La structuration religieuse dans les premières civilisations
Le rôle du mythe et du récit fondateur
- Les religions proposent une interprétation du monde qui rend celui-ci compréhensible.
- Les civilisations mésopotamiennes, égyptiennes ou grecques ont produit des cosmogonies expliquant l’origine du monde et des dieux.
- Claude Lévi-Strauss, dans Anthropologie structurale (1958), montre que le mythe fonctionne comme un langage universel, organisant la pensée humaine autour d’oppositions fondamentales (vie/mort, chaos/ordre).
Institutionnalisation du sacré
- Le site de Göbekli Tepe (Sud-est anatolien, 10 000 ans av. J.-C.) révèle des enceintes monumentales antérieures à la sédentarisation/agriculture — piliers anthropomorphes et bas-reliefs animaliers — que beaucoup d’archéologues interprètent comme des centres rituels ou cultuels, remettant en question l’idée selon laquelle la religion monumentale n’apparaîtrait qu’après la révolution néolithique. Göbekli Tepe suggère que des pratiques rituelles complexes ont pu précéder (et peut-être favoriser) certaines transformations sociales.
- Les plus anciens sanctuaires actuellement connus sont ceux de Göbekli Tepe, au sud-est de la Turquie. Leur
construction a débuté 10.000 ans avant notre ère. Chaque sanctuaire est un enclos circulaire
formé de piliers mégalithiques (pouvant atteindre 5 m. de haut) réunis par des murets, avec, au centre,
un ou deux pilier(s) mégalithique(s).
Les piliers mégalithiques, en forme de T, sont anthropomorphes (la tête, sans visage, étant figurée par
la partie horizontale). Ces piliers sont décorés de bas-reliefs, réalistes et très remarquables, représentant
généralement des animaux sauvages (tous mâles) et correspondant à la faune de cette époque : il n’y a
pas d’animal imaginaire ni de thérianthrope. Certains piliers comportent des attributs humains : des bras
et même une ceinture.
« Le peuple devait aussi avoir une mythologie très complexe, ce qui implique une capacité
d’abstraction. » Et il en conclut que la thèse de Cauvin s’avère correcte : « Le facteur qui a permis la
formation de communautés importantes et permanentes était la capacité de recourir à une culture
symbolique, une sorte d’habileté prélittéraire à produire et à ‘lire’ du matériel symbolique, qui permettait
aux communautés de définir leurs identités partagées et leur cosmos. »
Mais une question demeure : que représentent les piliers mégalithiques anthropomorphes en forme de
T ? Du fait que la révolution, tant mentale que religieuse, a déjà manifestement eu lieu, nous pourrions
déduire, nous semble-t-il, sans grand risque de nous tromper, que la vision du monde des bâtisseurs de
Göbekli Tepe était (devenue ?) verticale et hiérarchique et que, dès lors, les piliers symbolisaient soit
des ancêtres soit des dieux, mais en tout cas des êtres surnaturels moralisateurs et punisseurs ! On
pourrait même être plus précis. En effet, Cauvin (voir ci-dessus), sur base de témoignages
archéologiques à l’aube du Néolithique dans le Levant, affirme que les dieux étaient apparus juste après
la création des premiers villages, mais avant le début d’une économie agricole. Ceci éclaire la conclusion
suivante de K. Schmidt : « Il est certain que les statues sous forme de piliers au centre de ces enclos
représentaient des êtres très puissants. Si les dieux existaient dans les esprits de ces peuples à l’aube du
Néolithique, il y a une probabilité énorme que la forme en T soit la première représentation monumentale
de dieux. » Udekem d’Acoz Gevers. Voir le lien dans la bibliothèque.
- Les sociétés antiques organisent le religieux autour de temples, de prêtres et de rituels codifiés.
- En Égypte, le pharaon est « fils de Rê », garant de l’ordre cosmique (maât). La religion devient un instrument de cohésion sociale.
- Durkheim insiste sur cette dimension collective : « La religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées […] qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent » (Les formes élémentaires de la vie religieuse).
- La religion renforce la cohésion sociale, organise les rituels de solidarité et légitime l’ordre collectif. Les vestiges rituels sont donc vus comme des mécanismes sociaux ayant une fonction adaptative par la stabilisation des groupes. Ces approches restent utiles pour expliquer la persistance sociale du religieux, mais elles ne détaillent pas toujours l’origine cognitive première.
- Une personne donne l’impulsion à une religion. Siddhārtha Gautama (Bouddhisme, VIe), Confucius (Confusianisme, VIe), Abraham (Judaïsme, XIXe), Jésus (Christianisme, Ier), Mahomet (VIe-VIIe).
- Les premières "religions" apparaissent au néolithique au moment où les sociétés se constituent.
- La première expérience de sédentarisation aujourd’hui connue remonte
à 12 500 ans avant notre ère, dans une zone englobant l’Égypte, l’Irak,
le Liban et la Syrie actuels. Lors de cette période charnière entre paléo-
lithique et néolithique, de profonds bouleversements apparaissent sur
le plan religieux. Le sentiment religieux préexistant donne naissance,
selon Frédéric LENOIR, à un « embryon de religion constituée qui intègre
les grands traits constitutifs des grandes religions ultérieures. » On assiste,
en effet, à l’émergence d’une nouvelle figure, celle des dieux, ou plus
exactement des déesses. « Les prières prennent le pas sur les négociations,
les échanges avec les dieux se formalisent avec les offrandes et les sacrifices,
des espaces sacrés, plus grands et plus beaux que les habitations ordinaires
sont instaurés, les notions de bien, de mal et de morale, commencent à
émerger. »
À cette époque, l’homme cesse de se penser comme un élément parmi
d’autre, pour se voir au contraire au centre de l’univers. Il représente
alors les dieux à son image : « la religion s’anthropomorphise ». L’action
humaine, à travers le rituel religieux, devient garante de l’ordre du
monde. Le malheur n’est plus perçu comme la contrepartie des actions
de l’homme qui ont pu offenser la nature (chasse, pêche, cueillette) mais
comme une sanction, un « retour de fautes commises envers les ancêtres
et les dieux ».
En Mésopotamie et en Égypte, les premières cités apparaissent. Les
religions suivent la même évolution que le pouvoir, et s’organisent, se
hiérarchisent. Un dieu suprême, placé au-dessus de tous les autres, apparaît, annonçant l’essor prochain du monothéisme. Le corollaire direct de
cette organisation des religions est la moralisation de la vie publique.
En effet, les premiers codes moraux indiquant les premières contraintes,
les premiers interdits, sont présentés comme étant promulgués par les
dieux chargés d’indiquer la conduite juste aux hommes.
Voir le lien dans la bibliothèque.
- Il y a 12 500 ans, avec la sédentarisation, apparaissent les premiers villages
préagricoles. En résulte une forte croissance démographique. Sépultures et
pratiques sacrificielles sont attestées. S’édifie alors une nouvelle culture
magico-religieuse. La représentation symbolique de la femme et du taureau
se répand dans le monde méditerranéen, annonçant les déesses et dieux à
venir des nouvelles représentations de la création du monde. La révolution
des symboles, qui accompagne l’ère du néolithique, devient une révolution
des actes.2 Ce cycle agricole s’inspire d’un éternel retour du printemps
après l’hiver, et donc de la renaissance après la mort. La plupart des
religions s’inspirent de cette même matrice. Patrick Banon. Voir le lien dans la bibliothèque.
La naissance du sacrifice
-
Selon les témoignages archéologiques, la révolution néolithique (avec la pratique de l’agriculture et de
l’élevage) s’est propagée de proche en proche en Occident. Elle fut portée, ainsi que le précise la
génétique, par une vague migratoire de populations à la peau claire, issues d’Anatolie, venant se
mélanger aux chasseurs-cueilleurs européens, à la peau sombre et aux yeux bleus. C’est ainsi que, par
exemple en France, le Néolithique couvre la période allant de 5.600 ans à 2.000 ans avant notre ère.
Heyer fait remarquer que les peuples chasseurs-cueilleurs actuels cultivent quelques végétaux. Elle en
déduit que l’arrivée de l’agriculture en Europe peut être considérée simplement « comme une
intensification de l’usage de certaines plantes, telles les céréales ».
Il est intéressant pour notre propos de souligner que cette modification du mode de subsistance
s’accompagne de la pratique (nouvelle ?) de sacrifices d’animaux, ce qui est certainement un rite
religieux, et que ces animaux sacrifiés sont évidemment des animaux domestiques, ce qui constitue
forcément une innovation.
C’est ainsi que des archéozoologistes ont pu, sur base de vestiges archéologiques, mettre en évidence
des sacrifices d’animaux domestiques accomplis environ 5.600 ans avant notre ère, notamment dans des
sites fortifiés français (par exemple, à Boury-en-Vexin, dans l’Oise)114. Ces chercheurs ont conclu de
leurs observations que les humains avaient probablement consommé la viande des animaux sacrifiés
(surtout des moutons et des bœufs). Ils ont également noté que l’accumulation d’ossements pouvait être
mise en relation avec les structures qui matérialisent les limites des villages, « comme si les dépôts
étaient voués à manifester l’évidence de l’appropriation de l’espace villageois ». Udekem d’Acoz Gevers. Voir le lien dans la bibliothèque.
Écriture et textes sacrés
- Avec l’invention de l’écriture (-4000), les mythes et rituels se fixent : Épopée de Gilgamesh en Mésopotamie, Textes des Pyramides en Égypte, hymnes védiques en Inde. Bible en Israël.
- Ces textes fondent des traditions religieuses et transmettent une mémoire collective, donnant à la religion une dimension normative et durable.
Liens
Voir les études en ligne dans la bibliothèque.
Suite : l’originalité de la révélation biblique.