Le mariage signe du don du Christ pour l’Église


Comme nous l’avons vu dans l’Ancien Testament, Dieu prend la figure de l’époux. Jésus vient accomplir cette image nuptiale avec un relief particulier pour nous faire entrer dans le mystère de l’Église. Jean le Baptiste annonce : « qui a l’épouse est l’époux » (Jn 3,29). Le Christ nous parle du royaume des cieux en le comparant à un banquet de noces (Mt 22,1-14) ou à ces vierges qui attendent l’époux (Mt 25,1). Cette alliance entre Dieu et l’humanité s’accomplit dans le don du Christ pour son Église (Ep 5,21-33).

21 Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ.
22 Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur :
23 en effet, le mari est chef de sa femme, comme le Christ est chef de l’Église, lui le sauveur du Corps ;
24 or l’Église se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs maris.
25 Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle,
26 afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ;
27 car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée.
28 De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même.
29 Car nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Église
30 ne sommes-nous pas les membres de son Corps ?
31 Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair
32 ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église.
33 Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari.

L’union du Christ avec l’Église est un mystère, comme le souligne Paul dans son épître aux Éphésiens (5, 32). L’homme et la femme révèlent et opèrent ce mystère dans leur don réciproque.

A - Le mystère (Éphésiens 5, 32)

Après avoir rappelé le passage de la Genèse dans lequel il est dit que l’homme et la femme ne formeront qu’une seule chair (Gn 2,24), Paul s’exprime en ces termes : « Ce mystère est grand : je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église (Ep 5, 32). » Étymologiquement, le mot grec mystèrion est une chose cachée et secrète. Elle concerne le dessein de salut que Dieu entreprend pour l’homme et qui fait l’objet de la révélation. Chez Paul, le mot mystèrion est toujours lié à l’acte d’une révélation reçue. Le mystère d’Éphésien 5, 32, s’applique au Christ et à l’Église. Ainsi, Ch. Masson affirme que

le grand mystère concerne l’unité du Christ et de l’Église définie par les termes mêmes par lesquels l’unité du couple est décrite en Gn 2,24 (Ch. MASSON, L’épître de saint Paul aux Éphésiens, Delachaux & Niestlé, 1953, p. 215).

Dans une telle perspective, le mystère est que le Christ et l’Église soient un à l’image de l’époux et de l’épouse, et que le Christ puisse reconnaître en l’Église sa propre chair. M. Boutier rejoint cette analyse en y apportant quelques précisions. Il dit que

le mystère ne se rapporte pas au mariage comme tel, ni même à l’économie de salut, mais touche la révélation introduite sur la portée de l’acte créateur selon Gn 2,24... En dévoilant la valeur de Gn 2,24 comme la parole qui scelle l’union du Christ et de l’Église en une seule chair, l’auteur s’engage sur la voie de l’allégorie (c’est-à-dire que, sous couvert de parler de l’homme et de la femme, la genèse parle en réalité, du secret qui unit le Christ et l’Église (M. BOUTTIER, L’épître de saint Paul aux Éphésiens, Labor et Fides, 1991, p. 248).

Le mystère exprime l’unité du Christ avec l’Église, en tant qu’ils réalisent un corps mystique.

L’ensemble du passage (5, 21-33) est une suite de métaphores à travers lesquelles Paul exhorte à vivre des relations nouvelles, selon le modèle du Christ et de l’Église. Les Pères de l’Église reprennent ces métaphores et notamment le verset 5,32, en envisageant le mariage comme le signe de l’union du Christ et de l’Église. Le verset 32 prend donc le sens suivant : l’union de l’homme et de la femme dans le mariage, tel que Dieu l’a instituée dès la création, constitue un symbole très important ; cette union est en effet le signe figuratif de l’union du Christ et de l’Église. Le mariage est le symbole de tout le mystère de l’alliance qui se trame depuis la création. Telle est l’interprétation que retient la tradition. Et au fil des siècles, le passage de l’épître aux Éphésiens est invoqué pour justifier le caractère sacramentel du mariage chrétien.

B - Du mystère à la relation homme-femme

Les métaphores utilisées par Paul fonctionnent dans les deux sens. La relation homme-femme permet de se faire une idée de l’union du Christ et de l’Église ; inversement, l’union de l’homme et de la femme est appelée à être vécue sur le modèle de l’amour du Christ se livrant pour l’Église. Le passage de l’épître aux Éphésiens 5, 25s est à cet égard particulièrement évocatrice : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle. » Ainsi, aimer ne signifie pas uniquement donner, mais se donner. C’est le corps dans ses dimensions charnelles et spirituelles qui s’offre à l’autre et non pas un des aspects de son corps. C’est dans cette perspective que Paul s’oppose à la prostitution (1Co 6,12-20). L’acte sexuel unit deux personnes en une seule chair.

« Poser cet acte avec une prostituée, c’est porter atteinte à l’unité d’esprit que l’on constitue avec le Christ (E. SCHILLEBEECKS, Le mariage, Cerf, 1966, p. 199). »

La parole « je me donne à toi » prend ici une dimension nouvelle. Elle symbolise dans sa réalisation effective la communion entre le Christ et l’Église. Elle n’est pas seulement un signe qui renverrait à une réalité mystique. Elle la contient et la rayonne.

L’union du Christ avec l’Église est l’archétype de la relation conjugale. Le sacrement de mariage commémore cette union. Il en est l’épiphanie. Les actes et les paroles de l’homme et de la femme réitèrent symboliquement le don total du Christ pour son Église. L’homme et la femme révèlent ce mystère à travers leur engagement et leur don total. Ainsi, c’est en vivant l’expérience de l’amour que les époux se révèlent l’un à l’autre l’amour du Christ pour son Église.

« Le mari qui aime sa femme et la femme son mari se révèlent l’un à l’autre l’amour sponsal du Christ pour l’Église, un amour prévenant, intime, impliquant l’être tout entier (R. DIDIER, Sacrement de mariage, baptême et foi, La Maison-Dieu, 127, 1976, p. 134). »

Le texte d’Éphésiens 5, 21-33 dépasse le simple cadre des exhortations morales. Les thèmes abordés par Paul (Église, mystère, purification) justifient l’importance accordée à ce passage au regard d’une théologie du mariage, même s’il n’est pas possible d’en déduire une sacramentalité. Les relations hommes-femmes éclairent le mystère du Christ et de l’Église et ce mystère donne à son tour une orientation aux relations hommes-femmes. Paul invite les femmes à être soumises à leur mari (v. 22). La femme est soumise à la parole de l’homme. Mais l’homme offre son corps à la femme comme le Christ a donné son corps à l’Église. Le corps de la femme est objet de sanctification. Tout comme le Christ purifie l’Église par l’eau et la parole, l’homme est invité à aimer le corps de la femme sur le même modèle. L’intimité, sans confusion ni séparation entre le Christ et l’Église, est l’archétype de l’intimité conjugale. L’homme est invité à aimer le corps de sa femme comme son propre corps (v. 28). L’amour de l’autre n’est pas pour autant un amour narcissique de soi-même, même si Paul conclut que celui qui aime sa femme s’aime soi-même. Paul exhorte à un amour à l’image de celui qui anime le Christ et de l’Église. Il invite à un nouveau mode de relation bien plus qu’à une hiérarchisation au sein du couple.

Cf. M. MORGEN, Le sacrement du mariage dans la littérature paulinienne, Revue de droit canonique, 42, 1992, p. 183 : « Ce qui est en jeu dans Ep 5, c’est la définition d’une relation et non d’un énoncé concernant la nature de l’homme ou sa supériorité par rapport à la femme. L’auteur de Ep 5 commence par l’énigmatique 'soumettez-vous les uns aux autres' : le verbe hupotassô revêt davantage le sens de l’organisation relationnelle, sans insister d’emblée sur le caractère hiérarchique de supériorité ; mais cette ornière n’est pas facile à éviter. »

Voir l’étude sur la soumission de la femme.

L’homme et la femme sont appelés à vivre le mystère du Christ et de l’Église dans leur corps.

Cf. le commentaire de JEAN-PAUL II, La dimension mystique du langage du corps, Audience générale du 4 juillet 1984, dans L’amour humain dans le plan divin, Cerf, 1985, p. 34 : « L’homme et la femme vont à la rencontre du grand 'mysterium' pour transférer la lumière de ce mystère - lumière de vérité et de beauté, exprimée par la langue liturgique - en langage du corps, c’est-à-dire dans le langage de la praxis de l’amour, de la fidélité, de l’honnêteté et donc, dans l’éthos enraciné dans la rédemption du corps. Sur cette voie la vie conjugale devient, en un certain sens, liturgie. »

Il ne faut cependant pas associer de façon trop rigide l’homme au Christ et la femme à l’Église. Au cœur de la vie conjugale, chacun des époux est appelé à vivre par sa parole et par son corps le don du Christ pour son Église. Et chacun, à tour de rôle, accueille la parole et le corps de l’autre. Si, sur le plan de la fécondité charnelle, c’est bien la femme qui accueille la vie en son sein, sur le plan de la fécondité spirituelle, c’est elle qui bien souvent donne les impulsions. Les deux se rejoignent dans leurs différences sans supériorité de l’un sur l’autre. Chacun se donne à l’autre afin de vivre le sacrement comme un événement pascal.

Extrait de la thèse.

Le mystère des rapports entre le Christ et l’Église révèle en même temps la vérité essentielle sur le mariage. L’analogie utilisée dans l’épître aux Éphésiens, en éclairant le mystère des rapports entre le Christ et l’Église, révèle en même temps la vérité essentielle sur le mariage : c’est-à-dire que le mariage ne correspond à la vocation des chrétiens que lorsqu’il reflète l’amour que Christ-Époux donne à l’Église son Épouse et que l’Église(…) s’efforce de rendre au Christ (Jean-Paul II, Théologie Du Corps 90, cf. lien supra).

1. Dans Ep 5,22-33, nous trouvons - comme chez les prophètes de l’Ancien Testament (par exemple chez Isaïe) - la grande analogie du mariage ou de l’amour sponsal entre le Christ et l’Église. Quelle fonction remplit cette analogie par rapport au mystère révélé dans l’Ancienne et dans la Nouvelle Alliance ? A cette question il importe de répondre graduellement. Avant tout l’analogie de l’amour conjugal ou sponsal aide à pénétrer l’essence même du mystère. Il aide à le comprendre jusqu’à un certain point - de manière analogique, cela s’entend. Il est évident que l’analogie de l’amour terrestre, humain, du mari envers sa femme, de l’amour sponsal humain ne peut offrir une compréhension adéquate et complète de cette réalité absolument transcendante qu’est le mystère divin, qu’il soit caché depuis les siècles en Dieu, ou qu’il soit réalisé historiquement dans le temps quand "le Christ a aimé l’Église et s’est donné pour elle" Ep 5,25. Le mystère ne cesse d’être transcendant à l’égard de cette analogie comme à l’égard de n’importe quelle autre analogie par laquelle nous cherchons à l’exprimer en langage humain. Toutefois, cette analogie offre en même temps la possibilité d’une certaine pénétration cognitive dans l’essence même du mystère.

2. L’analogie de l’amour sponsal nous permet de comprendre d’une certaine manière le mystère qui, depuis des siècles, est caché en Dieu et qui a été réalisé dans le temps par le Christ comme l’amour qui est le propre du don de soi, total et irrévocable, que Dieu a fait à l’homme dans le Christ. Il s’agit de l’homme dans sa dimension personnelle et en même temps communautaire (cette dimension communautaire est exprimée dans le livre d’Isaïe, et chez les prophètes, comme Israël, dans l’épître aux Éphésiens comme Église ; on peut dire : peuple de Dieu de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance). Ajoutons que dans chacune des deux conceptions la dimension communautaire est mise, en un certain sens, au premier plan, mais pas au point de voiler totalement la dimension personnelle qui, d’ailleurs, appartient simplement à l’essence même de l’amour sponsal. Dans les deux cas, il s’agit plutôt d’une significative réduction de la communauté à la personne (*) : l’époux-personne (Yahvé et le Christ) considère respectivement comme épouse-personne Israël et l’Église. Chaque 'je' concret doit se retrouver dans ce 'nous' biblique. Note (*) Il ne s’agit pas seulement de la personnification de la société humaine qui constitue un phénomène assez commun dans la littérature mondiale, mais aussi d’une corporate personality spécifique de la Bible, marquée par un continuel rapport réciproque de l’individu avec le groupe (cf. H. WHEELER ROBINSON, The Hebrew Conception of Corporate Personality, BZAW 66, 1936, p. 49-62; cf. également J.-L. Mc KENSIE, Aspects of Old Testament Thought, dans The Jérôme Biblical Commentary, Londres, 1970, t. 2, p. 748).

3. Ainsi donc l’analogie dont il est question ici permet de comprendre, à un certain degré, le mystère révélé du Dieu vivant qui est Créateur et Rédempteur (et, en tant que tel, il est en même temps le Dieu de l’Alliance) : elle permet de comprendre ce mystère à la manière d’un amour sponsal, de même qu’elle permet de le comprendre également à la manière d’un amour miséricordieux (selon le texte du livre d’Isaïe) ou encore comme un amour paternel (suivant l’épître aux Éphésiens, principalement le chapitre premier). Du reste, ces manières de comprendre le mystère sont, elles aussi, analogiques. L’analogie de l’amour sponsal comprend une caractéristique du mystère qui n’est mise directement en relief ni par l’analogie de l’amour miséricordieux ni par l’analogie de l’amour paternel (ni par n’importe quelle autre analogie tirée de la Bible, à laquelle nous aurions pu nous référer).

4. L’analogie de l’amour des époux (ou amour sponsal) semble mettre surtout en relief le moment du don de soi que Dieu fait à l’homme, choisi depuis des siècles dans le Christ (littéralement : Israël, à l’Église) - don total (ou plutôt radical) et irrévocable dans son caractère essentiel, à savoir comme don. Ce don est certainement radical et donc total. On ne peut parler ici de totalité au sens métaphysique. L’homme n’est pas, en effet, comme créature, capable d’accueillir le don de Dieu dans la plénitude transcendante de sa divinité. Un tel don total (non créé), Dieu lui-même ne le partage que dans la communion trinitaire des personnes. En revanche, le don de soi que Dieu fait à l’homme - dont parle l’analogie de l’amour - ne peut avoir que la seule forme de la participation à la nature divine 2P 1,4 comme la théologie l’a précisé avec la plus grande clarté. Néanmoins, suivant cette mesure, le don que Dieu a fait à l’homme dans le Christ est un don total, à savoir radical, comme l’indique précisément l’analogie de l’amour sponsal : il est, en un certain sens, tout ce que Dieu a pu donner de lui-même à l’homme, si l’on considère les facultés limitées de l’homme- créature. De cette manière, l’analogie de l’amour sponsal indique le caractère radical de la grâce ; de tout l’ordre de la grâce créée.

5. Il semble que l’on puisse dire tout cela en ce qui concerne la première fonction de notre grande analogie qui, des écrits des prophètes de l’Ancien Testament, est passée à l’épître aux Éphésiens où, comme on l’a déjà noté, elle a subi une significative transformation. L’analogie du mariage, comme réalité humaine dans laquelle vient s’incarner l’amour sponsal, aide, jusqu’à un certain point et dans une certaine mesure, à comprendre le mystère de la grâce comme éternelle réalité en Dieu et comme fruit historique de la Rédemption de l’humanité dans le Christ. Toutefois, comme nous l’avons dit précédemment, cette analogie biblique, non seulement explique le mystère, mais, d’autre part, le mystère définit et détermine la manière adéquate de comprendre l’analogie, et précisément cet élément dans lequel les auteurs bibliques voient l’image et la ressemblance du mystère divin. Ainsi donc, la comparaison du mariage (en raison de l’amour sponsal) au rapport Yahvé-Israël dans l’Ancienne Alliance et Christ-Eglise dans la Nouvelle Alliance, décide en même temps de la manière dont il faut comprendre le mariage et détermine cette manière.

6. C’est la deuxième fonction de notre grande analogie. Et, dans la perspective de cette fonction, nous nous rapprochons en fait du problème sacrement et ministère, c’est-à-dire, dans un sens général et fondamental, du problème du caractère sacramentel du mariage. Cela semble tout particulièrement justifié à la lumière de l’analyse de Ep 5,22-33. En effet, en présentant le rapport du Christ avec l’Église à l’image de l’union sponsale du mari et de la femme, l’auteur de l’épître parle de manière plus générale et, en même temps, plus fondamentale, non seulement de la réalisation de l’éternel mystère divin, mais aussi de la manière dont ce mystère s’est exprimé dans l’ordre visible, de la manière dont il est devenu visible et, de ce fait, est entré dans le domaine du signe.

7. Par le terme signe nous entendons ici simplement la visibilité de l’invisible. Le mystère caché en Dieu depuis des siècles - ou invisible - est devenu visible avant tout dans l’événement historique même du Christ. Et le rapport du Christ avec l’Église qui, dans l’épître aux Éphésiens, est défini comme mysterium magnum constitue l’accomplissement et la concrétisation de la visibilité de ce mystère. Du reste, le fait que l’auteur de l’épître aux Éphésiens compare l’indissoluble rapport du Christ avec l’Église au rapport du mari et de la femme, c’est-à-dire au mariage - faisant en même temps référence aux paroles de Gn 2,24 qui, avec l’acte créateur de Dieu, instituent originairement le mariage -, ramène notre réflexion à ce qui a été déjà précédemment présenté (dans le contexte du mystère même de la création) comme visibilité de l’invisible ; il la ramène à l’origine même de l’histoire théologique de l’homme.

On peut dire que le signe visible du mariage dès son commencement, en tant que lié au signe visible du Christ et de l’Église au sommet de l’économie salvifique de Dieu, transpose l’éternel plan d’amour dans la dimension historique et en fait le fondement de tout l’ordre sacramentel. C’est le mérite particulier de l’auteur de l’épître aux Éphésiens d’avoir rapproché ces deux signes, faisant d’eux le grand signe unique - c’est-à-dire un grand sacrement (sacramentum magnum).

(Jean-Paul II, Théologie Du Corps 95, cf. lien supra).

1. Sacramentalité du mariage et mystère de l’Église

La sacramentalité du mariage chrétien apparaît d’autant mieux qu’on ne la sépare pas du mystère de l’Église lui-même. « Signe et moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain », comme dit le dernier Concile (LG 1), l’Église repose sur le rapport indéfectible que le Christ se donne avec elle pour en faire son corps. L’identité de l’Église ne dépend donc pas des seuls pouvoirs de l’homme mais de l’amour du Christ, que la prédication apostolique ne cesse d’annoncer et auquel l’effusion de l’Esprit nous permet d’adhérer. Témoin de cet amour qui la fait vivre, l’Église est donc le sacrement du Christ dans le monde, puisqu’elle est le corps visible et la communauté qui dit la présence du Christ à l’histoire des hommes. Certes, l’Église-sacrement dont Paul déclare la « grandeur » (Ep 5, 32) est inséparable du mystère de l’Incarnation puisqu’elle est un mystère de corps; elle est inséparable aussi de l’économie de l’Alliance puisqu’elle repose sur la promesse personnelle que le Christ ressuscité lui fait de demeurer « avec » elle « tous les jours jusqu’à la consommation des siècles » (Mt 28 fin). Mais, l’Église-sacrement relève encore d’un mystère qu’on peut dire conjugal : le Christ est lié à elle en vertu d’un amour qui fait de l’Église l’épouse même du Christ, dans l’énergie d’un seul Esprit et l’unité d’un même corps.

2. L’union du Christ et de l’Église

L’union sponsale du Christ et de l’Église ne détruit pas mais tout au contraire accomplit ce que l’amour conjugal de l’homme et de la femme annonce à sa manière, implique ou déjà réalise en fait de communion et de fidélité. En effet, le Christ de la Croix accomplit la parfaite oblation de lui-même, que les époux désirent opérer dans la chair sans cependant jamais y parvenir parfaitement. Il réalise, à l’égard de l’Église, qu’il aime comme son propre corps, ce que les maris doivent faire pour leurs propres épouses, comme le dit saint Paul. De son côté, la résurrection de Jésus dans la puissance de l’Esprit révèle que l’oblation qu’il a faite à la Croix porte ses fruits dans cette chair même où elle fut accomplie, et que l’Église, aimée par lui à en mourir, peut initier le monde à cette communion totale entre Dieu et les hommes dont elle bénéficie comme épouse de Jésus-Christ.

7. La sacramentalité du mariage, évidence pour la foi

La sacramentalité du mariage chrétien devient alors une évidence pour la foi. Les baptisés faisant visiblement partie du corps du Christ qu’est l’Église, le Christ attire en sa mouvance leur amour conjugal, pour lui communiquer la vérité humaine dont, en dehors de lui, cet amour est privé. Il le fait dans l’Esprit, en vertu du pouvoir qu’il a, comme second et comme dernier Adam, de s’approprier et de faire réussir la conjugalite du premier. Il le fait aussi selon la visibilité de l’Église où l’amour conjugal, consacré au Seigneur, devient un sacrement. Les époux attestent au cœur de l’Église qu’ils s’engagent dans la vie conjugale, en attendant du Christ la force d’accomplir cette forme d’amour qui, sans lui, périclite. De ce fait, le mystère propre au Christ comme Époux de l’Église s’irradie et peut s’irradier dans les couples qui lui sont consacrés. Leur amour conjugal se voit ainsi approfondi et non défiguré puisqu’il renvoie à l’amour du Christ qui les soutient et qui les fonde. L’effusion spéciale de l’Esprit, comme grâce propre au sacrement, obtient que l’amour de ces couples devienne l’image même de l’amour du Christ pour l’Église. Cependant, cette effusion constante de l’Esprit ne dispense jamais les couples de chrétiens et de chrétiennes des conditions humaines de la fidélité, car jamais le mystère du second Adam ne supprime ou supplante en quiconque la réalité du premier.

Thèses de Gustave Martelet, reprises par la Commission théologique internationale. Voir le lien dans la bibliothèque.