L’originalité de la Bible sur le plan religieux
Introduction
La Bible, composée de l’Ancien et du Nouveau Testament, est l’un des textes fondateurs les plus influents de l’histoire religieuse. Elle se distingue des récits mythologiques et cosmogoniques des grandes civilisations anciennes, telles que l’Épopée de Gilgamesh en Mésopotamie ou les textes des pyramides en Égypte. Alors que ces traditions mettent en scène des forces cosmiques et des divinités multiples, la Bible inaugure une expérience religieuse profondément originale, centrée sur un Dieu unique, transcendant et agissant dans l’histoire. Comme l’affirme Mircea Eliade, elle introduit une « désacralisation du cosmos » au profit d’une sacralisation du temps (Le sacré et le profane, 1957). On peut alors se demander : en quoi la Bible se distingue-t-elle radicalement des autres formes religieuses de l’Antiquité et quelle est son originalité sur le plan religieux ?
Nous montrerons que l’originalité de la Bible se manifeste d’abord par l’affirmation d’un monothéisme exclusif, ensuite par la centralité de l’histoire et de l’alliance dans l’expérience religieuse, enfin par la dimension éthique et universelle qui dépasse le particularisme d’Israël.
Transformations et universalisation des religions
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Du polythéisme au monothéisme
- Le judaïsme introduit l’idée d’un Dieu unique, transcendant, maître de l’histoire. Ce tournant radical sera repris et universalisé par le christianisme puis par l’islam.
- Karl Jaspers, dans Origine et sens de l’histoire (1949), parle d’« ère axiale » (800–200 av. J.-C.) : moment décisif où apparaissent les grandes traditions spirituelles (prophètes d’Israël, Bouddha, Confucius, philosophes grecs).
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Les religions de salut et la quête de libération
- En Inde, l’hindouisme et le bouddhisme proposent une voie de libération face au cycle des renaissances (samsara).
- En Chine, Confucius et Laozi mettent l’accent sur l’harmonie sociale et cosmique.
I. Le monothéisme radical : un Dieu unique et transcendant
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Rupture avec le polythéisme antique
- Les religions voisines (Égypte, Mésopotamie, Grèce) divinisent les forces de la nature (soleil, mer, fertilité).
- La Bible proclame un Dieu unique, créateur de l’univers (Genèse 1).
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Un Dieu personnel et relationnel
- Ce Dieu n’est pas une abstraction cosmique, mais un être qui parle, appelle et entre en relation. L’histoire religieuse du peuple hébreu commence avec l’appel d’Abraham en Genèse 12.
- Il appelle des prophètes à porter sa parole.
- Il refuse d’être représenté par des idoles (Exode 20).
- Originalité : la Bible fonde une religion du Dieu unique, invisible, transcendant mais proche, ce qui bouleverse l’horizon religieux antique.
II. Une religion de l’histoire et de l’alliance
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Une sacralisation du temps
- Les mythologies antiques fonctionnent sur un temps cyclique (mythe de l’éternel retour, rythmes cosmiques).
- La Bible inaugure un temps linéaire, orienté vers un accomplissement (promesse à Abraham, exode, exil, venue du Messie).
- Eliade parle d’« historicisation du sacré », rupture décisive dans l’histoire des religions.
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L’alliance comme cœur de la relation religieuse
- Dieu conclut des alliances avec Noé, Abraham, Moïse, puis avec tout Israël (Exode 19-24).
- La religion n’est plus seulement un rapport utilitaire (sacrifices pour obtenir des faveurs), mais une relation d’engagement et de fidélité réciproque.
- Paul Ricœur (Finitude et culpabilité, 1960) montre que la Bible fonde une « religion de la promesse », orientée vers l’avenir.
- L’alliance s’incarne en Jésus-Chtist.
- Originalité : la Bible substitue à la répétition mythologique un cheminement historique, où Dieu agit dans le temps et engage l’homme dans une alliance.
III. Une éthique universelle et une vocation au salut
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Une dimension verticale et une dimension horizontale.
- Le décalogue énonce la relation à Dieu et la relation envers son prochain.
- Les prophètes dénoncent un culte purement formel et appellent à la justice : « Je ne supporte plus vos holocaustes […] Apprenez à faire le bien, recherchez la justice » (Isaïe 1, 11-17).
- Lévinas voit dans le prophétisme biblique l’émergence d’une religion de la responsabilité envers autrui. Il souligne que ce Dieu transcendant « retire le monde du sacré mythologique pour l’ouvrir à l’éthique » (Difficile liberté, 1963).
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De l’identité particulière à l’universalité
- Bien que la Bible naisse dans l’histoire d’Israël, elle affirme que Dieu est Créateur de tous (Genèse 1) et destine son salut aux nations (Isaïe 2).
- Le christianisme prolongera cette ouverture en universalisant le message du salut en Jésus-Christ.
- Originalité : la Bible n’est pas seulement un code rituel, mais un appel éthique et universel qui dépasse les frontières d’un peuple particulier.
Conclusion
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L’originalité de la Bible sur le plan religieux tient à trois aspects fondamentaux : l’affirmation d’un monothéisme radical, la centralité de l’histoire et de l’alliance comme lieu de la révélation divine, et enfin l’universalité d’un message éthique et spirituel. Là où les religions antiques divinisaient la nature et cherchaient à perpétuer l’ordre cosmique, la Bible fonde une religion du temps, de la promesse et de la justice. Comme l’écrit Paul Ricœur, « la Bible met le temps humain sous le signe de l’espérance » (Histoire et vérité, 1955). Elle ne se contente pas d’expliquer le monde : elle invite l’homme à transformer son existence en relation vivante avec le Dieu unique, transcendant et libérateur.