Le péché originel dans les textes magistériels
Les conciles
A l'époque d'Augustin
La notion-même de « péché originel » est mentionnée dans une décision conciliaire dès 418, au concile de Carthage (concile local) :
Quiconque nie que les tout-petits doivent être baptisés, ou dit que c’est pour la rémission des péchés qu’on les baptise, mais qu’ils n’ont rien en eux du péché originel d’Adam que le bain de la régénération aurait à expier, ce qui a pour conséquence que pour eux la formule du baptême « en rémission des péchés » n’a pas un sens vrai mais faux, qu’il soit anathème (15e Concile de Carthage (418), Canon 2, DH 223).
Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a nui qu’à lui seul et non à sa descendance, ou s’il déclare que c’est seulement la mort corporelle, pleine du péché, et non le péché, mort de l’âme, qui par un seul homme a passé dans le genre humain, il attribue une injustice à Dieu en contredisant l’Apôtre qui dit : « Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et ainsi a passé en tous les hommes, tous ayant péché en lui » (2e Concile d’Orange (529), Canon 2, DH 372).
Trente - 17 juin 1546
Afin que la foi catholique, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu [He 11, 6.], triomphant de l’erreur, se conserve dans son entière et inviolable pureté, et que le peuple chrétien ne se laisse pas ballotter à tout vent de doctrine [Ep 4, 14] ; puisque l’ancien serpent [Ap 12, 9 ; Ap 20, 2], ce perpétuel ennemi du genre humain, au milieu des nombreux fléaux qui troublent de nos jours l’Eglise de Dieu, a suscité d’anciennes et de nouvelles contestations sur le péché originel et son remède, le saint concile de Trente, œcuménique et général, légitimement assemblé dans le Saint-Esprit, sous la présidence des trois mêmes légats du Siège apostolique, voulant enfin travailler à retirer de l’erreur les égarés et à affermir ceux qui chancellent, suivant les témoignages des saintes Ecritures, des saints Pères et des conciles approuvés, le consentement et le jugement de l’Eglise même, statue, professe et déclare ce qui suit, sur le péché originel.
1. Si quelqu’un ne confesse pas qu’Adam, le premier homme, par sa désobéissance au commandement de Dieu dans le paradis, perdit aussitôt la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été établi, et encourut, par son injurieuse prévarication, la colère et l’indignation de Dieu, et par suite la mort, dont Dieu l’avait précédemment menacé, et avec la mort la captivité sous la puissance de celui qui eut ensuite l’empire de la mort, c’est-à-dire du diable [He 2, 14], et que tout Adam, selon le corps et l’âme, a été détérioré par cette coupable transgression, qu’il soit anathème.
2. Si quelqu’un soutient que la prévarication d’Adam a été préjudiciable à lui seul, et non à sa postérité ; que la sainteté et la justice dont Dieu l’avait doué, et qu’il a perdues, il les a perdues pour lui uniquement, et non pas aussi pour nous ; ou que, souillé par le péché de désobéissance, il n’a transmis à tout le genre humain que la mort et les peines du corps, sans lui transmettre le péché, qui est la mort de l’Ame, qu’il soit anathème, puisqu’il contredit ces paroles de l’Apôtre : Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort ; et ainsi la mort est passée dans tous les hommes, en celui dans lequel ils ont tous péché [Rm 5, 12].
3. Si quelqu’un soutient que le péché d’Adam, un à son origine, infus dans tous par la génération et non par imitation, intimement propre à chacun, peut être enlevé par les forces de la nature humaine, ou par un autre remède que les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’unique médiateur, qui nous a réconciliés avec Dieu par son sang [Rm 5, 9 s], s’étant fait notre justice, notre sanctification, notre rédemption [1 Co 1, 30] ; ou nie que les mérites de Jésus-Christ soient, par le sacrement de baptême dûment conféré selon la forme de l’Eglise, appliqués tant aux adultes qu’aux enfants, qu’il soit anathème, puisqu’il n’a pas été donné sous le ciel aux hommes d’autre nom, par lequel nous puissions être sauvés [Ac 4, 12] ; ce qui a donné lieu à cette parole : Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte les péchés du monde [Jn 1, 19] ; et à cette autre : tous, qui avez été baptisés, vous avez été revêtus de Jésus-Christ [Ga 3, 27].
4. Si quelqu’un nie qu’il soit nécessaire de baptiser les enfants nouvellement sortis du sein de leurs mères, ou issus de parents baptisés ; ou si, avouant qu’ils sont réellement baptisés pour la rémission des péchés, il prétend qu’ils ne tirent d’Adam rien qui soit péché originel et qui doive être purifié par le bain de la régénération, pour qu’ils obtiennent la vie éternelle ; en sorte que, appliquée à eux, la forme du baptême pour la rémission des péchés est fausse et vide de sens, qu’il soit anathème ; car cette parole de l’Apôtre : Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché lu mort, et ainsi la mort est passée dans tous les hommes en celui dans lequel tous ont pêché [Rm 5, 12], ne peut s’entendre autrement que la entendue l’Eglise catholique répandue partout. C’est conformément à cette règle de foi et en vertu de la tradition apostolique, que les enfants, qui n’ont encore pu commettre aucun pêché personnel, sont réellement baptisés pour la rémission des péchés, afin que la tâche qu’ils ont contractée par la génération soit lavée en eux par la régénération. Car si l’on ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, on ne peut entrer au royaume de Dieu [Jn 3, 5].
5. Si quelqu’un nie que, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est conférée dans le baptême, la coulpe du péché originel soit remise ; ou soutient que tout ce qu’il y a proprement et véritablement de péché, n’est pas ôté, mais seulement rasé, et n’est pas imputé, qu’il soit anathème ; car Dieu ne hait rien dans ceux qui sont régénérés, parce qu’il n’y a point de condamnation [Rm 8, 1] pour ceux qui sont véritablement ensevelis avec Jésus-Christ dans la mort par le baptême [Rm 6, 4], qui ne marchent point selon la chair [Rm 8, 1], mais qui, dépouillant le vieil homme et revêtant le nouveau qui est créé selon Dieu [Ep 4, 22–24 ; Col 3, 9 s], sont devenus innocents, purs, sans tache ni péché, agréables à Dieu, ses héritiers et cohéritiers de Jésus-Christ [Rm 8, 17] ; en sorte qu’aucun obstacle ne leur ferme l’entrée du ciel. Cependant le saint concile reconnaît et professe que la concupiscence, ou le foyer du mal reste dans les baptisés ; laquelle, ayant été laissée comme un sujet de lutte, ne peut nuire à ceux qui ne consentent pas, et lui résistent vaillamment par la grâce de Jésus-Christ. Cette concupiscence que l’Apôtre appelle quelquefois péché [Rm 6, 12–15 ; Rm 7, 7 ; Rm 7, 14–20], le saint concile déclare qu’elle n’a jamais été prise ni entendue par l’Eglise catholique comme un péché proprement dit, qui reste dans les personnes baptisées ; mais qu’elle est ainsi nommée, parce qu’elle est un effet du pêché et porte au péché. Si quelqu’un est d’un sentiment opposé, qu’il soit anathème.
6. Le même saint concile déclare que son intention n’est pas de comprendre dans ce décret sur le péché originel, la bienheureuse et immaculée Vierge Marie. Mère de Dieu ; mais que l’on doit observer à ce sujet les constitutions du pape Sixte IV, d’heureuse mémoire, sous les peines contenues dans les susdites constitutions, qu’il renouvelle.
Source : La Somme des Conciles généraux et particuliers II, Abbé Guyot, 1868.
Paul VI - Credo du peuple de Dieu - 1966
Nous croyons qu’en Adam tous ont péché, ce qui signifie que la faute originelle commise par lui a fait tomber la nature humaine, commune à tous les hommes, dans un état où elle porte les conséquences de cette faute et qui n’est pas celui où elle se trouvait d’abord dans nos pre- miers parents, constitués dans la sainteté et la justice, et où l’homme ne connaissait ni le mal ni la mort. C’est la nature humaine ainsi tombée, dépouillée de la grâce qui la revêtait, blessée dans ses propres forces naturelles et soumise à l’empire de la mort, qui est transmise à tous les hommes, et c’est en ce sens que chaque homme naît dans le péché. Nous professons donc, avec le concile de Trente, que le péché originel est transmis avec la nature humaine, “non par imitation, mais par propaga- tion”, et qu’il est ainsi “propre à chacun”. Nous croyons que Notre Sei- gneur Jésus-Christ, par le sacrifice de la croix, nous a rachetés du péché originel et de tous les péchés personnels commis par chacun de nous, en sorte que, selon la parole de l’Apôtre, “là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé”.
Le catéchisme de l'Église catholique
CEC 390 Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme (cf. GS 13, § 1). La Révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents (cf. Cc. Trente : DS 1513 ; Pie XII : DS 3897 ; Paul VI, discours 11 juillet 1966).
391 Derrière le choix désobéissant de nos premiers parents il y a une voix séductrice, opposée à Dieu (cf. Gn 3, 4-5) qui, par envie, les fait tomber dans la mort (cf. Sg 2, 24). L’Écriture et la Tradition de l’Église voient en cet être un ange déchu, appelé Satan ou diable (cf. Jn 8, 44 ; Ap 12, 9). L’Église enseigne qu’il a été d’abord un ange bon, fait par Dieu. " Le diable et les autres démons ont certes été créés par Dieu naturellement bons, mais c’est eux qui se sont rendus mauvais " (Cc. Latran IV en 1215 : DS 800).
392 L’Écriture parle d’un péché de ces anges (cf. 2 P 2, 4). Cette " chute " consiste dans le choix libre de ces esprits créés, qui ont radicalement et irrévocablement refusé Dieu et son Règne. Nous trouvons un reflet de cette rébellion dans les paroles du tentateur à nos premiers parents : " Vous deviendrez comme Dieu " (Gn 3, 5). Le diable est " pécheur dès l’origine " (1 Jn 3, 8), " père du mensonge " (Jn 8, 44).
393 C’est le caractère irrévocable de leur choix, et non un défaut de l’infinie miséricorde divine, qui fait que le péché des anges ne peut être pardonné. " Il n’y a pas de repentir pour eux après la chute, comme il n’y a pas de repentir pour les hommes après la mort " (S. Jean Damascène, f. o. 2, 4 : PG 94, 877C).
394 L’Écriture atteste l’influence néfaste de celui que Jésus appelle " l’homicide dès l’origine " (Jn 8, 44), et qui a même tenté de détourner Jésus de la mission reçue du Père (cf. Mt 4, 1-11). " C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu " (1 Jn 3, 8). La plus grave en conséquences de ces œuvres a été la séduction mensongère qui a induit l’homme à désobéir à Dieu.
395 La puissance de Satan n’est cependant pas infinie. Il n’est qu’une créature, puissante du fait qu’il est pur esprit, mais toujours une créature : il ne peut empêcher l’édification du Règne de Dieu. Quoique Satan agisse dans le monde par haine contre Dieu et son Royaume en Jésus-Christ, et quoique son action cause de graves dommages – de nature spirituelle et indirectement même de nature physique – pour chaque homme et pour la société, cette action est permise par la divine Providence qui avec force et douceur dirige l’histoire de l’homme et du monde. La permission divine de l’activité diabolique est un grand mystère, mais " nous savons que Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment " (Rm 8, 28).
396 Dieu a créé l’homme à son image et l’a constitué dans son amitié. Créature spirituelle, l’homme ne peut vivre cette amitié que sur le mode de la libre soumission à Dieu. C’est ce qu’exprime la défense faite à l’homme de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, " car du jour où tu en mangeras, tu mourras " (Gn 2, 17). " L’arbre de la connaissance du bien et du mal " (Gn 2, 17) évoque symboliquement la limite infranchissable que l’homme, en tant que créature, doit librement reconnaître et respecter avec confiance. L’homme dépend du Créateur, il est soumis aux lois de la création et aux normes morales qui règlent l’usage de la liberté.
397 L’homme, tenté par le diable, a laissé mourir dans son cœur la confiance envers son créateur (cf. Gn 3, 1-11) et, en abusant de sa liberté, a désobéi au commandement de Dieu. C’est en cela qu’a consisté le premier péché de l’homme (cf. Rm 5, 19). Tout péché, par la suite, sera une désobéissance à Dieu et un manque de confiance en sa bonté.
398 Dans ce péché, l’homme s’est préféré lui-même à Dieu, et par là même, il a méprisé Dieu : il a fait choix de soi-même contre Dieu, contre les exigences de son état de créature et dès lors contre son propre bien. Constitué dans un état de sainteté, l’homme était destiné à être pleinement " divinisé " par Dieu dans la gloire. Par la séduction du diable, il a voulu " être comme Dieu " (cf. Gn 3, 5), mais " sans Dieu, et avant Dieu, et non pas selon Dieu " (S. Maxime le Confesseur, ambig. : PG 91, 1156C).
404
Comment le péché d'Adam est-il devenu le péché de tous ses descendants? Tout le genre humain est en Adam «comme l'unique corps d'un homme unique» (S. Thomas d'A., mal. 4, 1) Par cette «unité du genre humain» tous les hommes sont impliqués dans le péché d'Adam, comme tous sont impliqués dans la justice du Christ. Cependant, la transmission du péché originel est un mystère que nous ne pouvons pas comprendre pleinement. Mais nous savons par la Révélation qu'Adam avait reçu la sainteté et la justice originelles non pas pour lui seul, mais pour toute la nature humaine: en cédant au tentateur, Adam et Eve commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu'ils vont transmettre dans un état déchu (cf. Cc. Trente: DS 1511-1512). C'est un péché qui sera transmis par propagation à toute l'humanité, c'est-à-dire par la transmission d'une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles. Et c'est pourquoi le péché originel est appelé «péché» de façon analogique : c'est un péché «contracté» et non pas «commis», un état et non pas un acte.
Benoît XVI - 2008
Nous ne devrions jamais traiter du péché d'Adam et de l'humanité en le détachant du contexte du salut, c'est-à-dire sans les placer dans le contexte de la justification dans le Christ.
Mais en tant qu'hommes d'aujourd'hui, nous devons nous demander: quel est ce péché originel? Qu'est-ce que Paul enseigne, qu'est-ce que l'Eglise enseigne? Est-il possible de soutenir cette doctrine aujourd'hui encore? Un grand nombre de personnes pense que, à la lumière de l'histoire de l'évolution, il n'y a plus de place pour la doctrine d'un premier péché, qui ensuite se diffuserait dans toute l'histoire de l'humanité. Et, en conséquence, la question de la Rédemption et du Rédempteur perdrait également son fondement. Le péché originel existe-il donc ou non? Pour pouvoir répondre, nous devons distinguer deux aspects de la doctrine sur le péché originel. Il existe un aspect empirique, c'est-à-dire une réalité concrète, visible, je dirais tangible pour tous. Et un aspect mystérique, concernant le fondement ontologique de ce fait. La donnée empirique est qu'il existe une contradiction dans notre être. D'une part, chaque homme sait qu'il doit faire le bien et intérieurement il veut aussi le faire. Mais, dans le même temps, il ressent également l'autre impulsion à faire le contraire, à suivre la voie de l'égoïsme, de la violence, de ne faire que ce qui lui plaît tout en sachant qu'il agit ainsi contre le bien, contre Dieu et contre son prochain. Saint Paul, dans sa Lettre aux Romains, a ainsi exprimé cette contradiction dans notre être : "En effet, ce qui est à ma portée, c'est d'avoir envie de faire le bien, mais non pas de l'accomplir. Je ne réalise pas le bien que je voudrais, mais je fais le mal que je ne voudrais pas" (7, 18-19). Cette contradiction intérieure de notre être n'est pas une théorie. Chacun de nous l'éprouve chaque jour. Et nous voyons surtout autour de nous la prédominance de cette deuxième volonté. Il suffit de penser aux nouvelles quotidiennes sur les injustices, la violence, le mensonge, la luxure. Nous le voyons chaque jour : c'est un fait.
En conséquence de ce pouvoir du mal dans nos âmes s'est développé dans l'histoire un fleuve de boue, qui empoisonne la géographie de l'histoire humaine. Le grand penseur français Blaise Pascal a parlé d'une "seconde nature", qui se superpose à notre nature originelle, bonne. Cette "seconde nature" fait apparaître le mal comme normal pour l'homme. Ainsi, l'expression habituelle : "cela est humain" possède aussi une double signification. "Cela est humain" peut vouloir signifier: cet homme est bon, il agit réellement comme devrait agir un homme. Mais "cela est humain" peut également signifier la fausseté: le mal est normal, est humain. Le mal semble être devenu une seconde nature. Cette contradiction de l'être humain, de notre histoire doit susciter, et suscite aujourd'hui aussi, le désir de rédemption. Et, en réalité, le désir que le monde soit changé et la promesse que sera créé un monde de justice, de paix et de bien est présent partout: dans la politique, par exemple, tous parlent de cette nécessité de changer le monde, de créer un monde plus juste. Et cela exprime précisément le désir qu'il y ait une libération de la contradiction dont nous faisons l'expérience en nous-mêmes.
Le fait du pouvoir du mal dans le cœur humain et dans l'histoire humaine est donc indéniable. La question est: comment ce mal s'explique-t-il? Dans l'histoire de la pensée, en faisant abstraction de la foi chrétienne, il existe un modèle principal d'explication, avec différentes variations. Ce modèle dit : l'être lui-même est contradictoire, il porte en lui aussi bien le bien que le mal. Dans l'antiquité, cette idée impliquait l'opinion qu'il existe deux principes également originels: un principe bon et un principe mauvais. Ce dualisme serait infranchissable; les deux principes se trouvent au même niveau, il y aura donc toujours, dès l'origine de l'être, cette contradiction. La contradiction de notre être refléterait donc uniquement la position contraire des deux principes divins, pour ainsi dire. Dans la version évolutionniste, athée, du monde, la même vision revient. Même si, dans cette conception, la vision de l'être est moniste, on suppose que l'être comme tel porte dès le début en lui le mal et le bien. L'être lui-même n'est pas simplement bon, mais ouvert au bien et au mal. Le mal est aussi originel, comme le bien. Et l'histoire humaine ne développerait que le modèle déjà présent dans toute l'évolution précédente. Ce que les chrétiens appellent le péché originel ne serait en réalité que le caractère mixte de l'être, un mélange de bien et de mal qui, selon cette théorie, appartiendrait à l'étoffe même de l'être. C'est une vision qui au fond est désespérée: s'il en est ainsi, le mal est invincible. A la fin seul le propre intérêt compte. Et chaque progrès serait nécessairement à payer par un fleuve de mal et celui qui voudrait servir le progrès devrait accepter de payer ce prix. Au fond, la politique est précisément fondée sur ces prémisses: et nous en voyons les effets. Cette pensée moderne peut, à la fin, ne créer que la tristesse et le cynisme.
Et ainsi, nous nous demandons à nouveau: que dit la foi, témoignée par saint Paul? Comme premier point, elle confirme le fait de la compétition entre les deux natures, le fait de ce mal dont l'ombre pèse sur toute la création. Nous avons entendu le chapitre 7 de la Lettre aux Romains, nous pourrions ajouter le chapitre 8. Le mal existe, simplement. Comme explication, en opposition avec les dualismes et les monismes que nous avons brièvement considérés et trouvés désolants, la foi nous dit: il existe deux mystères de lumière et un mystère de nuit, qui est toutefois enveloppé par les mystères de lumière. Le premier mystère de lumière est celui-ci: la foi nous dit qu'il n'y a pas deux principes, un bon et un mauvais, mais il y a un seul principe, le Dieu créateur, et ce principe est bon, seulement bon, sans ombre de mal. Et ainsi, l'être également n'est pas un mélange de bien et de mal; l'être comme tel est bon et c'est pourquoi il est bon d'être, il est bon de vivre. Telle est la joyeuse annonce de la foi: il n'y a qu'une source bonne, le Créateur. Et par conséquent, vivre est un bien, c'est une bonne chose d'être un homme, une femme, la vie est bonne. S'ensuit un mystère d'obscurité, de nuit. Le mal ne vient pas de la source de l'être lui-même, il n'est pas également originel. Le mal vient d'une liberté créée, d'une liberté dont on a abusé.
Comment cela a-t-il été possible, comment est-ce arrivé? Cela demeure obscur. Le mal n'est pas logique. Seul Dieu et le bien sont logiques, sont lumière. Le mal demeure mystérieux. On l'a représenté dans de grandes images, comme le fait le chapitre 3 de la Genèse, avec cette vision des deux arbres, du serpent, de l'homme pécheur. Une grande image qui nous fait deviner, mais ne peut pas expliquer ce qui est en soi illogique. Nous pouvons deviner, pas expliquer; nous ne pouvons pas même le raconter comme un fait détaché d'un autre, parce que c'est une réalité plus profonde. Cela demeure un mystère d'obscurité, de nuit. Mais un mystère de lumière vient immédiatement s'y ajouter. Le mal vient d'une source subordonnée. Dieu avec sa lumière est plus fort. Et c'est pourquoi le mal peut être surmonté. C'est pourquoi la créature, l'homme peut être guéri. Les visions dualistes, même le monisme de l'évolutionnisme, ne peuvent pas dire que l'homme peut être guéri; mais si le mal ne vient que d'une source subordonnée, il reste vrai que l'homme peut être guéri. Et le Livre de la Sagesse dit: "Les créatures du monde sont salutaires" (1, 14 volg). Et enfin, dernier point, l'homme non seulement peut être guéri, mais il est guéri de fait. Dieu a introduit la guérison. Il est entré en personne dans l'histoire. A la source constante du mal, il a opposé une source de bien pur. Le Christ crucifié et ressuscité, nouvel Adam, oppose au fleuve sale du mal un fleuve de lumière. Et ce fleuve est présent dans l'histoire: nous voyons les saints, les grands saints, mais aussi les saints humbles, les simples fidèles. Nous voyons que le fleuve de lumière qui vient du Christ est présent, il est fort.
Benoît XVI, Audience générale du 3 décembre 2008.