avec l'Esprit saint. 13.

Ainsi l'union du Père dans le Fils et du Fils dans le Paraclet, forme trois personne indissolubles, produites l'une de l'autre, de manière que trois sont une seule et même chose, mais ne sont pas un seul, «ainsi qu'il a été dit: Mon Père et moi, nous sommes une seule et même chose,» ce qui implique l'unité de substance, mais non l'unité de nombre. 25.

Augustin IVe

Je ne parle pas de certains hérétiques qui considèrent le Saint-Esprit non pas comme Créateur mais comme créature: tels sont les Ariens, le Eunomiens, les Macédoniens; ou qui le nient par là même qu'ils nient la Trinité, affirmant qu'il n'y a que Dieu le Père, et qu'il prend quelquefois le nom de Fils et parfois le nom de d'Esprit-Saint: tels sont les Sabelliens, appelés par quelques uns Patripassiens, parce qu'ils attribuent la passion au Père; en niant que le Père ait un Fils ils nient aussi l'existence du Saint-Esprit. Les Photiniens également, en ne reconnaissant que Dieu le Père, et en ne voyant dans le Fils que la nature humaine, nient aussi d'une manière absolue l'existence de la troisième personne, du Saint-Esprit. Augustin, Du péché contre l'Esprit, Sermon 71,5.

Vous savez aussi que malgré la distinction et la subsistance de chacune des personnes, cette Trinité ne forme pas trois dieux mais un seul Dieu, parce qu'en elle la nature ou l'essence de l'éternité, de la vérité, et de la bonté, est indivise et inséparable... L'Esprit-Saint est la Bonté émanant du Père et du Fils l'un et l'autre infiniment bons; mais la divinité des trois personnes est la même identiquement et leur unité inaltérable. Id. 71,18.

Ainsi donc et partout la Trinité entière concourt aux oeuvres de l'une des divines personnes; l'une d'elles agit, les deux autres coopèrent; il y a dans les trois harmonie parfaite d'action, et dans aucune la puissance ne fait défaut pour compléter son oeuvre. Id. 71, 326.

Nous n'osons pas dire une essence, trois substances, mais une essence ou une substance et trois personnes. Ce langage est celui qu'ont adopté plusieurs auteurs latins de valeur et ils l'ont employé parce qu'ils n'en trouvaient pas de meilleur pour exprimer en paroles ce qu'ils comprenaient sans le secours de paroles. Incontestablement... le Père, le Fils et le Saint- Esprit sont Trois... Mais quand on demande qui sont ces Trois, la parole humaine est bien empêchée de répondre. On a dit trois personnes, moins pour affirmer cela que pour ne point rester bouche bée » (Augustin, De Trinitate, 9, 10).

Si nous disons trois personnes, il faut conclure que le fait d'être personne leur est commun : ce qui, d'après la coutume du langage, est la marque d'un nom générique. On a donc employé le mot personne pour répondre à la question « qui sont ces Trois », pour qu'on n'introduisît ni diversité, ni solitude, mais que l'on comprît qu'il y avait en Dieu et de l'unité et de la Trinité (Augustin, De Trinitate, 7, 4).

Augustin ne fait au fond que montrer sur un exemple notre incapacité à parler de Dieu. Mais cette impuissance s'étend à tout notre langage. Faudrait-il donc se taire et adorer? Mais ce serait alors la suppression de toute théologie. René Boijelot, Le mot 'personne' dans les écrits trinitaire de saint Augustin, NRT, 57-1, 1930.

Thomas d'Aquin XIIIe

Article 3 — Convient-il d’employer le terme “ personne ” pour parler de Dieu ?

Objections :

1. Denys écrit : “ Il faut absolument se refuser la hardiesse de dire ou penser quoi que ce soit de la Déité supersubstantielle et cachée, en dehors des termes dont l’expression nous est donnée par les Saintes Écritures.” Or le nom de personne ne se trouve pas employé dans la Sainte Écriture du Nouveau ni de l’Ancien Testament. Il ne faut donc pas employer ce mot à propos de Dieu.

2. Boèce nous dit : “ Le mot personne parait dériver des masques qui représentaient des personnages humains dans les comédies ou tragédies : persona en effet vient de personare (résonner) ; parce que le son, en roulant dans la concavité du masque, est amplifié. Les Grecs nomment ces masques prosôpa (visages), parce qu’on les met sur le visage et devant les yeux si bien qu’ils cachent la figure.” Or ceci ne peut convenir en Dieu, sinon par métaphore. Donc le nom de personne n’est applicable à Dieu que par métaphore.

En sens contraire, le Symbole de S. Athanase dit : “ Autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. ”

Réponse :

La personne signifie ce qu’il y a de plus parfait dans toute la nature : savoir, ce qui subsiste dans une nature raisonnable. Or tout ce qui dit perfection doit être attribué à Dieu, car son essence contient en soi toute perfection. Il convient donc d’attribuer à Dieu ce nom de “personne ”. Solutions :

1. Il est exact qu’on ne rencontre pas le nom de personne appliqué à Dieu dans les Écritures de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Mais on y trouve maintes fois affirmé de Dieu ce que signifie ce nom ; autrement dit, que Dieu est par soi au suprême degré, et qu’il est souverainement intelligent. Et s’il fallait, pour nommer Dieu, s’en tenir littéralement aux mots que l’Écriture sainte applique à Dieu, on ne pourrait jamais parler de lui dans une autre langue que celle où fut composée l’Écriture de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Mais on a été contraint de trouver des mots nouveaux pour exprimer la foi traditionnelle touchant Dieu : car il fallait bien entrer en discussion avec les hérétiques. Ce n’est d’ailleurs pas là une nouveauté à éviter, puisqu’il ne s’agit pas de chose profane ; elle n’est pas en désaccord avec le sens des Écritures. Or ce que l’Apôtre prescrit (1 Tm 6, 20), c’est d’éviter “ dans les mots les nouveautés profanes ”.

2. Si l’on se reporte aux origines du mot, le nom de personne, il est vrai, ne convient pas à Dieu ; mais si on lui donne sa signification authentique, c’est bien à Dieu qu’il convient par excellence. En effet, comme dans ces comédies et tragédies on représentait des personnages célèbres, le terme de personne en vint à signifier des gens constitués en dignité ; de là cet usage dans les églises, d’appeler “ personne ” ceux qui détiennent quelque dignité. Certains définissent pour cela la personne : “ Une hypostase distinguée par une propriété ressortissant à la dignité. ” Or, c’est une haute dignité, de subsister dans une nature raisonnable ; aussi donne-t-on le nom de personne à tout individu de cette nature, nous l’avons dit. Mais la dignité de la nature divine surpasse toute dignité ; c’est donc bien avant tout à Dieu que convient le nom de personne.

Somme de théologie, 1, Q. 29, 3, http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/sommes/1sommetheologique1apars.htm#_Toc484618340