Le péché originel dans la Tradition
Irénée de Lyon
Dieu n'eut-il pu faire l'homme parfait dès le commencement ? Qu'on sache donc que pour Dieu, qui est depuis toujours identique à lui-même et qui est incréé, tout est
possible , à ne considérer que lui. Mais les êtres produits, du fait qu'ils reçoivent subséquemment leur
commencement d'existence, sont nécessairement inférieurs à leur Auteur. Impossible, en effet, que soient
incréés des êtres nouvellement produits. Or, du fait qu'ils ne sont pas incréés, ils sont inférieurs à ce qui
est parfait : car, du fait qu'ils sont nouvellement venus à l'existence, ils sont de petits enfants, et, du fait
qu'ils sont de petits enfants, ils ne sont ni accoutumés ni exercés à la conduite parfaite. De même, en
effet, qu'une mère peut donner une nourriture parfaite à son nouveau-né, mais que celui-ci est encore
incapable de recevoir une nourriture au-dessus de son âge, ainsi Dieu pouvait, quant à lui, donner dès le
commencement la perfection à l'homme, mais l'homme était incapable de la recevoir, car il n'était qu'un
petit enfant.
Or le bien consiste à obéir à Dieu, à lui être docile, à garder son commandement : c'est la vie de l'homme
; de même, désobéir à Dieu est mal : c'est la mort de l'homme. Dieu ayant usé de longanimité, l'homme
a donc connu et le bien de l'obéissance et le mal de la désobéissance, afin que l'œil de son esprit, ayant
acquis l'expérience de l'un et de l'autre, fasse choix du bien avec décision et ne soit ni paresseux ni
négligent à l'égard du commandement de Dieu : ce qui lui ôte la vie, c'est-à-dire désobéir à Dieu, il saura
par expérience que c'est mal et il ne l'entreprendra plus jamais; au contraire, ce qui lui conserve la vie,
c'est-à-dire obéir à Dieu, il saura que c'est bien et il le gardera avec un soin scrupuleux. Et c'est pourquoi
il a reçu une double faculté possédant la connaissance de l'un et de l'autre, afin de faire choix du bien en
connaissance de cause. Cette connaissance du bien, comment aurait-il pu l'avoir, s'il avait ignoré son
contraire ? Car plus ferme et plus incontestable est la perception d'objets présents qu'une conjecture
résultant d'une supposition. Car, de même que la langue acquiert par le goût l'expérience du doux et de
l'amer, que l'œil distingue par la vue le noir du blanc, que l'oreille connaît par l'audition la différence des
sons, ainsi l'esprit, après avoir acquis par l'expérience de l'un et de l'autre la connaissance du bien,
devient plus scrupuleusement attentif à le conserver en obéissant à Dieu : en premier lieu, par le repentir,
il rejette la désobéissance, parce qu'elle est chose amère et mauvaise; ensuite, sachant par une perception
immédiate ce qu'est le contraire du bien et du doux, plus jamais il n'entreprendra de goûter de la
désobéissance à Dieu. Si tu répudies cette connaissance de l'un et de l'autre et cette double faculté de
perception, sans le savoir, tu supprimeras l'homme même que tu es.
Comment, d'ailleurs, seras-tu dieu, alors que tu n'as pas encore été fait homme ? Comment seras-tu
parfait, alors que tu viens à peine d'être créé ? Comment seras-tu immortel, alors que, dans une nature
mortelle, tu n'as pas obéi à ton Créateur ? Car il te faut d'abord garder ton rang d'homme, et ensuite
seulement recevoir en partage la gloire de Dieu : car ce n'est pas toi qui fais Dieu, mais Dieu qui te fait.
Si donc tu es l'ouvrage de Dieu, attends patiemment la Main de ton Artiste, qui fait toutes choses en
temps opportun — en temps opportun, dis-je, par rapport à toi qui es fait. Présente-lui un cœur souple et
docile et garde la forme que t'a donnée cet Artiste, ayant en toi l'Eau qui vient de lui et faute de laquelle,
en t'endurcissant, tu rejetterais l'empreinte de ses doigts. En gardant cette conformation, tu monteras à la
perfection, car par l'art de Dieu va être cachée l'argile qui est en toi. Sa Main a créé ta substance ; elle te
revêtira d'or pur au dedans et au dehors, et elle te parera si bien, que le Roi lui-même sera épris de ta
beauté. Mais si, en t'endurcissant, tu repousses son art et te montres mécontent de ce qu'il t'a fait homme,
du fait de ton ingratitude envers Dieu tu as rejeté tout ensemble et son art et la vie : car faire est le propre
de la bonté de Dieu et être fait est le propre de la nature de l'homme. Si donc tu lui livres ce qui est de
toi, c'est-à-dire la foi en lui et la soumission, tu recevras le bénéfice de son art et tu seras le parfait
ouvrage de Dieu. Si, au contraire, tu lui résistes et si tu fuis ses Mains, la cause de ton inachèvement
résidera en toi qui n'as pas obéi, non en lui qui t'a appelé.
Contre les hérésies. http://fdier.free.fr/AdvHaer.pdf
Augustin
Augustin est l’inventeur de la formule « péché originel ». Elle apparait pour la première fois dans l’A Simplicien daté de 396.
10. « Car je sais, dit-il, que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair.En tant qu'il le sait, il est d’accord avec la loi ; mais en tant qu’il agit, il cède au péché. Or d’où sait-il ce qu’il avance, à savoir que ce qui habite dans sa chair n’est pas le bien, mais le péché ? D’où le sait-il, sinon par la transmission de la mortalité de la mortalité et les continuels assauts de la volupté ? L’un est la punition du péché originel, l’autre la punition des rechutes fréquentes dans le péché. Nous l’apportons l’un en venant au monde, nous y ajoutons l’autre pendant notre vie. https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/augustin/comecr2/simplicien1.htm
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Ses conclusions sur le péché originel son dues :
- à son engagement contre l’hérésie de Pélage, un moine breton. Pélage considérait que tout chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces et par son libre arbitre et minimisait le rôle de la grâce divine.
- une erreur d’interprétation du fameux verset de Rm 5,12 : L’interprétation donnée par Augustin de Rm 5,12 est liée à la version latine (dite "vieille latine") qu’il avait sous les yeux. Augustin comprend que ce qui est passé en tous du fait du péché d’Adam est non pas la mort, mais le péché. Or, le texte grec porte - au moins dans la plupart des manuscrits - le terme de mort, mais la vieille latine a suivi un manuscrit où ce mot manquait : c’est pourquoi Augustin comprend "péché", lecture qui exprimait l’idée de transmission. Quant à la fin du verset, le "eph’ô " est une expression idiotique grecque qui a un sens causal : "du fait que tous ont péché". Il s’agit ici des péchés personnels de chacun, à travers lesquels la puissance du péché atteint tous les hommes. Or, Augustin, et avant lui Ambroise, ont traduit la formule de manière littérale, par un relatif "in quo", "dans lequel", parce que le texte qu’ils lisaient ne comportait pas le mot "mort ". Augustin estime alors que l’antécédent de ce relatif est le terme de péché, qu’il lit immédiatement auparavant, ou Adam lui-même. Il comprend donc : "le péché d’Adam dans lequel tous ont péché". Or, le grec ne permet pas cette interprétation, parce que l’antécédent " hamartia/péché" est féminin, alors que "thanatos/mort" est masculin.
- une vision pessimiste de la sexualité. https://www.portstnicolas.org/eglise/questions-diverses/article/le-peche-originel-les-dossiers-biblique-liturgique-et-theologique#nb18
Pour justifier sa doctrine, Augustin développe un argument scripturaire : tous les hommes sont sauvés. Mais à l’universalité de la grâce et du besoin universel de rédemption, correspond l’universalité du péché dont nul n’est exempt, pas même les nourrissons. Il invoquait aussi la pratique traditionnelle du baptême, conféré pour « la rémission des péchés ». Augustin approfondit la question du péché originel dans ses controverses avec Pelage qui affirme que les enfants naissent sans péché.
16,21. Par suite, on peut affirmer avec vérité que les petits enfants qui- meurent sans baptême seront placés dans la plus douce de toutes les damnations ; mais c'est adopter et propager une grosse erreur que de publier qu'ils ne seront point damnés ; car l'Apôtre dit : « Pour un seul péché il y a un jugement de condamnation » ; et il ajoute bientôt après : « Par la faute d'un seul tous les hommes tombent sous la condamnation ». Du mérite et de la rémission des péchés. https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/augustin/polemiques/pelage/pelage1.htm#_Toc29824274
1. Quant au baptême des enfants, je vous invite tout d'abord à n'écouter qu'avec une extrême défiance tous ces beaux parleurs qui n'osent formellement refuser à l'enfance le bain de la régénération et de la rémission des péchés, dans la crainte de soulever autour d'eux la plus vive indignation de la part des chrétiens, et qui cependant s'obstinent à soutenir que le péché du premier homme ne se transmet d'aucune manière par la génération charnelle, et que les enfants ne sont coupables en aucune manière du péché originel ; ce qui n'empêche pas qu'on peut leur accorder le baptême pour la rémission des péchés. De la grâce II, Livre deuxième, Du péché originel. https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/augustin/polemiques/pelage/pelage6.htm
Le péché originel s'enracine dans le mauvais usage du libre arbitre.
Dieu, en effet, auteur des natures et non des vices, a créé l’homme pur; mais l’homme corrompu par sa volonté propre et justement condamné, a engendré des enfants corrompus et condamnés comme lui. Nous étions véritablement tous en lui, alors que nous étions tous cet homme qui tomba dans le péché par la femme tirée de lui avant le péché. Nous n’avions pas encore reçu à la vérité notre essence individuelle, mais le germe d’où nous devions sortir était déjà, et comme il était corrompu par le péché, chargé des liens de la mort et frappé d’une juste condamnation, l’homme ne pouvait pas, naissant de l’homme, naître d’une autre condition- que lui. Toute cette suite de misères auxquelles nous sommes sujets ne vient donc que du mauvais usage du libre arbitre, et elle nous conduit jusqu’à la seconde mort qui ne doit jamais finir, si la grâce de Dieu ne nous en préserve. La cité de dieu, 13, 14. https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/augustin/citededieu/livre13.htm#_Toc510366282
Le péché originel se transmet pas la sexualité.
27. Il suit de là que le démon tient sous son empire, comme coupables du péché originel, tous les enfants des hommes, et cela non par l'effet de l'un ou de l'autre des biens qui rendent le mariage légitime, mais par suite de ce mal de la concupiscence dont le mariage est toujours accompagné et dont il a toujours à rougir. Par lui-même et dans les biens qui lui sont propres, le mariage est bon et louable, pourvu qu'il reste pur, non-seulement de toute fornication et de tout adultère, mais même de ces excès de jouissances, uniquement inspirés par la passion de la volupté, sans aucune. volonté de coopérer à l'oeuvre créatrice de Dieu. Je le suppose donc exempt tout à la fois et de ces crimes horribles : la fornication et l'adultère, et de ces excès qui, dans les époux, ne dépassent pas les limites du péché originel, et j'ajoute que, malgré cette pureté, la consommation du mariage, quoique licite et honnête, n'est jamais exempte des ardeurs de la concupiscence ; si la raison y préside, la passion l'accompagne. Je n'examine pas si cette ardeur suit ou précède la volonté, il me suffit de savoir que les mouvements de la chair n'obéissent qu'à la concupiscence, et nullement à la volonté. Le rôle de la volonté est donc ici purement le rôle d'un esclave, ou celui d'un maître auquel on n'obéit pas et dont le seul parti à prendre est de se couvrir de honte et de pudeur. Dans les chrétiens régénérés, cette concupiscence de la chair n'est point imputée à péché; cependant, ce n'est que par le péché qu'elle règne dans la nature. A ce point de vue elle est donc la fille du péché; laissez-la devenir maîtresse et agir à sa guise, elle deviendra bientôt la mère d'une multitude de péchés, et tout ce qui naîtra d'elle restera souillé du péché originel, jusqu'au moment où il lui sera donné de renaître en celui qui est né d'une Vierge et en dehors de toute concupiscence; voilà pourquoi tout étant né de la chair, il est né sans péché. Du mariage et de la concupiscence. 1, 24, 27. https://www.bibliotheque-monastique.ch/bibliotheque/bibliotheque/saints/augustin/polemiques/pelage/mariage.htm#_Toc31472436