Le retour du sacré
Depuis plusieurs décennies, on note une résurgence de religiosité et une redécouverte du sacré. Si à la suite de Vatican II, l’Église a voulu aller dans le monde en s’adaptant à celui-ci, aujourd’hui on constate un repli identitaire. Le retour de la soutane en est un des symboles les plus visibles. ( Voir l'article en ligne.).
L’analyse de Dom Karl Walner – Quand le sacré devient profane et le profane devient sacré – nous offre des clés de lecture de ce changement. ( Voir l'article en ligne.).
La dignité, la majesté, la solennité, le sens du rite, toutes ces choses qui allaient de soi dans l’Église au cours des siècles passés, mais qui ont été gravement négligées depuis les années 1960 dans un mouvement de sécularisation totalement inédit, sont à présent « découvertes » dans le monde profane, et intégrées à ce contexte comme une grande nouveauté. Ces « liturgies du divertissement » ont pour but de créer des tensions émotives, du bien-être et de l’amusement : c’est-à-dire un bonheur terrestre fait d’émotions mises en scène. Sauf que, dans ce contexte de sacralité profane, cette manifestation s’est transformée en un culte de la personnalité et une affaire de starisation.
Expérimenter la notion de sacré, c’est vivre la mise en place d’une séparation, d‘un contraste. Il s’agit d’une notion subjective, d’un sentiment, d’une constante fondamentale de la psychologie humaine. Qui n’a pas senti monter en lui une poussée de respect et d’émotion lors d’un moment musical fort et solennel, dans un espace dont l’architecture se caractérise par la hauteur et la symétrie ? Qui ne s’est pas senti vibrer en participant à une gestuelle codée et inhabituelle, à une manifestation d’unité, de connivence, au sein d’une foule nombreuse ? Le bien-être donne alors la chair de poule !
L’expérience du sacré est plus fondamentale que la notion de divinité. Cela signifie que la religiosité est constituée en premier lieu par le fait de se laisser toucher par l’existence de quelque chose qui échappe à notre quotidien, par une certaine pureté, une certaine majesté, quelque chose qui force le respect, quelque chose d’inattendu… C’est seulement à partir de ce ressenti que l’homme s’interroge sur l’origine de ce sentiment, sur Dieu.
Historiquement parlant, les premières actions à connotation religieuse de l’homme ne s’adressaient pas à un dieu personnel. Elles étaient plutôt le reflet d’un ressenti : se sentir concerné, touché, par une certaine majesté, par ce qui est autre, par ce qui est au-delà des frontières, par ce que nous pouvons appeler un « sacrum ». Cette constante fondamentale du sentiment religieux devra attendre le christianisme pour être purifiée et magnifiée. En effet, dans cette fascination, va soudain se révéler un « Dieu » personnel, une personne qui, en Jésus-Christ, aura même une existence concrète, historique auprès des hommes, et qui par l’Esprit Saint habitera le cœur de l’homme.
Répétons-le : le besoin de se sentir impressionné par quelque chose qu’il ressent comme « sacré », au point d’en attraper la chair de poule, est fondamental pour l’homme : car l’homme est prédestiné au sacré. Si dans nos églises nous ne cultivons plus les notions de sacré, de dignité, si nous oublions le « tremendum » et le « fascinosum », il faudra nous attendre à ce que la psychologie humaine aille chercher ailleurs de quoi satisfaire son besoin de trembler devant une majesté. Si nous dégradons nos célébrations liturgiques au rang de simples cérémonies mondaines, si nous les banalisons, il ne faudra pas nous étonner de voir les gens satisfaire ailleurs leur besoin inné de lieux sacrés, de rites sacrés, de symboles sacrés, de textes sacrés et de personnes à vénérer.
L’homme, ouvert à la transcendance, a besoin de « tremendum » et de « fascinosum ». Si la religion ne lui procure plus de frissons, il se mettra à sacraliser son environnement profane, à idolâtrer n’importe quoi.