Tertullien (v. 155, Carthage – après 220, Carthage)

Biographie

  • Tertullien naît vers 155 à Carthage et y meurt après 220.
  • Il est issu d’un milieu païen aisé, probablement fils d’un centurion.
  • Il suit une formation de juriste et de rhéteur dans les écoles africaines.
  • Converti vers 195, il devient un écrivain chrétien prolifique et polémique.
  • Il rejoint le mouvement montaniste vers 207, prônant une rigueur accrue.
  • Il reste néanmoins une autorité majeure pour la théologie latine.
  • Il développe un style vigoureux, juridique et souvent ironique.
  • Il défend la Trinité, l’incarnation et l’unité de l’Église.
  • Il introduit en latin le vocabulaire théologique (trinitas, substantia, persona).
  • Sa vision morale est fortement ascétique et rigoriste.
  • Il considère la sexualité comme une zone de chute et de concupiscence.
  • Le mariage est toléré mais vu comme inférieur à la virginité.
  • Il condamne fermement le remariage et prône la continence.
  • Il exalte les vierges et les veuves consacrées.
  • Ses principales œuvres : Apologeticum, De Virginibus velandis, De Monogamia, Ad Uxorem, De Cultu Feminarum.
  • Il critique les mœurs mondaines, les spectacles et l’orgueil social.
  • Il défend le martyre comme témoignage suprême de foi.
  • Il insiste sur la discipline, la pénitence et l’autorité ecclésiale.
  • Son influence marquera Jérôme, Cyprien et Augustin.
  • Il reste une figure fondatrice du christianisme latin et du moralisme patristique.

A sa femme

III Les fidèles qui s'unissent à des femmes païennes sont certainement coupables de fornication, et doivent être retranchés de toute communion avec l'assemblée chrétienne.

Je vous en conjure, retracez sous vos yeux les exemples des païennes. La plupart de celles qu'illustre la naissance ou qui possèdent une grande fortune, choisissent pour époux des hommes obscurs, pauvres, et sans autre recommandation que leur vigueur pour la débauche, ou une mutilation qui se prête mieux à sa licence et à l'infamie. D'autres vont plus loin: elles s'unissent à leurs affranchis ou à leurs esclaves, bravant ainsi l'opinion publique. Peu leur importe, pourvu qu'elles aient un simulacre d'époux qui ne gêne en rien leur liberté. Et une chrétienne rougirait de s'unir à un chrétien sans fortune qui l'enrichirait de toute l'abondance de sa pauvreté! Car si « le royaume des cieux n'appartient point au riche, » il faut bien qu'il soit au pauvre. La femme riche trouvera davantage dans un époux indigent. Quelle dot plus magnifique que celle de l'éternité? Qu'elle s'estime donc trop heureuse de devenir son égale ici-bas, elle qui peut-être ne le sera point là-haut.

VIII Niera-t-elle qu'un tel mariage lui a été défendu au nom du Seigneur par la bouche de l'Apôtre? Où trouver la cause de cette démence, sinon dans la pusillanimité de cette foi qui incline toujours à la concupiscence et aux joies profanes? Ces tristes scandales viennent surtout des femmes opulentes; car, plus une femme opulente s'enfle de l'orgueil de son rang, plus il lui faut une maison vaste et spacieuse, espèce de carrière où son luxe prenne librement l'essor. Les églises ont peu d'attraits pour de pareilles femmes. Un riche, dans la maison du Seigneur, est une espèce de prodige; et, s'il s'en trouve quelqu'un, le célibat a bientôt vaincu ses forces. Que feront donc ces ambitieuses? Elles demanderont à Satan un époux qui leur fournisse des litières, des bêtes de somme, et des parfumeurs, dont la haute stature trahit une origine étrangère; car un époux chrétien, fût-il riche, leur refuserait sans doute cette pompe indécente.

Douce et sainte alliance que celle de deux fidèles portant le même joug, réunis dans une même espérance, dans un même vœu, dans une même discipline, dans une même dépendance ! Tous deux, ils sont frères, tous deux serviteurs du même maître, tous deux confondus dans une même chair, ne forment qu'une seule chair, qu'un seul esprit. Ils prient ensemble, ils se prosternent ensemble, ils jeûnent ensemble, s'enseignant l'un l'autre, s'encourageant l'un l'autre, se supportant l'un l'autre. Vous les rencontrez de compagnie à l'église, de compagnie au banquet divin. Ils partagent également la pauvreté et l'abondance, la fureur des persécutions ou les rafraîchissements de la paix. Nuls secrets à se dérober, ni à se surprendre mutuellement ; confiance inviolable, empressements réciproques ; jamais d'ennui, jamais de dégoûts. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents ; leur aumône est sans disputes, leurs sacrifices sans scrupules, leurs saintes pratiques de tous les jours sans entraves. Chez eux point de signes de croix furtifs, point de timides félicitations, point de muettes actions de grâces. De leurs bouches, libres comme leurs cœurs, s'élancent les hymnes pieux et les saints cantiques. Leur unique rivalité, c'est à qui célébrera le mieux les louanges du Seigneur.

https://www.tertullian.org/french/g3_13_ad_uxorem2.htm

Exhortation à la chasteté

«La volonté de Dieu, c'est que nous soyons saints.» En effet, il veut que l'homme, créé à son image, devienne sa ressemblance, «afin que nous soyons saints comme il est saint lui-même.» Ce bien, ou en d'autres termes, la sanctification, je le divise en plusieurs degrés, pour que chacun de nous puisse y prendre part. Le premier degré, c'est la virginité conservée depuis la naissance. Le second comprend la virginité qui, depuis la seconde naissance, c'est-à-dire le baptême, nous purifie dans le mariage; d'après le consentement des deux époux, ou persévère dans le célibat par une décision volontaire. Reste un troisième degré, la monogamie, en vertu de laquelle un sexe renonce à l'autre, quand le premier mariage a été dissous par la mort. La première espèce de virginité a le bonheur d'ignorer complètement ce que plus tard on regrette d'avoir connu. La seconde dédaigne héroïquement ce qu'elle n'a que trop connu. La troisième, qui renonce au mariage une fois que l'union conjugale est rompue, outre le mérite du courage, a aussi le mérite de la modération. N'est-ce pas être modéré que de ne pas regretter ce qui nous a été enlevé, enlevé surtout par le Seigneur, sans la volonté duquel il n'est pas une feuille qui se détache de l'arbre, ni le plus humble passereau qui tombe à terre?

J'ai posé ces principes, afin d'examiner maintenant les paroles de l'Apôtre. Avant tout, qu'on ne m'accuse point d'être peu respectueux envers lui, si je remarque, ce qu'il déclare lui-même, que cette indulgence qu'il témoigne pour les secondes noces, vient de son propre fonds, c'est-à-dire de la raison humaine, et non de la prescription divine. En effet, après avoir dit aux personnes veuves ou libres: «Mariez-vous, si vous ne pouvez garder la continence; car il vaut mieux se marier que de brûler;» il aborde aussitôt la seconde catégorie: «Pour celles qui sont dans le mariage, dit-il, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commandement.» En s'effaçant, lui-même pour laisser parler le Seigneur, il indiquait suffisamment que ce qu'il avait dit plus haut: «Il vaut mieux se marier que de brûler,» il l'avait dit d'après lui-même, et non pas au nom du Seigneur. Quoique cette parole regarde ceux que la foi trouve dans le célibat ou dans 1e veuvage, toutefois, comme on s'en autorise communément pour se marier, examinons quel est ce bien qui vaut mieux qu'un châtiment, et qui ne peut paraître bon que comparé à ce qu'il y a de pire, de sorte que le mariage n'est bon que parce que brûler est quelque chose de pire. Or, le bien, c'est ce qui continue à mériter ce nom, sans qu'il soit, besoin de le comparer, je ne dis point à un mal, mais à tout autre bien, tellement que, comparé à un autre bien, ou éclipsé par lui, il n'en demeure pas moins ce qu'il est. D'ailleurs, si une chose n'est déclarée bonne que par comparaison avec un mal, je la tiens moins pour une chose bonne que pour un mal inférieur qui, obscurci par quelque mal plus grand, est décoré du nom de bien. Enfin, supprime le terme de la comparaison, et ne dis plus: «Il vaut mieux se marier que de brûler,» je te le demande, pourras-tu dire encore: «Il vaut mieux se marier,» sans ajouter quel est ce quelque chose de meilleur? Tu ne peux donc appeler bon conséquemment ce que tu ne peux appeler meilleur, parce que tu as écarté un terme de la comparaison, laquelle, en déclarant le mariage meilleur, le fait passer ainsi pour un bien: «Il vaut mieux se marier que de brûler.» Cette parole doit être prise dans ce sens: Il vaut mieux être privé d'un œil que d'en perdre deux. Supprime la comparaison. Tu ne pourras dire: Il est meilleur d'avoir un seul œil, parce que tu ne peux pas dire: Cela est bon. Qu'on ne cherche donc pas à s'autoriser de ce chapitre qui d'ailleurs ne regarde que les personnes veuves ou non encore engagées dans le mariage, quoique celles-ci doivent bien comprendre la nature de la permission qui leur est donnée, ainsi que je le leur montrerai.

IV. Au reste, nous savons que l'Apôtre a dit du second mariage: «N'avez-vous plus de femme, ne cherchez point à vous remarier. Si néanmoins vous épousez une seconde femme, vous ne péchez point.» Mais dans ce passage, il parle encore de sa propre autorité, et non d'après l'autorité de Dieu. Car il y a une grande différence entre le précepte de Dieu et la recommandation de l'homme. «Je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, dit-il; mais voici le conseil que je donne, comme ayant reçu du Seigneur la grâce d'être son fidèle ministre.» D'ailleurs on ne trouve ni dans l'Evangile, ni dans les Epîtres de Paul lui-même, le précepte d'abandonner sa femme. Il faut en conclure qu'on doit se borner à un seul mariage, parce que ce qui n'a jamais été permis par le Seigneur est imputé à faute.

Ajoute encore qu'après ce conseil donné par l'homme, l'Apôtre, comme par une sorte de repentir de son irréflexion, se reprend aussitôt et dit: «Mais ces personnes-là souffriront dans leur chair des tribulations et des peines.» Tout en leur pardonnant, il leur rappelle que «le temps est court, et que ceux mêmes qui ont des femmes doivent être comme s'ils n'en avaient pas.» Enfin il oppose entre elles les sollicitudes de ceux qui sont mariés et celles de ceux qui ne le sont pas. En expliquant pourquoi il est avantageux de ne pas se marier, il dissuade de ce qu'il avait permis plus haut par condescendance. S'il l'applique au premier mariage, à plus forte raison au second. Lorsqu'il nous exhorte encore à suivre son exemple, nous montrer ce qu'il veut que nous soyons, c'est-à-dire continents, c'est nous déclarer également ce qu'il ne veut pas que nous soyons, c'est-à-dire incontinents. Par conséquent, lorsqu'il veut lui-même autre chose, il ne permet ni librement, ni selon la vérité, ce qu'il ne veut pas. S'il le voulait, il ne le permettrait pas, il le commanderait. Mais voici qu'il dit ailleurs: «La femme dont le mari n'est plus peut se remarier à qui elle voudra, pourvu que ce soit selon le Seigneur;» puis il ajoute aussitôt: «Toutefois, elle sera plus heureuse si elle demeure veuve; et c'est ce que je lui conseille. Or, je crois que j'ai aussi l'Esprit de Dieu.»

Nous trouvons ici deux avis différents. Par l'un, il permet de se remarier; par l'autre, il ordonne de s'abstenir. Lequel des deux faut-il croire? diras-tu. Regarde et lis. Quand il permet, il n'émet l'avis que d'un homme prudent. Recommande-t-il de s'abstenir? c'est l'avis de l'Esprit saint qu'il invoque. Suis donc l'avertissement qui a pour lui la Divinité. Les fidèles ont en eux l'Esprit de Dieu, j'en conviens, mais tous les fidèles ne sont pas des apôtres. Ainsi lorsqu'après avoir dit qu'il était fidèle, Paul ajoute: «J'ai aussi l'Esprit de Dieu,» chose dont personne ne doutait, puisqu'il était fidèle, il n'a tenu ce langage que pour reprendre sa dignité d'apôtre. Les apôtres, en effet, possèdent plus particulièrement l'Esprit saint, qui se manifeste en eux par les œuvres de la prophétie, l'efficacité des vertus, et la connaissance des langues, tandis que les autres fidèles ne l'ont que dans un degré inférieur. Il n'a donc fait intervenir l'autorité de l'Esprit saint que dans l'espèce où il préfère nous voir entrer. Dès-lors, à cause de la majesté de l'Esprit saint, ce n'est plus un conseil, mais un précepte.

V. Quant au principe qui ne veut qu'un seul mariage, l'origine elle-même du genre humain le sanctionne, en attestant ce que Dieu a établi dès le commencement pour servir de règle à tous ceux qui viendraient après. En effet, après avoir créé l'homme et jugé qu'une compagne lui était nécessaire, d'une de ses côtes il forma pour lui une seule femme. Ni l'artisan, ni la matière ne manquaient, puisqu'Adam avait plus d'une côte, et que les mains de Dieu sont infatigables. Toutefois, Dieu ne donna point à Adam plusieurs femmes. Adam, fils de Dieu, et Eve, fille de Dieu, consacrés l'un à l'autre par un mariage unique, ont aussi transmis aux hommes fils de Dieu la loi du mariage, fondée sur l'autorité de la création et la première volonté du Très-Haut. Enfin, «Ils seront deux dans une» seule chair.» Deux, a-t-il dit, et non pas trois ou quatre. Autrement, il n'y aura plus une seule chair, ni deux dans une même chair. Mais comment cela s'accomplira-t-il? Si les deux époux ne se confondent qu'une seule fois dans une même unité. Que cette union se renouvelle deux ou trois fois, la chair cessera d'être une: dès-lors, deux ne seront, plus dans une seule chair, mais une seule côte appartiendra à plusieurs.

Autre considération. Lorsque l'Apôtre applique «au Christ et à l'Eglise» ces paroles: «Et ils seront deux dans une seule chair,» d'après ces fiançailles spirituelles de Jésus-Christ et de l'Eglise (car le Christ est un comme son Eglise est une), nous devons reconnaître qu'une double loi, l'origine du genre humain et le sacrement du Christ, limite les mariages à un seul. La monogamie a inauguré notre naissance charnelle dans Adam, notre naissance spirituelle dans le Christ. Nés deux fois, nous trouvons de part et d'autre un mariage unique. Sortir de la monogamie, c'est dégénérer des deux côtés. Les mariages répétés commencèrent par le premier homme maudit. Ce fut Lamech qui, en épousant deux femmes, établit trois êtres dans une même chair.

VI. Mais les bienheureux patriarches, répliques-tu, non-seulement s'unirent à plusieurs femmes, mais encore à des concubines. ---- Nous sera-t-il permis, pour cette raison, de nous marier plusieurs fois? Oui, sans doute, si ces mariages sont destinés à figurer les types qui survivent, symboles de quelque mystérieux avenir; ou bien si nous sommes encore sous l'empire de cette parole: «Croissez et multipliez,» c'est-à-dire si une nouvelle révélation ne nous a pas dit: «Le temps est court: ainsi il faut que même ceux qui ont des femmes, soient comme n'en ayant point.» Par conséquent, en prescrivant la continence, et en niellant un frein au mariage, pépinière du monde, elle a abrogé la loi qui disait: «Croissez et multipliez.» Si je ne me trompe, les deux paroles et .les deux dispositions émanent d'un seul et même Dieu, qui, voulant répandre dans l'origine la semence du genre, humain, lâcha les rênes à l'avidité des mariages, jusqu'à ce que le monde fût rempli, et qu'il y eût abondante matière pour une nouvelle discipline, mais qui, vers la fin des temps, comprima ce qu'il avait relâché, révoqua ce qu'il avait permis, toujours infiniment sage, soit qu'il encourage au début, soit qu'il restreigne à la fin. Les commencements sont toujours les plus libres. Voilà pourquoi l'on plante une forêt et on la laisse croître, pour l'abattre en son temps. La forêt, ce sera la loi ancienne qui esl coupée par l'Evangile nouveau, dont la hache «va chercher jusqu'à la racine.» De même, «Oeil pour œil, dent |366 pour dent,» a vieilli, aujourd'hui qu'a germé cette maxime: «Tu ne rendras pas le mal pour le mal.» Il en est ainsi, ce me semble, des législations humaines: les décrets postérieurs abolissent les décrets antérieurs.

VII. Mais pourquoi ne reconnaîtrions-nous pas plutôt dans les exemples primitifs les règlements qui s'accordent avec les nôtres, et dont la forme antique a trouvé sa place dans la nouveauté présente? Voilà que je vois dans la loi ancienne une restriction apportée à la fréquence des mariages. Il est dit sagement au Lévitique: «Mes prêtres ne se marient point à plusieurs.» Qu'est-ce que plusieurs, suis-je en droit de dire, sinon ce qui n'est pas une seule fois? Ce qui n'est pas l'unité, c'est le nombre. Enfin après l'unité commence le nombre: or l'unité est tout ce qui n'est qu'une fois. Mais il était encore réservé au Christ de compléter la loi sur ce point comme sur les autres. De là vient que chez nous, à ceux qui sont choisis pour entrer dans les rangs du sacerdoce, il est plus clairement et plus formellement prescrit de n'épouser qu'une: femme. Cela est si vrai, que plusieurs à ma connaissance ont été rejetés du sacerdoce pour avoir été mariés plus d'une fois.

Mais, me diras-tu, les autres peuvent donc se marier, puisque l'exception ne les atteint pas?

Quelle serait notre extravagance, si nous nous imaginions qu'il est permis aux laïques de faire ce qui est défendu aux prêtres? Les laïques ne sont-ils pas tous prêtres? Il est écrit: «Il nous a faits rois et prêtres de Dieu et de son Père.» C'est l'autorité de l'Eglise qui a établi une distinction entre l'Ordre sacerdotal et le peuple; elle qui lui assigne un rang et des honneurs particuliers: mais toi, là où l'Ordre ecclésiastique n'a pas son siège distinctif, tu offres le sacrifice, tu baptises, tu es prêtre, ne fut-ce que pour toi seul. Je dis plus. Là où trois fidèles sont rassemblés, quoique laïques, il y a une Eglise. Chacun en effet vit de sa foi, parce que «Dieu ne fait point |367 acception des personnes, et que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justifiés, mais ceux qui la pratiquent,» suivant la déclaration de l'Apôtre. Si donc tu possèdes en toi-même le droit du sacerdoce que tu peux exercer au besoin, tu dois t'assujettir aussi à la loi du sacerdoce partout où besoin est d'exercer le droit du sacerdoce. Tu oses offrir le sacrifice et baptiser, après avoir épousé deux femmes? Ne sera-ce pas un crime beaucoup plus grand dans un laïque qui a épousé deux femmes de remplir ainsi des fonctions sacerdotales, quand le prêtre qui a été deux fois marié est dépouillé du sacerdoce?

Mais, diras-tu, la nécessité porte avec soi son excuse.

Il n'y a pas d'excuse pour la nécessité qui peut ne pas être. N'épouse pas deux femmes, et tu ne t'exposes pas à la nécessité d'administrer ce qui n'est pas permis à l'homme marié deux fois. Dieu veut que nous soyons disposés de manière à pouvoir en tout temps approcher de ses sacrements. «Il n'y a qu'un Dieu, qu'une foi,» et qu'une loi conséquemment. Si les laïques, du milieu desquels on choisit les prêtres, n'observent pas les conditions aux-quelles est soumis le sacerdoce, comment pourra-t-on choisir des prêtres parmi les laïques! Nous devons donc prévenir le laïque et empêcher qu'il ne se marie deux fois, puisque l'on ne peut élever un laïque au sacerdoce que dans le cas où il n'a pas contracté deux mariages.

VIII. Eh bien! que l'on se marie deux fois, si tout ce qui est permis est bon. Le même Apôtre s'écrie: «Tout. est permis, mais tout n'est pas expédient.» Je te le demande, ce qui n'est pas utile, peut-on l'appeler bon? Si des choses qui ne profitent pas au salut sont permises, il s'ensuit que des choses qui ne sont pas bonnes sont permises également. Or, que dois-tu préférer de ce qui est bon parce qu'il est permis, ou de ce qui est bon en soi parce qu'il est utile? De la liberté à l'utilité il y a loin, si je ne me trompe. On ne dit pas de ce qui est bon, cela est permis, parce qu'un bien n'attend pas qu'on le permette; |368 il se prend. Qu'est-ce donc que l'on permet? Ce dont la bonté est douteuse, ce qu'on pourrait ne pas permettre sans quelque cause première qui justifie la condescendance. C'est pour prévenir l'incontinence que le second mariage est permis, parce que si le choix de quelque chose qui n'est pas bon n'était pas laissé aux fidèles, il ne resterait plus aucun moyen de discerner où est celui qui obéit à Dieu et celui qui obéit à ses penchants; qui de nous cherche l'utilité ou court après son plaisir. La permission est le plus souvent la pierre de touche de la fidélité, parce que la fidélité à la loi s'éprouve par la tentation, et que la tentation opère par la permission. De là vient «que tout est. permis, mais que tout n'est pas expédient,» puisque celui qui est libre est tenté, et que son jugement se prononce; pendant qu'il est tenté. Les Apôtres avaient aussi la permission de se marier et de conduire avec eux leurs épouses; il leur était permis encore de vivre de l'Evangile: mais celui qui ne voulut pas profiter du bénéfice de celle permission nous engage à marcher sur ses traces, en nous apprenant que celle liberté n'est qu'une épreuve dans laquelle la condescendance est tournée au profit de la continence.

IX. Si nous entrons sérieusement dans le sens de ces paroles, il faudra ne voir dans un second mariage qu'une fornication déguisée. En effet, quand il dit: «Les époux sont occupés à chercher les moyens de se plaire mutuellement,» cette remarque ne porte pas sur la pureté des mœurs (car il ne censurerait pas une sollicitude bonne en soi): il désigne seulement les parures, les ornements, les soins donnés à la beauté, et tout ce qui peut irriter la convoitise. Or, le désir de plaire par la beauté et la parure extérieure, est l'essence même de la concupiscence charnelle qui est elle-même cause de la fornication. N'ai-je pas raison d'affirmer que le second mariage est voisin de la fornication, puisque je trouve en lui ce qui constitue la fornication? Le Seigneur lui-même a dit: «Quiconque regarde une femme avec convoitise a commis l'adultère au fond de son cœur.» Or, celui qui la regarde pour l'épouser fait-il moins ou plus? Qu'importé même qu'il l'épouse? L'aurait-il épousée s'il ne l'avait convoitée pour l'épouser et regardée pour la convoiter! A moins peut-être que l'on n'épouse une femme sans l'avoir ni vue ni convoitée.

Sans doute il y a une grande différence qu'un homme, marié ou libre, désire une femme étrangère. Or toute femme, même pour celui qui est libre, est étrangère aussi long-temps qu'elle n'est pas à lui; de sorte qu'elle ne peut être mariée sans avoir été adultère. Les lois semblent établir une distinction entre le mariage et la fornication, mais elle ne porte que sur la permission donnée ou refusée, et non sur la chose en elle-même. D'ailleurs, quel est le but de l'homme et de la femme, dans le mariage comme dans la fornication? L'union de la chair dont le simple désir a été comparé par le Seigneur à l'adultère lui-même.

Mais, me dira-t-on, vous attaquez jusqu'aux premières noces, jusqu'aux noces uniques!

Oui, je les attaque et avec raison, puisqu'elles ont le même mobile que l'adultère. Voilà pourquoi «il est très-avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme;» pourquoi encore le principal mérite de la virginité, c'est de se tenir éloignée de tout ce qui ressemble à la fornication. Et puisque ces considérations sur les premiers mariages sont déjà si puissantes en faveur de la continence, quelle force n'auront-elles pas pour arrêter les seconds et les troisièmes? Dieu t'a permis de te marier une fois; témoigne-lui-en ta reconnaissance. Tu lui témoigneras la reconnaissance, si tu oublies qu'il te l'a permis une seconde fois. D'ailleurs c'est abuser de la condescendance que d'en user sans modération. Modération vient de modus, qui signifie mesure. Ne te suffit-il pas d'être descendu du faîte d'une virginité sans tache pour tomber au second rang de la chasteté? Faut-il encore que tu |370 t'abaisses au troisième, au quatrième degré, et peut-être davantage, parce que tu n'as pas su t'arrêter dans le second? Car celui qui a réprouvé les secondes noces, n'a pas jugé à propos d'en défendre un nombre illimité. Marions-nous donc tous les jours, jusqu'à ce que nous soyons surpris, comme Sodome et Gomorrhe, par ce dernier jour, jour redoutable où s'accomplira cet anathème: «Malheur aux femmes enceintes,» c'est-à-dire, malheur aux maris et aux incontinents; car la grossesse, l'allaitement et les enfants sont les fruits du mariage.

X. Et quand cesseras-tu de le marier? Quand tu auras cessé de vivre, apparemment? Renonçons aux œuvres charnelles pour porter enfin des œuvres spirituelles. Saisis l'occasion, que tu n'as pas désirée peut-être, mais enfin qui arrive fort à propos, d'être libre de toute obligation terrestre. Tu as cessé d'être débiteur. O combien tu es heureux! Tu as congédié ton débiteur; supporte ta perte; à plus forte raison si ce que j'appelle la perte est un gain pour toi. Par la continence, tu es à même Je grossir maintenant le trésor de la sainteté: en restreignant la chair, tu acquerras l'esprit. Descendons au fond de notre conscience. N'est-il pas vrai que l'époux, séparé de sa femme par la mort, se sent un homme nouveau? Il se rapproché de la nature spirituelle. Adresse-t-il sa prière au Seigneur? il est plus près du ciel. Médite-t-il les Ecritures? il est tout entier à ses réflexions. Chante-t-il un psaume? il est inondé de bonheur. Chasse-t-il le démon? il a confiance en lui-même. Voilà pourquoi l'Apôtre nous recommande les ablutions temporaires, comme donnant plus de mérite à la prière, voulant nous apprendre par là qu'il faut toujours pratiquer ce qui sert dans un temps, afin que cela nous serve toujours. Chaque jour, à tout moment, la prière est nécessaire à l'homme, par conséquent aussi la continence, après laquelle l'oraison est nécessaire. La prière part de la conscience. Si la conscience a honte d'elle-même, la prière est aussi honteuse et timide. C'est l'esprit qui porte la prière vers Dieu. Si l'esprit se sent coupable au fond de lui-même, pâtre que la conscience rougit, comment osera-t-il la prendre pour la porter au ciel, lui ministre saint que couvre de honte la rougeur de la conscience? Cet oracle de l'ancien Testament n'est-il pas prophétique: «Vous serez saints, parce que Dieu est saint?» Et ailleurs: «Avec l'homme saint, tu seras sanctifié; avec le juste, tu seras justifié; avec l'élu, tu seras élu.» Nous devons donc marcher dans la loi du Seigneur, comme il est digne de lui, et non suivant les ardentes convoitises de la chair. Cela est d'accord avec lus paroles de l'Apôtre: «La Sagesse, selon la chair, c'est la mort; mais la Sagesse, selon l'esprit, c'est la vie éternelle en notre Seigneur Jésus-Christ.» Si donc la chair, même dans un premier mariage, peut ainsi éloigner l'Esprit saint, à plus forte raison dans un second mariage!

XI. Là, en effet, il y a une double honte, parce que, dans un second mariage, deux épouses assiègent un même époux, l'une dans son souvenir, l'autre dans sa chair. Tu ne pourras haïr la première compagne, puisque lui gardant une affection plus sainte, comme à celle qui est déjà reçue dans le sein du Seigneur, tu pries pour sa mémoire et tu offres pour elle des prières annuelles. Te présenteras-tu donc devant le Seigneur avec autant de femmes que tu en recommandes dans les prières? Offriras-tu le saint sacrifice pour deux femmes? Et cela par les mains d'un prêtre qui doit son ordination à sa monogamie, ou même qui a été sanctifié par sa virginité, et qu'entourent des vierges, ou des femmes qui n'ont été mariées qu'une fois? Ton sacrifice montera-t-il vers Dieu librement? Oseras-tu, entre autres faveurs et bonnes dispositions, demander la chasteté pour loi et pour ton épouse?

XII. Je sais de quels prétextes nous colorons l'insatiable convoitise de la chair. La nécessité d'une assistance, une maison à gouverner, des serviteurs à conduire, des magasins et des clefs à garder, des ouvrages de laine à distribuer, des dépenses auxquelles il faut veiller; voilà ce que nous alléguons. En effet, il n'y a de bien administrées que les maisons des hommes mariés! Tout va mal chez les celibataires; les biens des eunuques périssent; la fortune des soldats est dilapidée; les voyageurs sans épouses sont ruinés! Oublions-nous donc que nous sommes aussi soldats, soldats soumis à une discipline d'autant plus sévère que notre maître est plus grand? Ne sommes-nous pas des voyageurs dans ce monde? Pourquoi donc cette disposition, ô Chrétien! que tu ne puisses vivre sans épouse?

Il me faut, dis-tu, une compagne pour partager les soins domestiques?

Eh bien! choisis quelque épouse purement spirituelle; choisis quelque veuve belle de sa foi, riche de sa pauvreté, vénérable par son âge. Tu auras fait un bon mariage. Plus tu auras de pareilles épouses, plus tu seras agréable à Dieu. Mais non; des Chrétiens pour lesquels il n'y a pas de lendemain désirent une postérité. Le serviteur de Dieu soupirera-t-il après des héritiers, lorsque lui-même s'est déshérité du monde? Cherchera-t-il un second mariage, par la raison qu'il n'a point eu d'enfants du premier? Mais alors, il demandera donc avant tout à vivre long-temps, tandis que l'Apôtre se hâtait de retourner vers le Seigneur? En vérité, n'est-ce pas? le chrétien sera bien plus dégagé de toute entrave dans la persécution, bien plus héroïque dans le martyre, bien plus prompt à répondre dans les interrogatoires, bien plus modéré dans ses acquisitions; enfin il mourra bien plus tranquillement s'il vient à laisser des enfants qui lui rendent les derniers devoirs! Ne semble-t-il pas que les Chrétiens agissent ainsi dans l'intérêt de la république, de peur que les cités ne se dépeuplent s'ils ne veillent à la propagation de l'espèce humaine; de peur que les lois, le barreau et le commerce ne languissent; de peur que les temples ne soient abandonnés; de peur qu'il ne reste plus personne pour crier: LES CHRÉTIENS AUX LIONS!

https://www.tertullian.org/french/g3_14_de_exhortatione_castitatis.htm

Du voile des vierges

XV. Mais que dis-je? La virginité quand elle est véri table, pure, entière, ne redoute rien plus qu'elle-même. Elle ne veut pas même endurer le regard des femmes, car ses regards à elle sont bien différents. Elle a recours au voile comme à un casque, comme à un bouclier, afin qu'il l'aide à protéger son trésor contre les attaques de la tentation, contre les traits du scandale, contre les soupçons, contre les secrètes médisances, contre la jalousie, contre l'envie elle-même. Il est chez les païens une opération formidable, la fascination (2), qui tue par la louange et par la vaine gloire. Nous l'attribuons quelquefois au démon, parce que la haine du bien est son domaine; quelquefois aussi nous l'attribuons à Dieu, parce que c'est Dieu qui juge l'orgueil, « en élevant le cœur humble et en abaissant le superbe. » La vierge pure craindra donc, ne fût-ce qu'à titre de fascination, d'un côté l'ennemi, de l'autre Dieu; d'un côté la malice qui porte envie, de l'autre la lumière du juge: elle se réjouira de n'être connue que d'elle seule et de Dieu. Tant qu'elle ne sera connue que de lui, elle aura sagement fermé la porte à toutes les tentations. Qui osera, en effet, fatiguer de ses regards un visage caché, un visage insensible, un visage enfin qui, pour ainsi parler, n'a rien que de triste. Toutes les mauvaises pensées viendront se briser contre cette sainte sévérité. Enfin, c'est s'élever au-dessus de son sexe que d'être vierge en cachant sa virginité.

https://www.tertullian.org/french/g3_09_de_virginibus_velandis.htm

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