Les réflexions ci-dessous ci-dessous sont en partie extraites du livre La bonne nouvelle de la sexualité, dont le plan est présenté sur ce lien.

Les quatre saisons de l’amour

    D’une manière générale, les couples conjuguent leur vie commune avec quatre grands temps :
  • la recherche et la conquête de l’âme sœur, avec cette question "est-ce le (la) bon(ne) ?" ;
  • la fusion où l’amant(e) se présente sous les apparences du plus-que-parfait ;
  • la désillusion où l’autre prend la forme de l’imparfait ;
  • l’engagement où le partenaire se décline au presque parfait.

Est-ce le (la) bon(ne) ?

L’attirance initiale se déclare en de multiples formes, pauvres ou riches en mots, brèves ou interminables, fébriles ou passionnelles. Un regard, un geste ou une parole suffisent parfois pour que l’élan amoureux se déclenche. En d’autres circonstances, une stratégie de conquête se planifie pour faire entendre son désir. Chaque couple se forge son histoire.

Celui qui attend une réponse indiscutable et irréfutable à la question ci-dessus sera déçu, car la vie conjugale n’appartient pas au domaine des sciences exactes et des démonstrations mathématiques. Le doute subsiste, quels que soient les signes offerts d’un amour inconditionnel. Le partenaire choisi demeure à jamais à (re) conquérir. Le « oui » originel est à répéter quotidiennement dans la joie comme dans les épreuves.

Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Ces questions ne trouvent jamais de réponses définitives, car l’alchimie de l’attirance mutuelle garde sa part de mystère. Nous pouvons reprendre cette question des filles de Jérusalem adressée à l’amante du Cantique des cantiques :

Qu’a donc ton bien-aimé de plus que les autres ? (Ct 5,9).

Sans doute n’a-t-il rien de plus que les autres, mais il est unique. La complicité amoureuse mûrit au gré des rencontres sans véritable raison. Les atomes crochus soudent les deux partenaires parfois très différents quant à leurs tempéraments et leurs centres d’intérêt. Une alchimie s’opère plus ou moins consciemment, avec un cocktail de phéromones, d’odeurs et de messages.

L’homme et la femme finissent par se choisir sans vraiment se connaître. Si certaines affinités permettent de dire « c’est lui (elle) et non pas un(e) autre », l’élection laisse planer un infime doute qui rend l’aventure d’autant plus excitante. N’est-ce pas le propre de toute foi que d’être habitée par le doute ? Choisir l’autre, c’est toujours parier sur l’avenir incertain et prometteur. Toute rencontre comporte une part d’imprévu et de mystère. Pour quelles raisons sommes-nous attirés comme un aimant par telle personne plutôt que par une autre au point de ne plus maîtriser nos sentiments et nos désirs ? La magie de l’attirance opère à l’insu de tout raisonnement.

    Alors, sur quels critères choisir son/sa partenaire pour être sûr de faire le bon choix ? Il n’y a pas un chemin unique, simplement des pistes.
  • L’attirance physique qui suscite le désir de l’autre.
  • Des valeurs communes qui forgent la complicité.
    • Vouloir le bien de l’autre.
    • La famille.
    • La fidélité.
    • L’honnêteté.
    • Les convictions spirituelles.
    • Les tendances politiques.
    • Les préoccupations sociales et écologiques.
  • Des projets pour construire une œuvre commune.
    • Le mariage, le PACS ou l’union libre.
    • Les enfants et leur éducation.
    • Une entreprise.
  • Des centres d’intérêt qui permettent de partager du temps ensemble.
    • Le type de vacances.
    • Les loisirs.
    • Les passions.
  • Le partage des tâches pour organiser le quotidien.
  • Le cadre de vie pour se sentir bien chez soi.
    • Campagne ou ville.
    • Maison ou appartement.
  • La sexualité.
  • L’acceptation des limites et des échecs.

Mais il faut garder en mémoire que, même si le/la partenaire coche toutes les cases, seule la volonté de durer permet à un couple de traverser les âges.

Après le choix, le couple passe peu ou prou par un temps de fusion.

La fusion

De nombreux couples commencent leur vie à deux par une période de fusion durant laquelle l’homme et la femme ne peuvent plus se séparer sans ressentir une vive blessure. Ils s’attendent et se retrouvent avec des papillons dans le ventre et une pulsation cardiaque élevée. L’homme accepte de passer des heures dans les magasins de mode et la femme s’intéresse soudainement à la coupe du monde de foot, à moins que ce ne soit le contraire. L’attention ne se porte pas sur l’activité de son partenaire, mais sur le plaisir d’être ensemble dans tous les instants de la vie. Les deux protagonistes mangent dans la même assiette et partagent parfois la même brosse à dents. Éros enflamme leur corps dans une quête où règne le plaisir des sens.

Le temps de la découverte passe par un effeuillement raisonné ou empressé. Quelle joie de découvrir le corps de l’autre ! La nouveauté subjugue les partenaires et les plonge dans l’émerveillement réciproque. Comme une montagne avec ses vallées profondes, ses cols et ses pics inaccessibles, le corps se laisse progressivement apprivoiser. Les mains vagabondent dans les méandres des vêtements pour y chercher un trésor encore inexploré. La tête n’est plus vraiment sur les épaules et le temps semble s’arrêter sur ce paradis retrouvé.

La découverte du sexe opposé ouvre la porte d’une aventure passionnelle et mystérieuse. Les revues, les films et internet ont certes fait perdre à cette aventure une part de son mystère, mais ces supports virtuels n’ont pas la force du vécu ni l’enchantement d’un strip-tease réciproque. Chaque centimètre carré de peau se présente comme une terre vierge à conquérir avec ses doigts fébriles et ses lèvres gourmandes. Tout le corps se tend vers un horizon inaccessible et pourtant à portée de main. Cette passion fusionnelle où tout paraît idyllique ne dure que le temps de la fécondation du couple, tout au plus trois ans, disent les spécialistes. Tous les désirs se réalisent dans cette sphère close parce que l’homme et la femme vivent repliés dans leur cocon, aveuglés par la beauté narcissique de leurs envies. Chacun cherche à plaire et à séduire, à aimer et à être aimé.

Le partenaire ne présente aucun défaut, par manque de recul et d’objectivité. Comment voir le bouton sur le nez si les deux bouches sont collées l’une à l’autre ? Chacun contemple son partenaire comme un(e) miss univers capable de combler à lui tout seul tous les manques de l’existence. Sa simple présence suffit, ses mots rassurent, ses baisers emportent vers la félicité. L’homme et la femme se satisfont du plaisir du corps à corps sans forcément envisager une relation dans la durée. Cette période de fusion embaume le temps et l’espace avec les parfums du paradis retrouvé. Tout est entrepris pour le plaisir de l’autre tout en prenant son propre plaisir. Les heures se passent au lit dans un désir de ne faire qu’un. Oscar Wilde souligne fort justement :

Le couple, c’est de ne faire qu’un. Oui, mais lequel ?

Cet humour résume les enjeux et les limites d’une unité fusionnelle. Certes, l’homme et la femme préservent leur différence, mais la grâce de la passion les rend méconnaissables. Ils se donnent et se prennent dans un tourbillon qui semble ne plus devoir s’arrêter. Ils sont seuls au monde, à deux sur une île déserte, sans même se rendre compte que la terre continue de tourner et qu’il pleut à verse sur leurs pieds. Tout n’est pas encore totalement découvert, mais la consommation finit peu à peu par vider le vase de son élixir aphrodisiaque. La fusion ne dure que le temps du rêve et la réalité finit par rattraper les amants. Un automne embrumé survient sans crier gare. Leurs yeux s’ouvrent ; la réalité les expulse de leur paradis.

La désillusion

L’autre n’est pas un dieu ou une déesse ; l’évidence finit par l’emporter un jour ou l’autre. Celui ou celle qui hier encore attirait et procurait les émois les plus sincères et les plus exaltants ne parle plus. Tout a déjà été vu ou fait sous toutes les coutures et dans toutes les positions du Kâma-Sûtra. Ces seins, ces fesses, ce sexe ressemblent finalement à une anatomie normale, voire banale, de toutes les femmes et de tous les hommes du monde.

Les yeux s’ouvrent et chacun s’aperçoit que l’autre ne partage pas les mêmes horizons ou ne regarde pas dans la même direction. Le désenchantement finit par s’installer dans tous les compartiments de l’existence. Il s’immisce même dans le lit, entre les deux amants pour former un ménage fort ennuyeux. Les partenaires préfèrent désormais se vautrer seuls devant un écran avec une tablette de chocolat plutôt que de roucouler dans une douce béatitude.

La grande désillusion dégénère parfois en grande lessive, voire en grande vadrouille. Le sac se vide en jetant ses regrets à la figure de son (sa) partenaire. L’homme reproche à la femme de ne plus le satisfaire sexuellement et la femme demande à l’homme de lui manifester un peu plus d’attention. Le partenaire perd son pouvoir euphorisant et magique qui permettait aux tourtereaux de vivre sur un nuage. À la passion amoureuse du début se substituent de cruelles déconvenues, parce que l’autre tombe le masque pour laisser apparaître bien des imperfections.

Quels amoureux n’ont pas fait cette expérience d’un tout petit défaut, presque perçu comme une qualité au début de l’aventure amoureuse et qui, au fil du temps, devient gênant et finalement exacerbant ? Le charmant petit bouton sur le visage finit par se transformer en grosse verrue hideuse ; l’organisation rigoureuse devient maniaquerie ; le plaisant fouillis se délabre en insupportable désordre. Parce que les yeux s’ouvrent sur l’autre comme dans le récit de la Genèse où Adam et Ève découvrent leur nudité et leur fragilité après avoir mangé le fruit défendu. Le chemin de joie se transforme en chemin de croix.

Ce temps de la grande désillusion met le couple en face de ses responsabilités. Et maintenant quel avenir pour notre couple ? Rompre et renouveler la même aventure ailleurs avec un risque de désillusion plus grand encore ? Ou alors poursuivre la route en se donnant les moyens d’un renouveau et d’une redécouverte ?

À ce moment, les amants qui sont peut-être déjà devenus mari et femme doivent prendre une des décisions les plus importantes de leur existence : tout arrêter ou continuer pour la vie. Un choix difficile, car la culture environnante n’offre guère de points de repère.

Une situation stable va à l’encontre du zapping où chacun recherche la voie la plus excitante. La jouissance immédiate enivre plus que la construction d’un projet à long terme dans l’effort. Brigitte Bardot en témoigne :

J’aime les relations intenses, fulgurantes. Il faut que ça brûle. L’amour doit être passionné, mais l’amour-passion ne dure jamais. C’est pour cela que j’ai une vie remplie d’expériences amoureuses… À chaque fois que l’amour ne ressemblait plus à de la passion, je m’angoissais et je recherchais une passion ailleurs .

Le choix de cette star s’oppose à un engagement pour la vie. Le changement de partenaire tous les trois ans provoque sans doute plus de frissons et d’excitation, mais la perpétuelle nouveauté demeure incompatible avec un projet de vie. D’un côté des passions enivrantes, de l’autre, une famille à construire dans la durée. En somme, quel sens donner à sa vie ?

L’engagement

Le prince charmant ou l’épouse idéale n’existent que dans les contes de fées. Si certains critères permettent de se lancer dans l’aventure conjugale, l’engagement ressort principalement d’un acte de volonté. Ainsi, après avoir traversé l’épreuve de la désillusion, le couple s’invente un modus vivendi avec un partage des pouvoirs au sein du foyer, afin de bâtir une demeure conjugale durable. À chacun son rôle d’homme et de femme dans une complicité et une communion qui assureront la pérennité de leur histoire.

Prenons l’exemple de la musique pour comprendre comment un homme et une femme accordent leurs violons. Dans la fusion, l’homme et la femme jouent sur le même instrument, peu importe la beauté et la justesse, seul compte le rythme passionné. Les fausses notes n’existent guère ou tout au moins ne s’entendent pas. Le « je t’aime » résonne comme une envie de dévorer l’autre. Dans la désillusion ne retentissent que les fausses notes, surtout celles de l’autre. Impossible de les écouter ! Le « je t’aime » se transforme parfois en « je te déteste ». Dans l’engagement, chacun décide de choisir un instrument, de le travailler à certaines heures en solitaire et de se retrouver pour le concert. Certaines fausses notes résonnent encore et les partenaires devront refaire leurs gammes à de multiples reprises, mais c’est le prix à payer pour écrire une symphonie, afin que les amants puissent vibrer et chanter dans la communion des vies.

Tout comme la musique, la vie de couple s’apprend. Et c’est à force de refaire ses gammes que les deux partenaires finissent par jouer sur la même fréquence et au même rythme. Même la sexualité s’apprend. Recevoir et procurer du plaisir à l’autre demande un temps d’apprivoisement réciproque pour connaître et reconnaître les désirs de son partenaire. L’union en appelle à un dépassement du simple instinct sexuel sur un chemin d’humanisation.

Comme nous le verrons, le couple s’engage à aimer. Cet engagement est une promesse pour chaque matin, chaque jour, chaque nuit. Le couple se construit un avenir tout en sachant que l’autre ne pourra jamais donner plus que ce qu’il n’est, à savoir un homme et une femme avec ses talents et ses limites.