Dieu connait tout
La bible dresse le portrait d’un Dieu dont le savoir dépasse infiniment celui de l’homme. Il sait tout, il connaît tout. Cette omniscience pose de multiples questions. À quoi bon la prière puisque Dieu la connaît par avance ? Dieu s’immisce-t-il dans notre conscience au point de scruter la moindre parcelle de notre intimité ? Connaît-il notre destinée ? Si Dieu entrevoit les événements à venir, cela ne suppose-t-il pas que notre destin est fixé par avance dans des décrets immuables ? Le psaume 139 est à cet égard une louange à la connaissance de Dieu qui se déploie de l’embryon jusque dans la vie quotidienne :
Éternel ! tu me sondes et tu me connais, tu sais quand je m’assieds et quand je me lève, tu pénètres de loin ma pensée ; tu sais quand je marche et quand je me couche, et tu pénètres toutes mes voies. Car la parole n’est pas sur ma langue, que déjà, ô Éternel ! Tu la connais entièrement… C’est toi qui as formé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère… Mon corps n’était point caché devant toi, lorsque j’ai été fait dans un lieu secret, tissé dans les profondeurs de la terre. Quand je n’étais qu’une masse informe, tes yeux me voyaient ; et sur ton livre étaient tous inscrits les jours qui m’étaient destinés, avant qu’aucun d’eux existât. (Ps 139,1-16).
Dieu nous connaît apparemment avec beaucoup d’intimité. Distinguons le savoir de la connaissance. Le premier relève du domaine de l’intelligence alors que la seconde est de l’ordre de la relation intime. L’un est livresque alors que l’autre jaillit d’une rencontre. Nous avons besoin d’acquérir un savoir pour avancer dans la vie ; savoir compter, lire et écrire, pour ne citer que les rudiments de l’apprentissage scolaire. Mais le savoir de Dieu n’est pas comparable à celui d’un ordinateur qui accumulerait des données impersonnelles. Il est de l’ordre de la connaissance au sens biblique du terme.
L’étymologie « con-naître » évoque une complicité très intime, car « naître avec » quelqu’un dans une histoire, une alliance ou tout autre événement de la vie implique un partage profond des élans, des expériences et des sentiments. La bible prolonge ce sens vers un degré plus intime encore. Le mot hébreu yada, utilisé pour exprimer la connaissance, signifie littéralement « entrer dans l’intimité de », puisqu’il désigne la relation sexuelle :
Adam connut Ève, sa femme ; elle conçut, et enfanta Caïn. (Gn 4,1).
Dieu connaît l’homme de la même façon. Dieu lit notre existence comme un livre grand ouvert ; il sait même lire entre les lignes, au plus profond de notre être. Il est un père, ou une mère, qui connaît ses enfants par le cœur (Jr 12,3 ; 2Ch 6,30). Nous pouvons dire avec le personnage du renard dans « Le Petit Prince » :
Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.
L'histoire n'est aucunement écrite à l'avance. Nous écrivons notre histoire à partir de notre héritage et de nos décisions. Notre destin n’est aucunement écrit dans un livre ou dans les astres. Suite aux apparitions à Fatima, le troisième secret fait couler beaucoup d’encre sur les visions apocalyptiques qu’il renferme. Le cardinal Ratzinger rappelle à ce sujet :
Est soulignée l’importance de la liberté de l’homme : l’avenir n’est absolument pas déterminé de manière immuable, et l’image que les enfants ont vue n’est nullement un film d’anticipation de l’avenir, auquel rien ne pourrait être changé. Toute cette vision se produit en réalité seulement pour faire apparaître la liberté et pour l’orienter dans une direction positive. Le sens de la vision n’est donc pas de montrer un film sur l’avenir irrémédiablement figé. Son sens est exactement opposé, à savoir mobiliser les forces pour tout changer en bien.
Passé, présent et avenir relèvent de notre humanité. N’enfermons pas Dieu dans cette temporalité. Dieu est hors du temps. Sa vision de la création n’est pas la nôtre. Ses pensées ne sont pas nos pensées et ses voies ne sont pas nos voies (Is 55,8-9). Son projet dépasse notre entendement. Il tient tout dans ses mains au sens du mot pantocrator. S’il connaît le terme de l’histoire, il nous laisse la liberté d’avancer à notre rythme avec tous les errements dus à notre humanité.