Paul - Virginité et mariage dans 1 Corinthiens
1 Corinthiens 7 - Réponses à des questions sur le mariage
1 Venons-en à ce que vous m'avez écrit. Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme. 2 Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari (anèr). 3 Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. 4 Ce n'est pas la femme qui dispose de son corps, c'est son mari. De même ce n'est pas le mari qui dispose de son corps, c'est sa femme. 5 Ne vous refusez pas l'un à l'autre, sauf d'un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière ; puis retournez ensemble, de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l'occasion de vous tenter. 6 En parlant ainsi, je vous fais une concession, je ne vous donne pas d'ordre. 7 Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là.
8 Je dis donc aux célibataires (agamos) et aux veuves (khèra) qu'il est bon de rester ainsi, comme moi. 9 Mais s'ils ne peuvent vivre dans la continence, qu'ils se marient ; car il vaut mieux se marier que brûler. 10 A ceux qui sont mariés j'ordonne, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme (gunè) ne se sépare pas de son mari (anèr) 11– si elle en est séparée, qu'elle ne se remarie pas ou qu'elle se réconcilie avec son mari –, et que le mari ne répudie pas sa femme. 12 Aux autres je dis, c'est moi qui parle et non le Seigneur : si un frère (adélphos) a une femme (gunè) non croyante et qu'elle consente à vivre avec lui, qu'il ne la répudie pas. 13 Et si une femme a un mari non croyant et qu'il consente à vivre avec elle, qu'elle ne le répudie pas. 14 Car le mari non croyant est sanctifié par sa femme, et la femme non croyante est sanctifiée par son mari. S'il en était autrement, vos enfants seraient impurs, alors qu'ils sont saints. 15 Si le non-croyant veut se séparer, qu'il le fasse ! Le frère ou la sœur ne sont pas liés dans ce cas : c'est pour vivre en paix que Dieu vous a appelés. 16 En effet, sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari ? Sais-tu, mari, si tu sauveras ta femme ?
Le cas des gens non mariés, des fiancés et des vierges
25 Au sujet des vierges, je n'ai pas d'ordre du Seigneur : c'est un avis que je donne, celui d'un homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance. 26 Je pense que c'est un avantage, à cause des angoisses présentes, oui, on a avantage à rester ainsi. 27 Es-tu lié à une femme ? Ne cherche pas à rompre. N'es-tu pas lié à une femme ? Ne cherche pas de femme. 28 Si cependant tu te maries, tu ne pèches pas ; et si une vierge se marie, elle ne pèche pas. Mais les gens mariés auront de lourdes épreuves à supporter, et moi, je voudrais vous les épargner.
29 Voici ce que je dis, frères : le temps est écourté. Désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s'ils n'en avaient pas, 30ceux qui pleurent comme s'ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s'ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s'ils ne possédaient pas, 31ceux qui tirent profit de ce monde comme s'ils n'en profitaient pas vraiment. Car la figure de ce monde passe. 32 Je voudrais que vous soyez exempts de soucis. Celui qui n'est pas marié a souci des affaires du Seigneur : il cherche comment plaire au Seigneur. 33 Mais celui qui est marié a souci des affaires du monde : il cherche comment plaire à sa femme, 34et il est partagé. De même, la femme sans mari et la jeune fille ont souci des affaires du Seigneur, afin d'être saintes de corps et d'esprit. Mais la femme mariée a souci des affaires du monde : elle cherche comment plaire à son mari. 35 Je vous dis cela dans votre propre intérêt, non pour vous tendre un piège, mais pour que vous fassiez ce qui convient le mieux et que vous soyez attachés au Seigneur, sans partage.
36 Si quelqu'un, débordant d'ardeur, pense qu'il ne pourra pas respecter sa fiancée et que les choses doivent suivre leur cours, qu'il fasse selon son idée. Il ne pèche pas : qu'ils se marient. 37 Mais celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, hors de toute contrainte et qui, en pleine possession de sa volonté, a pris en son for intérieur la décision de respecter sa fiancée, celui-là fera bien. 38 Ainsi celui qui épouse sa fiancée fait bien, et celui qui ne l'épouse pas fera encore mieux.
39 La femme est liée à son mari aussi longtemps qu'il vit. Si le mari meurt, elle est libre d'épouser qui elle veut, mais un chrétien seulement. 40Cependant elle sera plus heureuse, à mon avis, si elle reste comme elle est : et je crois, moi aussi, avoir l'Esprit de Dieu.
Paul s'exprime dans un contexte particulier. D'un côté la culture juive qui fait du mariage le socle de sa vie religieuse et sociale. La fécondité est une bénédiction divine, alors que le célibat et la stérilité jette la femme aux bans de la société. D'un autre, la croyance dans certains milieux du retour imminent du Christ (1 Co 7, 17ss; 1 Co 7, 29-31;1 Co 10, 11;1 Co 15, 51-52;Rm 13,11;1 Th 4,15). Paul doit donc tenir compte à la fois des réalités terrestres et d'un avenir temporellement limité. Comment parler de fécondité, de mariage dans un tel contexte ? De vaut-il pas mieux rester célibataire ? Paul préfère épargner la communauté de toutes tribulations liées au mariage. Il ne sert donc à rien de changer la condition de vie puisque, de toute façon, le temps de vie ici bas n'est plus long. L'important c'est de servir pleinement Dieu dans la condition même où l'on se trouve.
Quelle que soit sa préférence personnelle pour le célibat, Paul estime l'un et l'autre état de vie comme des charismes divins (1 Co 7, 7). À ses yeux, la raison d'ordre pratique de préférer l'abstinence sexuelle et le célibat, se trouve dans le facteur eschatologique. Il nous semble donc, pour finir, que la question de la supériorité ou de l'infériorité du mariage ou du célibat est absurde et non avenue, si on cherche à la résoudre à partir du contenu des Lettres pauliniennes. Point n'est besoin de chercher à opposer ou de hiérarchiser mariage et célibat. L'un et l'autre état de vie sont des charismes chrétiens, le premier étant recommandable en tout temps parce que basé sur l'amour, le second recommandable davantage en contexte eschatologique. Jean-Chrysostome Zoloshi. Voir le lien dans la bibliothèque.
X. Léon-Dufour distingue trois groupes de personnes dans chacune des deux catégories. Les gens mariés : il y a d’abord des époux qui vivent normalement ensemble, nous les rencontrons dans les versets 3, 4 et 5 et au verset 10 ; ensuite il y aurait les époux qui sont séparés, au verset 11 ; enfin il y a ceux qui, vivant ensemble, sont séparés par leur croyance, nous les trouvons du verset 12 au verset 16.
Les gens non mariés se répartissent vraisemblablement eux aussi en trois situations différentes. Il y a ceux qui simplement ne sont pas encore engagés dans les liens du mariage et que Paul appelle vierges (parthénoi) au verset 25 ; garçons ou filles comme les versets 27 et 28 semblent bien le confirmer. Ensuite il y a les célibataires et les veuves dont Paul parle au verset 8 ; que recouvrent ici ces célibataires (agamoi) juxtaposés aux veuves ? D’autres bien sûr que les vierges du verset 25, ce qui se confirme encore par le verset 34 où les deux catégories sont énumérées, la femme sans mari (agamos) et la jeune fille (parthénos) ; vraisemblablement ces célibataires sont des hommes qui ne sont plus liés à une femme, soit parce qu’ils sont veufs, soit parce que leur foi chrétienne les a séparés de leur épouse restée juive ou païenne. Enfin il y a ceux dont il est question aux versets 36 à 38 ; les commentateurs sont d’accord, pour la plupart, pour penser qu’il s’agit là de fiancés judéo-chrétiens, non passés encore à la co-habitation, le contrat matrimonial existant avant la consommation du mariage.
Une remarque : en parlant du verset 8 « Je dis donc aux célibataires et aux veuves qu’il est bon de rester ainsi, comme moi », X. Léon-Dufour estime qu’il est permis de supposer que l’Apôtre se range parmi ces célibataires qui ne sont plus liés à une femme (agamoi), car c’est à ceux-ci qu’il se propose comme modèle et non aux vierges (parthénoi) qui n’ont pas été mariés. C’est aussi l’avis de J. Jeremias que Paul, en tant que rabbi, avait dû se marier à l’âge normal, c’est-à-dire entre dix-huit et vingt ans. Paul serait donc veuf ou vivrait séparé de sa femme demeurée fidèle à la loi juive. L’intérêt que Paul accorde à ce qui fut appelé le « privilège paulin » (versets 12-16) ne serait-il pas précisément une généralisation de sa propre histoire ? J. Giblet, par contre, estime cette interprétation peu fondée.
Une dernière remarque au sujet des correspondants de Paul. Il semble qu’il y ait parmi les commentateurs un large accord sur le fait que la seconde partie du verset 1 : « Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme » est une réflexion émanant des correspondants de Paul, provenant sans doute de son enseignement mais interprété erronément, et que l’Apôtre va rectifier ou nuancer dans la lettre-réponse qu’il leur adresse.
Ne pourrions-nous pas dire dès maintenant que ce qui domine dans ce chapitre, c’est cette vision du corps appelé à la résurrection qui a été décrite au chapitre 6 : « il (le corps) est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps. Or, Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera aussi par sa puissance ». La fécondité nouvelle de la résurrection transforme la vie, et tous les problèmes doivent être traités à cette lumière. La glorification des corps va donner son statut au mariage comme au célibat pour le Seigneur. Dans le sillage du chapitre 6, ce chapitre 7 nous donnerait donc une sorte de théologie du corps appelé à la résurrection.
Finalement, la question sous-jacente du premier verset n’est pas tellement de savoir s’il vaut mieux, moralement, être marié que célibataire, mais si le mariage, en tant que tel, n’a pas pris fin à cause de la nouveauté radicale du temps inauguré par l’effusion de l’Esprit. Or, en face de ceux qui, sous le prétexte que les derniers temps sont commencés, voudraient abolir le mariage, Paul va se poser en défenseur de l’institution matrimoniale. Et à partir de leur question (7,1b), il rappelle aux époux leur devoir conjugal (7,2-5a)... J. J. von Allmen pense que cette interruption de ce que Paul appelle la vie commune, ne signifie pas simplement une période de continence, mais une séparation totale. Parmi les commentateurs, il y a divergence d’opinion sur la portée exacte du verset 6 concernant la concession de Paul. Quel est l’objet de cette concession ? X. Léon-Dufour pense que Paul concède ici le « retour » aux relations sexuelles normales ; il justifie cette interprétation par l’orientation du verset suivant où Paul souhaite que tous soient comme lui. Par contre, J. J. von Allmen et J. Giblet interprètent ce verset de façon opposée en disant que l’objet de la concession de Paul est « l’arrêt » des relations sexuelles. Quoi qu’il en soit, le motif de cette continence momentanée n’est nullement d’ordre ascétique, mais trouve son sens dans la prière seule. Il ne s’agit pas d’une limitation mais d’une ouverture vers le haut, désirée conjointement par les deux époux.
Dans les versets 7 et 8, Paul souhaiterait que tout le monde fût comme lui. Mais en même temps, il reconnaît qu’il s’agit là d’un charisme, ce qui suppose à la fois la compréhension d’une valeur et une grâce donnée pour s’y tenir fidèlement. Or chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là, comme il le dit lui-même au verset 7. Peut-on extraire de ce verset l’affirmation que seul le célibat est un charisme et non pas l’état de mariage ? Certains le diront, tandis que d’autres y verront précisément la preuve que le mariage est lui aussi un charisme. Avec X. Léon-Dufour, nous retirerons cependant au mariage la prérogative d’être un charisme au sens strict, car, à partir du donné de la condition féminine ou masculine, il est la voie normale de la création, et comme tel, n’implique pas un appel « spécial » du Seigneur. Le célibat volontaire, par contre, suppose un choix libre répondant à un appel particulier du Seigneur ; seul il pourrait donc être appelé charisme, car il est réponse à un don, une vocation particulière.
Le verset 9 « il vaut mieux se marier que brûler » fera dire à certains que Paul considère le mariage comme un mal nécessaire. Mais n’est-ce pas dire plutôt : si vous voulez vous marier, faites-le ; reconnaissez simplement que le célibat volontaire n’est pas votre charisme.
Clairette Ers, Mariage et célibat dans la première aux Corinthiens. Voir le lien dans la bibliothèque.
Une difficulté se pose dans l’interprétation du verset 1 (1Co 7,1, supra). Lorsque Paul écrit qu’il est bon pour un homme de ne pas s’approcher d’une femme, cite-t-il une opinion que les Corinthiens ont exprimée dans leur lettre ? Ou bien est-ce l’opinion de Paul répondant à un ensemble de questions que les Corinthiens lui ont posées ? Il semble que c’est plutôt l’opinion de Paul, qui résume l’ensemble de sa pensée, non pas par mépris de la femme, mais par valorisation du célibat, qu’il vit lui-même et qu’il considère comme une bonne façon d’être proche du Christ (versets 7-8). C’est cependant un charisme particulier, de même que l’appel à la vie conjugale (verset 7b). Paul exprimera plusieurs fois cette opinion dans le chapitre est cependant réaliste. Le célibat masculin n’est pas fait pour tous ; la vie conjugale et les relations sexuelles sont la norme commune (versets 2-9), chaque époux ayant à rendre ses devoirs à l’autre. La formulation du verset 3 est particulièrement intéressante, Ce que le mari doit à sa femme, « pareillement » la femme le doit à son mari ; la symétrie est parfaite ; aucun mot n’évoquant une supériorité ou une infériorité n’est utilisé. Et la même tonalité imprègne les versets suivants : le corps de chacun des membres du couple appartient à l’autre, et cela dans les deux sens (versets 4-5). Paul établit là une véritable réciprocité, peu courante dans la culture antique, tant juive que gréco-romaine. Cela ne veut pas dire qu’un conjoint a pouvoir sur le corps de l’autre. Le dominicain Adrien Candiard, connu pour ses ouvrages de spiritualité, fait de ces versets 4 et 5 un commentaire très pertinent :
"Paul n’invite pas à l’assujettissement du désir au désir de l’autre, même de manière réciproque : ce serait une violence terrible, qui n’aurait pas grand-chose à voir avec de l’amour. Il vise en réalité quelque chose de bien plus fondamental : la sexualité authentique n’est pas centrée sur elle-même, obsédée par sa propre jouissance, mais elle est don ; c’est l’autre qui donne sens à mon propre corps".
L’abstinence de relations sexuelles est cependant recommandée comme une ascèse lorsqu’on veut vivre des moments de prière particulièrement intenses, en couple ou séparément : il faut alors se consacrer totalement à Dieu (verset 5). On remarquera encore que, en formulant ces consignes, Paul rappelle qu’il exprime ici une opinion personnelle, donc non contraignante (verset 6) ; nous appellerions cela un conseil. Il lui arrivera, dans les versets suivants, de se référer à une injonction venant de Jésus, à laquelle on ne peut alors se dérober. Ainsi dans les versets ci-dessous.
Aux versets 10 et 11, Paul n’exprime plus une opinion personnelle, il rappelle une prescription venant de Jésus lui-même, à laquelle un chrétien ne saurait se dérober : Je prescris, non pas moi, mais le Seigneur. Le verbe « prescrire » (parangéllô) est contraignant et implique l’obéissance. Cette prescription est rappelée quatre fois dans les évangiles Synoptiques (Mt 5, 31-32 ; 19, 3-9 ; Mc 10, 2-12 ; Lc 16, 18). Certes, ils ne sont pas encore rédigés lorsque Paul écrit ses épîtres ; mais des traditions concernant les paroles prononcées par Jésus circulent dans les Églises, sous une forme déjà passablement fixée. C’est à elles que l’Apôtre se réfère de façon explicite.
On notera pour les mêmes versets 10 et 11 que, lorsque est envisagée une séparation potentielle des deux conjoints, le texte commence par parler de la femme qui aurait l’initiative de vouloir se séparer de son mari. Cette éventualité est tout à fait inédite dans la loi juive, où seul le mari pouvait avoir l’initiative de la séparation (Dt 24, 1-4). Dans les paroles de Jésus sur ce sujet telles qu’elles sont rapportées par les évangiles, Marc est le seul des trois Synoptiques à émettre l’idée que la femme pourrait répudier son conjoint ; il nomme cependant le mari en premier : Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première ; et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère (Mc 10, 11-12). On a là un trait féministe commun à Marc et à Paul. Ce n’est pas le seul aspect de la proximité entre ces deux auteurs. À partir du verset 11 Paul revient à des conseils personnels, non contraignants, en évoquant le cas où, dans un couple, l’un est disciple du Christ, l’autre non. Si le non-croyant rend la vie impossible au croyant en raison de sa foi, la séparation est possible. La tradition ecclésiale a même interprété ce passage en donnant au conjoint croyant la possibilité de se remarier... avec un autre croyant, il s’entend. C’est ce que l’on appelle le privilège paulin. L’Église admet alors la dissolution du lien. Ce privilège est garanti par le droit canonique de l’Église latine (canons 1143-1146). Là encore, la réciprocité est totale. À propos du privilège paulin, on s’est demandé si Paul ne e l’était pas appliqué à lui-même. Il se serait alors séparé de sa femme, qui n’aurait plus supporté son mari depuis qu’il était devenu disciple du Christ. Certes, Paul vivait le célibat au moment où il écrivait ses lettres. Mais, n’aurait-il pas été marié au départ ?
Les commentateurs favorables à cette éventualité argumentent à partir de la situation des rabbins, pour lesquels, dans le judaïsme des premiers siècles de notre ère, le mariage était exigé. L’argumentation ne résiste cependant pas à un examen plus précis. C’est après la destruction du Temple de Jérusalem en 70 que, les sacrifices ne pouvant plus être célébrés, les rabbins sont devenus les principaux responsables religieux du judaïsme et que le mariage leur a été prescrit. Très intéressant pour la situation de la foi au sein de la famille est le verset 14. Paul y rappelle que la foi de l’un des conjoints sanctifie l’autre, et de la même façon, la foi d’un parent croyant sanctifie les enfants du couple. Pour employer un vocabulaire médical, la foi est « contagieuse ». Cette perspective est très nouvelle par rapport à la façon dont la « contagion » fonctionne dans le judaïsme ; là, au contraire, c’est l’impureté qui est contagieuse ; ce qui conduit les Juifs pratiquants à se purifier plusieurs fois par jour. Du verset 17 au verset 24, le texte aborde les questions de la circoncision et de l’esclavage ; il ne concerne plus la situation de l’homme ni celle de la femme. Il y revient cependant à partir du verset 25, à propos de la virginité.
Ici encore (1 Co 7, 25-31, supra) , comme dans l’ensemble du chapitre 7 sauf aux versets 10 et 11, Paul livre à des destinataires une opinion personnelle, non contraignante. Il valorise à nouveau le célibat. Au verset 25, le terme « vierge » (parthénos) parle de la virginité pour les deux sexes. Les conseils donnés à partir du verset 27 concernent le mâle (cela jusqu’au verset 28a compris). La réciproque pour la femme commence au verset 28b, où le terme parthénos est précédé d’un article féminin. Le célibat est présenté ici dans sa dimension eschatologique (versets 29-31). Les conditions particulières dans lesquelles vit le croyant sont secondes, voire contingentes, par rapport à la vie de foi : mariage ou célibat, joie ou tristesse, possession de biens ou non-possession de biens, tout cela n’a qu’une importance relative, l’essentiel étant la relation au Christ, dont la qualité doit être la priorité pour tout chrétien. On touche ici un aspect remarquable de la personnalité de Paul. L’homme se donne tout entier à l’annonce du Christ mort et ressuscité, supporte mille difficultés sans qu’elles l’arrêtent, trouve essentiellement sa joie dans le progrès de l’Évangile ; il traite alors avec une certaine désinvolture toutes les contingences. On ne le suivra peut-être pas lorsqu’il assure qu’être marié ou célibataire, riche ou pauvre, triste Ou joyeux, n’est que contingent. Il a au moins le mérite d’énoncer clairement son point de vue. Il continue d’ailleurs de le faire dans les derniers versets du chapitre.
Paul dresse ensuite (1 Co 7, 32-40, supra) un inventaire de situations qui risquent toujours de détourner le croyant de l’essentiel, à savoir la vie de foi et la relation au Christ, situations qu’il appelle des « soucis » (aux versets 32 et 33, adjectif et verbe de la racine mérimna). Cela le conduit à vanter une nouvelle fois les avantages du célibat, pour les personnes des deux sexes (versets 32-35). À partir du verset 36, il n’est plus question que des femmes. Les vierges et les veuves avaient apparemment une fonction dans l’Église. Il n’y avait pas d’équivalent pour les veufs ou les garçons célibataires. Aux versets 36-38, la personne dont il est question est sans doute le père d’une jeune fille encore vierge. À l’époque, le père donnait sa fille en mariage, elle n’avait pas part au choix de son conjoint. Ce père peut marier sa fille, mais fera mieux encore de la consacrer à Dieu dans la virginité. Là, il n’est pas question de réciprocité car, à la différence des filles, les garçons choisissaient eux-mêmes leur conjoint. Les versets 39-40 concernent le veuvage des femmes. Les veuves peuvent se remarier, mais avec un chrétien seulement ; elles peuvent cependant aussi rester veuves ; elles se retrouvent alors privées de protection juridique, mais les autres membres de l’Église peuvent assurer cette protection dont leur veuvage les prive. Là encore, Paul souligne qu’il exprime sa propre opinion, qui est de l’ordre du conseil non contraignant.
En conclusion de ce parcours, on remarquera que ce long chapitre aborde les relations entre les hommes et les femmes de façon très exhaustive. En premier heu, on honorera l’honnêteté de l’auteur, qui marque nettement la différence entre ce qui relève de sa propre opinion, donc du conseil non contraignant, et ce qui relève d’une prescription venant de Jésus (les versets 10 et 11). Le verbe « prescrire » (parangellô) n’est présent qu’au verset 10. En second lieu, il faut avouer que les codes sociétaux ne sont pas totalement abandonnés, en particulier ceux qui concernent les droits et devoirs de chacun des sexes. C’est particulièrement visible dans la fin du chapitre (à partir du verset 36). Mais de façon très générale, ce que Paul écrit sur l’homme est parfaitement symétrique de ce qu’il écrit sur la femme. À aucun moment il n’est écrit que la femme est inférieure à l’homme ou que l’épouse doit être soumise à son mari ; le vocabulaire de la soumission est totalement absent. L’Apôtre est, dans ce domaine, nettement plus féministe que la société de son temps, tant juive que gréco-romaine. Enfin, il est clair que Paul exprime une nette préférence pour le célibat, tant masculin que féminin, célibat qui permet au fidèle de se consacrer davantage, dans ses occupations et préoccupations, à sa foi en Christ. Trois grands héros de la Bible sont restés célibataires Jérémie, Jésus et Paul. Paul est sans doute celui des trois qui a le plus fait état de ses choix dans ce domaine. Mais on peut être un mâle célibataire sans être antiféministe, heureusement ! Il vaut même la peine de remarquer qu’en restant célibataire un homme se prive d’une dimension essentielle de la masculinité, celle qui s’exprime dans l’accouplement avec une femme. C’est cohérent avec la faiblesse que Paul revendique pour lui-même à plusieurs reprises, notamment dans les passages qui précèdent le chapitre 7 de la première épître aux Corinthiens. Il rappelle qu’il n’a pas la sagesse des philosophes (1, 17) ; qu’il intervient de façon craintive et toute tremblante (2, 1-5) ; qu’il s’est comporté comme une nourrice — figure féminine s’il en est — en communiquant l’Évangile à ses destinataires 3, 2) ; et que, s’il revendique d’être le père de la communauté, c’est un père méprisé, insulté, persécuté, privé de l’autorité paternelle habituelle (4, 10-14). Une certaine complicité n’existerait-elle pas entre un Paul qui n’est pas tout à fait mâle 6 et les femmes qu’il entoure d’un profond respect ?
Michel Quesnel, Paul et les femmes, Mediaspaul, 2021, pp. 34-43.