Je crois
Une confession de foi
Lorsque nous professons notre foi, nous commençons par dire : " Je crois " ou " Nous croyons ". Si la proclamation du Credo se fait toujours à la première personne, ce « je crois » n’est possible que grâce à un « nous croyons » qui toujours précède et entoure. Car le credo s'énonce en Eglise, communauté rassemblée pour proclamer une même foi.
Ainsi, chaque fois que je dis « je crois », c’est tout l’immense vaisseau de la foi de l’Église que je mets en branle, c’est toute la Révélation d’un coup que je mets en première personne et que je convoque dans l’acte présent de ma parole.
Et comme la vaste tribu des mots, sous la houlette d’un enfant, se fraie un nouveau chemin vers le monde, me voici porteur et berger de la Parole, moi qui ne sais que balbutier.
Comme une voix se perd dans l’espace, comme un sillage s’efface dans l’océan, l’écho et la trace de mon « je » ne vont-ils pas se perdre dans le Mystère que je confesse, dans ces mots que je n’ai pas choisis et qui, de toutes parts, excèdent mes prises, débordent et parfois déroutent mon intelligence, jugent ma vie ? Marguerite Léna, Dans Revue Lumen Vitae 2009/1 (Volume LXIV), pages 59 à 64.
CEC-185 Qui dit " Je crois ", dit " J’adhère à ce que nous croyons ". La communion dans la foi a besoin d’un langage commun de la foi, normatif pour tous et unissant dans la même confession de foi.
CEC-186 Dès l’origine, l’Église apostolique a exprimé et transmis sa propre foi en des formules brèves et normatives pour tous (cf. Rm 10, 9 ; 1 Co 15, 3-5 ; etc.). Mais très tôt déjà, l’Église a aussi voulu recueillir l’essentiel de sa foi en des résumés organiques et articulés, destinés surtout aux candidats au baptême :
Cette synthèse de la foi n’a pas été faite selon les opinions humaines ; mais de toute l’Écriture a été recueilli ce qu’il y a de plus important, pour donner au complet l’unique enseignement de la foi. Et comme la semence de sénevé contient dans une toute petite graine un grand nombre de branches, de même ce résumé de la foi renferme-t-il en quelques paroles toute la connaissance de la vraie piété contenue dans l’Ancien et le Nouveau Testament (S. Cyrille de Jérusalem, catech. ill. 5, 12 : PG 33, 521-524).
CEC-187 On appelle ces synthèses de la foi " professions de foi " puisqu’elles résument la foi que professent les chrétiens. On les appelle " Credo " en raison de ce qui en est normalement la première parole : " Je crois ". On les appelle également " Symboles de la foi ".
Je crois en
En français, il y a une différence entre "je crois que ... " et "je crois en ... ". Quand je dis : "Je crois qu'il va faire beau demain", cela implique une incertitude. Si "je crois que ...", je ne sais pas de façon certaine. La croyance se différencie du savoir intelligible et de la science. Je ne crois pas que la terre est ronde, je le sais, parce qu'il existe des preuves. Chacun court dans son registre, mais ils ne s'opposent pas. Avoir foi en quelqu'un repose sur une expérience tangible. Deux personnes deviennent des amis à travers une histoire commune, un vécu qui témoigne de l'authenticité de la relation. Des signes de croyance donnent un fondement à la foi.
Que penserions-nous de notre médecin s'il nous disait : "Je crois que vous avez une maladie grave" ? Du médecin, nous attendons qu'il sache et qu'il nous informe des conséquences. Nous n'admettons pas qu’il puisse se contenter de croire que ... Je crois que... exprime une opinion imprégnée de doute. Au contraire, "croire en" consiste à accorder un crédit, à se fier à une personne, à lui faire confiance.
Dans le symbole des apôtres, lorsqu’il s’agit de parler des personnes divines, le texte dit : « Je crois en Dieu » (eis theon, en grec ; in Deum, en latin). Cette préposition d’une force particulière exprime la foi-confiance (fides) en un Dieu personnel et tout autant le contenu de foi qui nous vient de la révélation. Quand il s’agit des biens du Royaume, le texte utilise l’expression credo sanctam ecclesiam catholicam… : « je crois (à) la sainte Église catholique, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair, la vie éternelle ». Ces éléments sont objet de foi ; ils concernent les dons de Dieu et non Dieu lui-même.
Étymologie
Selon le dictionnaire étymologique (A. Rey) le verbe "croire" est issu du
latin credere, ancien terme de la langue religieuse, d'origine indo-européenne, conservé seulement
en indo-iranien (védique çráddadhati, juxtaposé de çrát) et en italo-celtique (vieil irlandais cretim
et gallois credaf « je crois »). Tout comme fides (? foi), credere a pris très tôt des emplois
généralement profanes, par suite de la domination de plus en plus grande de la culture matérielle
méditerranéenne sur la culture indo-européenne d'origine orientale. Ainsi, il a signifié « mettre sa
confiance en qqn, en qqch. », « confier qqch. à qqn » d'où, concrètement, « prêter » (? crédit) et
« croire qqn, qqch. ». L'introduction du christianisme est venue rendre au verbe un rôle religieux,
credo « je crois » étant affecté à traduire le grec pisteuô et fides le grec pistis ; de sorte qu'en
pleine période romane, fides s'est remis à servir de substantif verbal à credere qui n'avait aucun
dérivé pour remplir ce rôle. Devant cette situation de déséquilibre et suivant un procédé courant en
latin, on a forgé credentia qui est représenté dans tout le domaine roman et n'a pas donné moins de
trois mots en français (créance*, crédence* et croyance*), tandis que foi conservait son sens
religieux. Grâce au christianisme, les résultats de la contamination de deux groupes subsistent
jusqu'à présent.
Le verbe est apparu au sens religieux d'« avoir foi », l'expression la plus ancienne, croire en
Dieu (v. 980), évinçant croire à Dieu (fin XIIe s.), une différence sémantique entre les deux
prépositions se manifestant ensuite : en impliquant une croyance spirituelle et morale et à une
croyance intellectuelle. Cette différence est également pertinente pour les emplois plus généraux de
croire à (l'innocence de qqn, par exemple) attestés au XVIIe siècle. Croire à implique parfois une
croyance naïve (croire au Père Noël). Dès son apparition en français, le verbe a aussi le sens
non religieux d'« admettre (qqch.) pour vrai », « ajouter foi aux paroles de (qqn) ». En ce sens, la
construction transitive (1080) s'est généralisée aux dépens de l'ancienne construction croire à qqn
(encore en 1787). L'ancienne construction renforcée en croire qqn (XIe s.) y ajoute la nuance
d'« apporter une adhésion totale, mais personnelle » ; elle a fourni les locutions usuelles en croire
ses yeux, ses oreilles (v. 1120), utilisées surtout en phrase négative. Par extension, croire signifie
« penser, être d'avis que » (v. 1160), sens déjà connu du latin qui employait credo en incise. Il
s'emploie spécialement dans croire qqn + attribut (1625 ; une fois en 1211) et croire qqn quelque
part, dans une situation « penser qu'il est » (1600). La forme pronominale se croire « se
considérer comme » a souvent une valeur péjorative : « se considérer à tort comme » (d'où
absolument se croire dans le registre familier). Dès l'ancien français (1080), croire réalise l'idée
d'avoir confiance en qqn, en construction transitive (XIIe s.) et en construction intransitive (1180),
avant de s'étendre à l'idée d'« avoir confiance en l'efficacité, au pouvoir de (qqn, qqch.) »
(av. 1662, croire aux astrologues, aux médecins).
Selon le dictionnaire étymologique (A. Rey), le mot "foi" vient du latin classique fides « foi, confiance », « loyauté », « promesse, parole donnée » ; le latin chrétien a spécialisé l'emploi du vocable au sens de « confiance en Dieu » ; le mot se rattache
à une racine indo-européenne °bheidh- « avoir confiance ». Le mot foi (la foi de qqn en, pour...) signifie « fait de croire (qqn) » — d'où
homme de foi (XIVe s.) et depuis l'époque classique ajouter foi à (1541) — cette acception se
retrouvant aujourd'hui dans quelques emplois comme digne de foi, et « confiance absolue »
(v. 1180), surtout avec le verbe avoir (avoir foi en, dans, mil. XVIIIe s.).
Comprendre et croire
Y a-t-il une opposition entre croire et comprendre ? Peut-on croire en une chose incompréhensible pour la raison ? Les mystères divins (création, incarnation, résurrection) sont hors compréhension, mais ne s'opposent pas à la raison.
"Entendons : entre l’acte de comprendre, qui est à la charge de la raison, et celui de croire les vérités révélées, il n’y a pas seulement une différence de procédure ni même de fondement, mais encore, de façon plus radicale, une différence de contenu ; deux procédures aussi distinctes par conséquent que le sont la recherche sans limites et la soumission à ce qui est proposé comme vrai, mais surtout l’intérêt porté d’une part à ce qui se présente dans le champ de l’expérience commune et l’accueil d’autre part d’une série de réalités communiquées à l’homme dans l’émerveillement de l’inattendu et de l’inouï." (Pierre-Jean Labarrière, Croire et comprendre, Cerf, 1999, p. 60).
Crois pour comprendre. Augustin d'Hippone.
Je ne cherche pas à comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre. Saint Anselme.
Voir aussi les réflexions sur la page 'Dieu donne la foi'.
L'acte de croire
Tiré du livre de B. Sesboüé, Croire, pp. 37-55.
Qu’est-ce que croire ?
La foi, je vois à peu près de quoi il s’agit, mais l’acte de croire est pour moi bien plus obscur. Croire ne va de soi pour personne et plus que Jans la culture de notre monde, où tous les croyants ne foi « exposée » et où les incroyants sont souvent bien loin d’être au clair non seulement avec la foi, mais encore avec ce qui permet de croire. Tous ont donc à s’interroger sur le sens de l’acte de croire, plutôt que de vivre sur une qui ne se pose pas de questions. C’est pourquoi il convient de nous interroger sur ce que signifie cet acte et surtout le justifier.
Croire s’oppose à savoir. C’est une forme originale de rapport à un objet de connaissance. On sait de « science certaine », comme on dit. L’objet de la croyance apparaît moins sûr. C’est de l’ordre de l’« intime conviction » comme pour les jurés. Mais alors croire laisse encore la place à un doute. Toute notre idéologie contemporaine fait confiance au savoir, en particulier aux sciences, et reste réservée sur le domaine de la croyance, jugée inférieure. Celle-ci est de l’ordre de la conviction personnelle, c’est-à-dire de ce qui ne se discute pas, mais qui ne peut pas non plus se partager. Cette vue des choses reste encore bien superficielle. En fait, le « croire » est quotidien dans nos vies et nous ne pouvons nous en passer. D’abord, nos connaissances elles-mêmes sont le fruit de la réception du savoir des autres. Tout ce que l’enfant ou l’adolescent apprend à l’école, il le reçoit et le croit sur la base de la science de ses maîtres. Il n’est absolument pas en mesure de refaire lui-même toutes les vérifications, enquêtes ou expériences scientifiques qui lui permettraient d’aboutir au même résultat. Peut-être un jour, dans la discipline étroite qu’il aura choisie, sera-t-il à même de vérifier sur pièces ce qu’il aura cru jusqu’alors sur la parole de ses anciens professeurs. Il en va de même pour les informations que nous lisons dans le journal, comme dans nos relations quotidiennes où les nouvelles se répandent par ce qu’on appelle le « téléphone arabe ». Sans doute, devons-nous être critiques dans chaque cas... Nous sommes tenus à la prudence et en certains cas à la méfiance. Il reste cependant cette donnée élémentaire : nous ne pouvons vivre sans croire ce que disent les autres. Cette confiance est à la base de la société, c’est pourquoi le mensonge est une chose si grave dans toute vie sociale. La franchise est la première forme de l’honnêteté.
Croire dans les autres
On ne peut vivre en société sans faire confiance, c’est-à-dire sans un minimum de foi dans les autres. On ne peut aimer d’amour ou d’amitié sans croire en l’autre. Le OUI conjugal que se disent deux fiancés est le résultat de leur amour mutuel. Mais cet amour repose sur une foi mutuelle, une foi qui fait « crédit » à l’autre et compte sur sa fidélité pour l’avenir. Le mariage est un exemple frappant de la solidarité entre la foi, l’espérance et l’amour. Le lien entre la foi, l’espérance et l’amour vaut pour toutes sortes d’autres engagements. Je ne peux me consacrer à une cause humanitaire, par exemple, sans être habité par l’amour de ceux qui sont victimes de violences ou d’injustices, sans avoir aussi la foi et l’espérance que mon action, concertée avec celle des autres et sans doute dans le cadre d’une association, peut aider à faire avancer le problème sinon à le régler. Nous sommes ici au cœur de notre condition humaine. Une fois encore, nous ne pouvons aimer sans faire appel à une forme de foi qu’aucun savoir ne peut évincer.
Croire en des valeurs
Qui que nous soyons, nous avons tous un certain sens du bien et du mal. Que ce sens soit juste ou erroné, rigoriste ou laxiste, là n’est pas la question pour l’instant. Aucun d’entre nous ne peut vivre sans un minimum de valeurs, qu’elles soient provisoires ou non, qu’elles changent au cours de l’existence ou non. Il y a des choses qui me déshonoreraient à l’égard de moi-même si je les accomplissais. Même s’il m’arrive d’être faible et de transgresser certaines valeurs, je garde un jugement net à leur sujet. Je sais ainsi que je ne dois pas mentir. Il n’est plus question du petit mensonge d’enfant qui veut éviter de se faire punir, mais, par exemple dans le cadre professionnel, de la manipulation subtile d’un dossier, afin d’en tirer profit. Remarquons que notre vie publique repose sur un certain nombre de valeurs qui sont l’objet d’un consensus : « Liberté, Égalité, Fraternité », voilà une devise qui aligne trois valeurs. Par définition, une valeur n’est pas une chose. Elle est une sorte d’utopie sur la manière dont nous devons vivre. Un homme dépourvu de toute valeur serait-il encore un homme ? Or toute valeur à laquelle on s’oblige devient l’objet d’un acte de foi. Le domaine du savoir demeure ici inopérant. L’homme est bien plus qu’une somme de connaissances. Il est celui qui les discerne, les juge et leur donne un sens. Mais dès que l’on parle de sens, de direction, d’intention, on est dans l’ordre du croire. De tout ce qui a été dit se dégage une conclusion : l’acte de croire est un acte essentiel de la condition humaine, un acte noble et authentiquement humain, et non point un acte honteux. Il intervient dans notre vie, indépendamment du croire proprement religieux. Vouloir s’en passer ne serait pas seulement une contradiction existentielle, mais en quelque sorte une perte de substance par rapport à ce que nous sommes.
Le croire religieux
Il reste que la forme la plus apparente du croire est le croire religieux. Celui-ci se présente aujourd’hui sous les formes du pire comme du meilleur. Si les « institutions du croire » que sont les grandes confessions chrétiennes apparaissent en perte de vitesse, nous constatons en revanche le développement des sectes. Certaines sont aberrantes par les croyances qu’elles proposent, parfois même immorales, quand elles accaparent, avec une avidité (cachée par une grande technique), les biens de leurs fidèles, pire encore quand elles abusent sexuellement de ceux-ci ou les poussent au suicide collectif. Elles donnent un triste exemple de la fragilité humaine, toujours accessible à la perversion du croire qui se dégrade en crédulité, et à des manipulations dépersonnalisantes. Le « retour sauvage du religieux » risque de nous ramener dangereusement en arrière. Il serait injuste cependant de juger le croire religieux sur la crédulité, ou sur ses autres perversions comme l’intolérance. Dans l’histoire de l’humanité, le croire religieux a bien des lettres de noblesse. Pour ne prendre qu’un exemple récent, n’est-ce pas lui qui a motivé l’engagement de Mère Teresa pour les plus démunis ? Il nous faut donc l’analyser pour lui-même et dans ses manifestations les meilleures.
La genèse de la foi religieuse
La foi religieuse se définit comme « la confiance de l’homme envers un Dieu personnellement rencontré (G. Van de Leeuw) ». Elle est née chez les anciens Hébreux. « En ce petit peuple, dans un coin perdu s’est accompli un fait immense, la naissance de la foi. Le premier grand témoin de cette foi, dans la tradition biblique, est la figure d’Abraham qui « eut foi dans le Seigneur et Seigneur le considéra comme juste » (Gn 15, 6).
La question de la foi dans l’Ancien Testament ne gravite pas autour de celle de l’existence de Dieu, qui en quelque sorte allait de soi à l’époque. Elle pouvait d’ailleurs être très ambiguë, Ie dieu ou les dieux étant représenté(s) sous la forme de puissance plus ou moins personnifiée(s) et dominant l’homme. Les risques de magie et d’idolâtrie étaient grands. Quand les puissances étaient multiples, elles laissaient dans l’angoisse d’avoir oublié d’en apaiser une. Le retournement d’attitude opéré par Abraham est d’avoir accueilli une relation de type personnel avec un Dieu qui ne pouvait être qu’unique. Cette relation a commencé par la confiance faite à la parole, cet appel qu’il avait entendu. Abraham a cru de tout son être à la promesse reçue de Dieu de faire lui un grand peuple. Mais pour cela, il lui fallait quitter son pays, sa parenté et la maison de son père (Gn 12, 1-2), et partir vers l’inconnu. Sa foi s’est ensuite développée dans une histoire d’alliance interpersonnelle qui a fidèlement vérifié la confiance.
La vraie question de la foi en retourne les termes : il ne s’agit pas de croire que Dieu existe, mais de croire que l’homme existe pour Dieu. En d’autres termes, Dieu s’intéresse-t-il à l’homme ? Dieu peut-il intervenir dans l’histoire des hommes pour leur bien ? Depuis Abraham, la foi a répondu OUI. Telle est l’expérience fondamentale qui a mis en route la tradition spirituelle juive et sur laquelle la tradition chrétienne s’est greffée. Le vocabulaire hébraïque dans lequel cette expérience s’exprime n’a encore rien de technique, mais il en traduit les attitudes fondamentales : mettre sa force en Dieu, trouver son soutien en lui dans les contradictions de la vie, être en sécurité avec lui, s’appuyer sur lui comme sur quelque chose de solide. Dieu est la solidité de l’homme : c’est le thème de Dieu « Rocher d’Israël » (Ps 61, 4). Ainsi Dieu dit-il à l’homme : « Si vous ne tenez pas à moi (= si vous ne croyez pas), vous ne tiendrez pas » (Is 7, 9). Telle fut l’attitude d’Abraham, qui s’est appuyé sur Dieu et s’est adossé à son dessein réalisé dans l’histoire.
Jésus reviendra sur ce thème à la fin du discours sur la montagne, en évoquant les deux paraboles de la maison bâtie sur le roc et de la maison bâtie sur le sable (Mt 7, 24-27). Concrètement, s’appuyer sur Dieu, c’est lui faire confiance en répondant à son attente. Mais la foi évoque également la fidélité. Cette fidélité est d’abord et avant tout celle de Dieu, toujours fidèle à ses promesses. Dieu est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu des pères d’Israël. Les premiers Credo de la tradition biblique sont des Credo « historiques », c’est-à-dire des Credo qui énumèrent comme une litanie la liste des « merveilles » que Dieu a accomplies pour son peuple dans le passé. Avec le temps cette liste s’allonge sans cesse. Mais cette fidélité exige une autre fidélité, celle du peuple vis-à-vis duquel Dieu s’est manifesté ainsi. Le passé est le garant de l’avenir : la foi d’Israël se fait donc confiance à Dieu, attente et espérance. La fidélité divine dans l’avenir sera la même que celle du passé, car Dieu « n’abandonnera point ceux qui le cherchent » (Ps 9, 11).
La foi est donc une relation forte entre Dieu et son peuple. Elle s’inscrit dans une alliance. Cette alliance est paradoxale : au départ elle est unilatérale, puisque c’est Dieu qui fait tout par le choix, l’« élection » mystérieuse, de ce petit peuple, mais en vue d’un salut universel. Elle devient pourtant bilatérale, car elle ne peut tenir sans un dialogue constant où le peuple de Dieu répond à son Seigneur en lui donnant sa foi et en vivant selon sa Loi. La foi est toujours une réponse à une initiative d’alliance.
Il en va de même dans le Nouveau Testament où les termes croire (300 emplois) et foi (250 emplois) deviennent envahissants et prennent un sens technique. Les Évangiles sont les livres de la foi en Jésus.
Cette foi associe deux éléments : un croire en et un croire que. Elle commence en effet par la rencontre d’une personne, celle de Jésus de Nazareth, et comporte le moment de la décision d’un engagement envers lui. Croire en, c’est un acte interpersonnel, par lequel le disciple se donne à Jésus, se met à sa disposition et met en lui toute sa confiance : « Je te suivrai partout où tu iras. » Un tel acte est-il légitime quand il s’adresse à un homme ? Nous avons dans nos mémoires tant d’exemples de serments abusifs de fidélité qui furent exigés par des chefs ou le sont encore par certains gourous, que nous avons raison d’être méfiants. Disons, pour faire bref, que ce que Jésus demande aux siens, c’est en fait ce que Dieu seul a le droit de leur demander. Ce n’est donc légitime que si ce Jésus est le véritable et définitif envoyé de Dieu. À travers la médiation de son humanité, c’est un acte de foi en Dieu que Jésus demande. Mais cette décision comporte également un croire que, c’est-à-dire la dimension d’une vérité concernant la personne de Jésus. Pour croire en Jésus, il faut aussi croire ce que Jésus dit et croire qu’il est bien celui qu’il revendique d’être. Cette dimension est plus particulièrement apparente dans l’Évangile de Jean, où le terme croire a souvent le sens de « tenir pour vrai », alors que chez Matthieu, Marc et Luc, il exprime plutôt l’engagement de confiance mis en une personne. La foi chrétienne a donc un contenu qui se concentrera sur la personne de Jésus, qui a vécu, et mort et est ressuscité des morts, et précisera son rapport à Dieu. Plus tard, saint Augustin inscrira sur une ligne montante les trois aspects de la foi chrétienne : croire Dieu, c’est-à-dire croire que le Dieu existe, premier présupposé de toute foi ; croire à Dieu, c’est-à-dire croire à sa parole ; et enfin croire en Dieu, c’est-à-dire croire au sens biblique et évangélique : se livrer à Dieu et lui confier le sens de notre vie, compter sur lui qui est notre rocher, mettre notre destin en lui dans un mouvement de réponse à l’alliance qu’il nous offre. Voilà pourquoi l’alliance entre Dieu et son peuple est décrite dans la Bible selon la parabole du mariage. Il y a donc bien des degrés dans l’acte de croire. Seul le dernier correspond complètement à la foi chrétienne.
Les « yeux » de la foi
Pierre Rousselot essayait d’analyser la psychologie de la foi et de justifier celle-ci non seulement au regard de la raison, mais encore à celui du fonctionnement concret de notre connaissance. Il cherchait à rendre compte de la manière dont l’acte de foi lui-même compose avec les raisons de croire, mais sans jamais s’y réduire. Car l’acte de foi dépasse toujours en engagement et en contenu les raisons que l’on a de croire ou les indices et les signes qui nous font croire. Rousselot prend la comparaison de deux policiers qui travaillent sur la même enquête criminelle. Tous deux disposent des mêmes indices. À partir de ces indices, l’un trouve l’identité du criminel. L’autre ne trouve rien. Qu’est-ce qui les distingue ? Un pouvoir de synthèse et d’intuition qui permet au premier de relier les indices entre eux et d’en faire une chaîne cohérente qui conduit à la conviction qu’un tel est le coupable. Le second est dépourvu de cette intuition et piétine.
Dans le creuset d'une rencontre personnelle
Prenons l’exemple de l’apôtre saint Thomas (Jean 20,24-29). On le qualifie souvent d’incrédule, mais on peut le percevoir aussi comme un grand croyant. En effet, ce qui se passe, c’est ceci : Thomas ne veut pas croire seulement sur la parole des autres. Il se méfie des illusions collectives, des évidences communes, des instincts grégaires, des informations non critiquées. Il veut se faire une opinion par lui-même. Il veut juger avec ses propres critères personnels. Et son grand critère à lui, c'est la vérification et la vérification par la matérialité du corps. « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ». Pourtant, il aurait pu se contenter des dires des autres apôtres. Mais alors, il aurait été semblable à tous ceux qui croient tout simplement parce que c’est écrit dans leur catéchisme ou que, lorsqu’ils étaient petits, on leur a dit que c’était comme ça et pas autrement. Thomas a voulu que sa foi soit une rencontre personnelle et pas seulement une expérience par procuration. Trop souvent, nous nous dispensons de toute démarche personnelle. La Croix, 25/05/2012.
Dans le récit du buisson ardent, Dieu se présente à Moise comme le Dieu de son père, et aussi comme celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il se présente donc dans une continuité généalogique, tout en rencontrant chacun suivant sa propre histoire. La foi se décline ici à partir d’une rencontre personnelle, positive ou négative, liée à l’histoire et à l’expérience de chacun. Il n’y a pas de petite ou grande rencontre, de rencontre homologuée, mais plutôt un catalogue de rencontres innombrables, qui sont aussi importantes les unes que les autres, à partir du moment où elles donnent un sens à notre vie. Il y a des rencontres décisives qui orientent des destins. Ces expériences sont à analyser avec d’autres, avec l’ensemble des sciences humaines, à travers le prisme de la culture dans laquelle ces chemins de foi se vivent, tout en faisant fonctionner raison et esprit critique. Mais si chacun fait sa propre expérience, alors il va falloir apprendre à ne pas juger le chemin de foi de l’autre. La foi reste quelque chose de l’ordre de l’intime, qui va demander un respect infini et une exigence de la maîtrise de soi pour ne pas succomber à la tentation de juger si elle est bonne ou non. Agnès Adeline-Schaeffer, Commentaire sur le buisson ardent, la vocation de Moïse (voir lien dans la bibliothèque).