Grégoire de Nysse (vers 335–394)

Biographie

  • Grégoire de Nysse naît vers 335 à Césarée de Cappadoce (actuelle Turquie) et meurt vers 394 ; il est le frère cadet de Basile de Césarée et l’un des trois grands Pères cappadociens.
  • Formé à la rhétorique et à la philosophie grecque, il reçoit une éducation approfondie dans les lettres classiques avant de se tourner vers la vie ecclésiastique.
  • Il est d’abord professeur de rhétorique, puis devient évêque de Nysse vers 371, à la demande de son frère Basile, alors métropolitain de Césarée.
  • Son épiscopat est marqué par des difficultés : il est accusé de mauvaise gestion par les ariens et brièvement exilé avant d’être rétabli dans sa charge.
  • Grégoire participe activement au concile de Constantinople (381), où il contribue à la définition dogmatique de la Trinité et à la défense de la divinité du Saint-Esprit.
  • Son œuvre est vaste et variée : homélies, traités spirituels, écrits dogmatiques, lettres et commentaires bibliques, notamment sur le Cantique des Cantiques et la Genèse.
  • Philosophe chrétien, il développe une pensée influencée par le platonisme et l’idéalisme, cherchant à unir la raison et la foi dans la contemplation du mystère divin.
  • Il conçoit la vie spirituelle comme un mouvement infini vers Dieu (epektasis), une ascension continue où l’âme progresse éternellement vers la perfection.
  • Sur le plan anthropologique, Grégoire voit l’homme comme une image dynamique de Dieu, appelée à se transformer à travers la purification du cœur et la vision intérieure.
  • Sa théologie morale met l’accent sur la pureté, la tempérance et la charité comme vertus fondamentales de la vie chrétienne.
  • Concernant la sexualité, il adopte une attitude nuancée : il reconnaît la valeur du mariage comme institution divine, mais considère la virginité comme une voie supérieure de sanctification.
  • Dans son traité De Virginitate, il célèbre la virginité comme un état d’union mystique avec Dieu, reflet de la vie angélique et anticipation de la béatitude céleste.
  • Il interprète la sexualité humaine à la lumière de la chute : elle est bonne dans son origine mais dévoyée par la concupiscence et le désordre introduits par le péché.
  • Le mariage, pour lui, garde une fonction salvifique lorsqu’il est vécu dans la chasteté, la fidélité et l’amour spirituel entre les époux.
  • Grégoire insiste sur la transformation du corps par la grâce : la sainteté ne consiste pas à rejeter la chair, mais à la transfigurer par l’Esprit.
  • Sa mystique du corps glorifié annonce la théologie ultérieure de la résurrection et de la sanctification de la matière.
  • Dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques, il décrit la relation entre Dieu et l’âme en termes nuptiaux, intégrant la symbolique amoureuse dans la spiritualité contemplative.
  • Son langage spirituel unit sensualité et transcendance : l’amour humain devient parabole de l’amour divin lorsqu’il est purifié de l’égoïsme.
  • Grégoire est reconnu comme un penseur du progrès infini de l’âme et de la vocation universelle à la divinisation.
  • Son influence est majeure dans la théologie mystique orientale et la spiritualité de la lumière divine, où l’homme avance sans cesse vers la vision du Dieu infini.

Traité sur la virginité

I,1 Ce noble idéal de la virginité, précieux à tous ceux qui situent le beau dans la pureté, échoit à ceux-là seuls que la grâce bienveillante de Dieu assiste dans le combat pour réaliser leur bon désir.

II,1 1. Il nous faut en effet beaucoup d’intelligence pour arriver à connaître l’excellence de cette grâce dont l’idée accompagne celle de Père incorruptible, car c’est bien un paradoxe que la virginité soit trouvée chez un père, qui possède un fils et l’a engendré sans passion. Elle est comprise en même temps que le Dieu Fils unique, chorège de l’incorruptibilité, puisqu'elle a resplendi simultanément avec la pureté et l’impassibilité de sa génération : encore le même paradoxe, que la virginité achemine à la pensée d’un fils. Elle est contemplée également dans la pureté essentielle et incorruptible du Saint-Esprit, car en parlant de pureté et d'incorruptibilité, on désigne sous un autre nom la virginité. Elle est concitoyenne de la nature hypercosmique tout entière, puisque son impassibilité lui donne rang parmi les puissances supérieures, inséparables d’aucune des réalités divines, sans la moindre attache avec les réalités adverses.

III,8. Et si tu veux apprendre les embarras de la vie commune, entends les propos des femmes qui l'ont connue par expérience, comment elles proclament bienheureuse la vie de celles qui d’emblée ont choisi de vivre dans la virginité, et qui ne sont pas venues à la connaissance de la beauté supérieure par la voie du malheur, puisque la virginité n’est pas susceptible de tels maux : elle ne se lamente pas sur des orphelins ; elle ne se plaint pas d'un veuvage ; sans cesse elle vit avec l'Époux incorruptible ; sans cesse elle se glorifie des fruits de la piété ; elle voit la maison qui est véritablement sienne toujours florissante de tous les biens excellents, à cause de la présence et de l’inhabitation permanentes du maître de cette maison : dans son cas, la mort entraîne non point la séparation d’avec l’être aimé, mais l’union avec lui, car lorsqu’elle s’en va, c’est pour être avec le Christ.

VII,1 Que personne n’estime que nous repoussons pour autant l’institution du mariage : nous n’ignorons pas en effet que celui-ci non plus n’est pas étranger à la bénédiction divine, mais puisqu’il trouve un défenseur à lui-même dans la nature commune à tous les hommes — elle qui met cette inclination spontanée vers de tels plaisirs en tous ceux qui viennent à l'existence par le mariage — et puisque la virginité marche pour ainsi dire à l’encontre de la nature, il serait superflu de prendre la peine d’écrire un discours d’encouragement et d'exhortation au mariage, en mettant en avant son défenseur difficile à combattre, je veux dire la volupté.

VII,3 Quant à nous, voici ce que nous savons au sujet du mariage : il faut donner le pas au soin et au désir des choses divines, mais ne point mépriser la charge du mariage, quand on est capable d'en user avec modération et mesure.

XII,6. C’est donc à celui qui a purifié toutes les puissances de son âme de « toute espèce de vice » que devient visible, j’ose le dire, ce qui est beau uniquement de par sa nature. De même en effet que c’est l’œil, nettoyé de sa chassie, qui voit briller distinctement au loin les objets qui sont dans l’air, c’est de même l’âme qui, par l’incorruptibilité, acquiert la puissance de connaître cette lumière : la véritable virginité et le zèle pour l’incorruptibilité aboutissent à ce but, qui est de pouvoir, grâce à elle, voir Dieu. En effet qu’au sens propre, premier et unique, le beau, le bien et le pur soit le Dieu de tous les êtres, il n’est personne dont la raison soit si aveugle qu’il ne le puisse comprendre par lui-même.

XIII,1. Si donc nous devons dès maintenant suivre de Christ, il faut entreprendre ce départ en commençant au dernier point d’arrivée, comme les exilés vivant loin de chez eux qui, lorsqu’ils s’en retournent dans leur pays d’origine, quittent d’abord ce lieu où ils se sont trouvés arriver en dernier. Puisque le mariage constitue donc le dernier degré dans l’éloignement de la vie paradisiaque, notre traité suggère à ceux qui partent vers le Christ de quitter d’abord le mariage, comme une étape ultime ; puis de se soustraire à la misère terrestre où l’homme a été établi après le péché ; ensuite de sortir des revêtements de la chair, dépouillant les tuniques de peaux, c’est-à-dire « les pensées de la chair », « répudiant toutes les choses honteuses qui se font en secret.

XIV,1. La procréation corporelle — que personne ne se choque de mon discours — n’est pas plus principe de vie que de mort pour les hommes, car la corruptibilité commence avec la génération, mais ceux qui ont rompu avec elle ont fixé en eux-mêmes par la virginité une limite à la mort, l’empêchant d’avancer plus loin par leur entremise : ils se sont placés eux-mêmes comme une frontière entre la vie et la mort, et ont contenu celle-ci dans sa poussée en avant. Si donc la mort ne peut passer outre à la virginité, mais trouve son terme et sa dissolution, il est clairement démontré que la virginité l’emporte sur la mort et qu'on a raison de dire exempt de corruption le corps qui n’a pas travaillé au service de la vie corruptible, et qui n’a pas accepté de devenir l’instrument d’une succession mortelle. Par ce corps en effet, a été interrompue la série continue de corruption et de mort qui s'étend dans tout l’intervalle entre le premier homme et la vie de celui qui pratique la virginité, car il n’était pas possible que la mort un jour restât inactive tant que la génération humaine demeurerait active par le mariage. Mais la mort, qui cheminait avec toutes les générations antérieures et qui accompagne dans leur traversée ceux qui arrivent à chaque instant dans la vie, a trouvé dans la virginité une borne à son action qu'il lui est impossible de dépasser :de même en effet que dans le cas de Marie, Mère de Dieu, quand la mort, après avoir régné d’Adam jusqu’à elle, s’approcha d’elle aussi, et qu’en heurtant contre le fruit de sa virginité comme sur un rocher, elle se brisa sur elle, ainsi en toute âme qui dépasse la vie charnelle par la virginité, le pouvoir de la mort se brise et se dissout en quelque manière, faute d’avoir où enfoncer son aiguillon. C’est que le feu, si on ne lui jette du bois, du chaume, de la balle ou quelque autre matière combustible, n'est pas de nature à s'entretenir sur lui-même. Ainsi la puissance de la mort non plus n’exercera pas son activité, si le mariage ne lui en fournit la matière et ne lui prépare des gens destinés à mourir, tels des condamnés.

Les satisfactions, les joies, les voluptés recherchées avec empressement et tout ce qu’on recherche à l’occasion du mariage s’achèvent dans de la douleur. Le mariage présente-t-il au contact des sens le poli superficiel de la volupté, comme une poignée ornée d’habiles ciselures, mais, dans les mains de celui qui y touche, il devient pour les hommes, avec son inséparable cortège de peines, un artisan de deuil et de malheurs.

XV. Se soustraire au mariage entraîne donc d'un coup l’exemption de toutes ces servitudes mauvaises. Rien que de naturel à cela : puisque d’une part est abolie la condamnation portée dès l’origine contre les délinquants, et que d’autre part, selon l’Écriture, les tribulations des mères ne s’accroissent plus, et que la douleur ne préside plus à la génération humaine, du même coup sont complètement supprimés les malheurs de la vie, et aussi, comme dit le prophète, les larmes des visages.

Le propre de la nature angélique est d'être délivré du mariage, déjà il a reçu les biens de la promesse, mêlé a aux splendeurs des saints, imitant par sa vie immaculée la pureté des êtres incorporels. Si donc la virginité devient la pourvoyeuse de ces avantages et d’autres du même genre, quel discours exprimera dignement l’admiration que suscite cette grâce ?

Attachée en effet par la virginité au véritable époux, non seulement l’âme s’écartera des souillures corporelles, mais elle commencera dès lors d’accéder à la pureté et se portera vers toutes choses pareillement avec la même fermeté, de peur que son cœur inclinant peut-être contre son devoir à quelque participation au mal, elle n’accueille de ce côté une passion adultère.

XXIII Si tu désires aussi que Dieu se manifeste à toi, pourquoi n'écoutes-tu pas Moïse ordonnant au peuple de se garder pur des relations conjugales, pour recevoir la manifestation de Dieu ? Si cela te semble insignifiant « d’être crucifié avec le Christ », de «t’offrir toi-même en victime à Dieu», de « devenir prêtre du Dieu très haut », d’être jugé digne de la grande manifestation de Dieu, qu’imaginer pour toi de plus sublime que tout cela, si même les conséquences de ces choses te semblent insignifiantes ? Par la crucifixion avec lui en effet, on obtient d'être associé à sa vie, à sa gloire, à son règne ; et par l’offrande de soi-même à Dieu, on peut être promu de la nature et dignité humaines à celle des anges.

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