Commentaire première partie

Dans le commentaire ci-dessous, nous constaterons que pour la première partie, la prière s'inspire de l'évangile sans s'y conformer.

Prière Commentaire

Je te

La prière nous est donnée par l'ange Gabriel. Les anges sont les envoyés de Dieu. Le nom Gabriel que l'ange nous révèle (v. 19) signifie « force de Dieu » ou « Dieu est ma force ». Dans l'Ancien Testament, l'ange Gabriel annonce au prophète Daniel la fin du royaume d'iniquité et la venue d'un temps nouveau (Daniel 8, 16 et 9, 21). Dans le Nouveau Testament, l'ange Gabriel intervient deux fois : À Jérusalem, il annonce à Zacharie la naissance de Jean Baptiste (Lc 1,19). À Nazareth, il annonce à la Vierge Marie qu'elle est appelée à devenir la mère de Jésus, le Fils du Très Haut (Lc 1, 26-38).

La prière est personnelle (Je), contrairement à celle du Notre Père (Nous).
Mais l'évangile n'est pas de l'ordre du "je". L'ange ne dit pas "je ...", mais exprime un "tu" à travers le verbe qui suit. Dans tout dialogue, il y a une différence fondamentale entre commencer une phrase par "je" et pas "tu". Le "tu" donne une place à l'autre. Ce pronom est une marque d'humilité.

Faut-il tutoyer ou vouvoyer Marie ? A chacun selon sa sensibilité. Voir Romain Donnet, Tutoyer Dieu, vouvoyer la Vierge, La Croix le 07/05/2021.

salue

La rencontre débute par une salutation. Quoi de plus naturel ? Dieu intervient et tout commence par une parole de bienveillance. La distance entre Dieu et l'homme est respectée et pourtant entièrement traversée. Immense prévenance de Dieu, qui vient au-devant de Marie. Et elle reçoit par l'ange des mots de Dieu, que nous-mêmes reprenons quand nous la prions. Jacques Nieuviarts, La Croix, 19/10/2012.

En Lc 1,28 l'ange s'adresse en disant "Khàire" à Marie. Faut-il traduire par « Je vous salue » ou par « Réjouis-toi »?

Les Pères latins ont majoritairement interprété ce verbe comme un simple "salut" en usage dans les relations sociales. Nous trouvons ce sens au moment de la passion quand il est dit à Jésus : « Salut (Khàire) Rabbi » (Mt 26,49) ; salut (Khàire) roi des Juifs. (Mt 27,29)

Cependant, dans le cas de Luc 1,28, "Khàire" a un sens d'invitation à la Joie. Il est dit en Lc 1,14": « Il (= Jean Baptiste) sera pour toi un motif de joie et d'allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance. » Par ailleurs dans le Grec des Septante, le verbe "Khaire" annonce la joie messianique :

So 3,14 Crie de joie, fille de Sion, pousse des acclamations, Israël, réjouis-toi, ris de tout ton cœur, fille de Jérusalem… Le roi d'Israël, Yahvé lui-même, est au milieu de toi, tu n'auras plus à craindre le mal… 17 Yahvé ton Elohim est au milieu de toi en héros, en vainqueur. Il est tout joyeux à cause de toi, dans son amour, il te renouvelle, il jubile et crie de joie à cause de toi.

Jo 2,21 Terre, ne crains plus, jubile et sois dans l'allégresse, car Yahvé a fait grand !

Za 9,9 Exulte avec force, fille de Sion ! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse.

Marie se demande ce que signifie cette "salutation" (ἀσπασμὸς, aspasmos, v. 29). Le mot "aspasmos" se retrouve dans les lettres de Paul lorsqu'il adresse ses salutations aux Eglises (1Co 16,21 ; Col 4,18 ; 2Th 3,17).

En français le mot salut peut désigner aussi bien la salutation que le fait d'être sauver. Luc n'annonce pas le salut (sauver) ; en grec un autre verbe exprime ce sens (soter).

Mais le salut (sauver) est sous-jacent, car l'évangile de Luc est l'évangile de la joie. Dans l’ensemble de ces textes revient avec insistance le mot "aujourd’hui". Il désigne l’aujourd’hui du salut, la réalité présente, l’irruption du Royaume de Dieu, de la réalité de Dieu, qui lorsqu’elle touche les hommes, se dit en termes de "salut" (ce mot revient aussi sans cesse), indissociable d’une "joie" immense, autre maître-mot de l’Évangile de Luc, dès ses tout premiers chapitres. Salut, joie, aujourd’hui, tracent en quelque sorte les traits du projet de Dieu quand il touche les hommes. Jacques Nieuviarts, La Croix, 12/06/2017.

Marie

Le prénom viendrait de l'araméen "miryam" ou "maryam", qui signifie "goutte de mer", mais aussi "celle qui élève", "celle qui éclaire". Certains remontent jusqu'à l'égyptien ancien "mry" qui signifie "bien aimé(e)", "le dieu bon". Voir l'étymologie.

Comblée de grâce

Le mot grec κεχαριτωμένη (kecharitōmenē) contient la racine "charis", c'est-à-dire la grâce.
La grâce désigne Dieu lui-même qui vient rejoindre l'être humain dans son intimité spirituelle.

Le terme grec « kecharitoménè » est formé par la racine « charis » qui signifie la grâce de Dieu, sa bienveillance gratuite, mais aussi la beauté, ce qui attire. « Kecharitoménè » est une forme verbale particulière (le participe passif parfait) du verbe « charitoô » qui a une valeur causative, ce qui veut dire que Marie est effectivement transformée par cette bienveillance de Dieu. En outre le choix du parfait souligne que la Vierge se trouve déjà sous l’influence de la grâce de Dieu et persévère dans cette condition. Un commentaire formulait la salutation angélique en ces termes : « Réjouis-toi d’avoir été transformée par la grâce ». Olivier Lebouteux. Voir le lien dans la bibliothèque.

Il faudrait donc traduire par « rendue pleine de grâce » ou « comblée de grâce », ce qui indiquerait clairement qu'il s'agit d'un cadeau fait par Dieu à la Vierge.

La grâce a ses racines dans l'Ancien Testament. La Septante traduit par grâce charis le verbe hébreu "hanan" qui revient 56 fois et qui a 41 fois Dieu comme sujet. Dans l'Ancien Testament, la grâce désigne la bienveillance de Dieu qui se penche sur son peuple pour lui accorder ses faveurs. Luc l'utilise dans le sens de l'Ancien Testament pour désigner la faveur de Dieu envers Marie (Lc 1,28.30). Saint Paul est le théologien par excellence de la grâce. Il en parle dans Éphésiens, mais il développe surtout cette notion dans Galates et Romains. Il l'associe souvent à la surabondance (2 Co 4,15 ; 9,8.14 ; Rm 4,1; 5,15.20; 1 Tm 1,14). Pour lui la grâce désigne la bonté sans limite de Dieu qui travaille le cœur de l'homme pour répandre partout ses dons (1 Co 2,12 ; 2 Co 9,8, 14 ; 1 Tm 1,14) à condition de s'ouvrir à elle dans la foi, à condition de l'accueillir. Il le fait par l'intermédiaire de son Fils unique qu'il a donné au monde (Rm 8,32) et qui apporte la rédemption (2 Th 1,12 ; 2 Co 6,1 ; Ga 2,21 ; Ep 1,6). La grâce a pour objet l'homme pécheur (Rm 5,15-21). Elle montre que le salut ne vient pas de l'homme, mais qu'il est un don de Dieu. Elle s'exprime dans le monde par une diversité de dons (Rm 7,6; Ep 6,7). Yolande Girard. Voir le lien dans la bibliothèque.

Marie est comblée de grâce. Le mot employé ici par Luc ne se retrouve qu'une fois dans le Nouveau Testament, dans l'épître aux Éphésiens. Il désigne la plénitude de Dieu qui vient à la rencontre de l'humanité en la personne de Marie. Peut-on être davantage comblée que de porter en soi un enfant venant d'un autre qui est tout amour ?

Le Seigneur est avec toi

L'ange dit à Marie la proximité absolue du Seigneur auprès d'elle. N'aurait-il pas fallu dire "Le Seigneur est en toi" pour prolonger le "comblée de grâce". Le "avec toi" résonne au nom de la promesse "Emmanuel", "Dieu avec nous". L'enfant à naître est tout à la fois en Marie et avec Marie.

tu es bénie

Bénir vient du latin "bene-dicere", qui lui-même est la traduction du mot grec "eu-logein". Le latin aussi bien que le grec signifient "dire bien". Le verbe exprime donc l’idée que la bénédiction, c’est d’abord une parole. Marie porte le Verbe de Dieu (parole, logos) en elle.

La bénédiction de Dieu s'adresse toujours à des êtres humains et a pour objectif d'assurer leur bonheur. Les signes de la bénédiction sont une longue vie, la fécondité, la paix et la prospérité. Elle rend fécondes les œuvres que les êtres humains accomplissent de leurs mains. Quand on s'exclame devant une personne qu'elle est bénie, on reconnaît sa réussite et son bonheur comme le résultat d'une action merveilleuse de Dieu. Yves Guillemette. Voir bibliothèque.

entre toutes les femmes

Pourquoi Dieu choisit-il Marie ? Ce choix n'est pas le fruit du hasard, mais un acte délibéré de la part de Dieu, un acte qui relève de sa libre souveraineté. Marie possède toutes les qualités requises pour devenir "Mère de Dieu". Dieu l’a vraiment choisie, elle, une simple jeune fille de Nazareth, qui ne vit pas dans les palais du pouvoir et de la richesse. Pape François, Je vous salue Marie.

Dieu choisit des gens ordinaires pour des bénédictions extraordinaires.

Peut-on dire que Dieu a choisi Marie depuis toute éternité comme le suggère ce chant ?

Vierge sainte, Dieu t'a choisie
Depuis toute éternité,
Pour nous donner son Fils bien-aimé,
Pleine de grâces, nous t'acclamons.


Le projet de salut commence après la chute dans le jardin d'Eden. D'où cette annonce dans une forme de protévangile :

Genèse 3,15, (Dieu s'adresse au Serpent) Je (Dieu) mettrai l'hostilité entre toi (Serpent) et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira à la tête et toi, tu la meurtriras au talon.

Il est significatif que l'annonce du rédempteur, du sauveur du monde, contenue dans ces paroles, concerne «la femme». Celle-ci est nommée à la première place dans le protévangile, comme ancêtre de celui qui sera le rédempteur de l'homme. Et si la rédemption doit s'accomplir par la lutte contre le mal, par l'«hostilité» entre le lignage de la femme et le lignage de celui qui, comme «père du mensonge» (Jn 8, 44), est le premier auteur du péché dans l'histoire de l'homme, ce sera aussi l'hostilité entre lui et la femme. Dans ces paroles s'ouvre la perspective de toute la Révélation, d'abord comme préparation à l'Evangile, puis comme l'Evangile lui-même. Dans cette perspective, les deux figures de femme: Eve et Marie, se rejoignent sous le nom de la femme. Jean-Paul II, Mulieris dignitatem, n.11.

Une autre annonce :

Esaïe 7,14 : C’est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe : Voici, la jeune fille sera enceinte et elle enfantera un fils, elle lui donnera pour nom : Emmanuel (Dieu avec nous).

Jésus

Jésus vient du grec ancien Ἰησοῦς , Iēsoûs, lui-même issu du prénom hébreu ancien Iéshua (et a la même racine que Josué). Ce mot signifie « Dieu sauve » ou « Dieu délivre ».

Le fruit de tes entrailles

La traduction "entrailles" n'est pas des plus poétiques. "Ventre" ne serait pas mieux, ni "utérus". "Sein" renvoie à la maternité. Le "fruit" se développe "au sein de", à "l'intérieur de". Le grec autorise de multiples traductions pour signifier que Marie porte en elle un enfant qui va se développer comme un fruit, avant d'éclore dans le monde.

"Entrailles" possède néanmoins quelques qualités au regard du mot "rahahim" de l'Ancien Testament qui désigne littéralement les "entrailles", que les bibles traduisent par miséricorde.

Jésus est-il le fruit des entrailles de Marie ? L'évangile l'affirme explicitement. Mais cette vérité de foi soulève bien des questions, comme tout mystère qui se laisse chercher sans jamais trouver de réponse définitive. En effet, le Verbe (logos) préexiste à Marie. Il est de toute éternité. Le fruit doit donc se comprendre dans la lignée du mystère de l'incarnation. Dieu se fait chair par Marie qui porte cette chair en elle.

La théologie reste muette sur le comment. Chacun sait aujourd'hui que pour faire un bébé, il faut un spermatozoïde et un ovule... Lors de la Conférence internationale « Santé et société » qui s'est tenue au Vatican du 16 au 18 novembre 2000, le cardinal colombien Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé a décrit en termes scientifiques la conception du Christ dans le sein de la Vierge Marie : « Il y a deux mille ans, un ovule fut fécondé de façon miraculeuse par l’action surnaturelle de Dieu. De cette union merveilleuse a résulté un zygote avec un patrimoine chromosomique propre en qui se trouvait le Verbe de Dieu et le salut des hommes. » Le cardinal a évoqué le développement de l’embryon humain en se référant toujours au Christ : « Encore au premier mois de la grossesse, quand le fœtus mesurait déjà 0,8 à 1,5 centimètre, le cœur de Dieu commença à battre avec la force du cœur de Marie, et à utiliser le cordon ombilical pour se nourrir par sa Mère, la Vierge Immaculée… Le Verbe de Dieu était absolument dépendant d’un être humain, mais il possédait une totale autonomie génétique ». Voir le texte.

est béni

Voir supra.