La foi, condition pour se marier ?
Le "oui" des époux manifeste une foi de l'un en l'autre. Chacun met sa "con-fiance" en l'autre pour construire ensemble une œuvre. Qu'en est-il de la foi en Dieu, en Jésus, en l'Église ? S'il est normal d'éprouver des doutes sur chaque formulation du credo, ne faut-il pas exiger un minimum de foi de la part des époux pour que le mariage soit valide ?
Non seulement ils supposent la foi, mais encore, par les paroles et par les choses, ils la nourrissent, ils la fortifient, ils l’expriment ; c’est pourquoi ils sont dits sacrements de la foi. Concile œcuménique Vatican II, La Sainte Liturgie n° 59.
Ces propos expriment la nécessité d'une cohérence entre foi et consentement, ce qui n'a pas toujours été le cas dans l'histoire. La question ne se pose véritablement que depuis la révolution culturelle des années 70.
Le fait des « baptisés non croyants » pose aujourd’hui un nouveau problème théologique et un sérieux dilemme pastoral, surtout si l’absence, voire le refus de la foi semblent patents. L’intention requise - l’intention d’accomplir ce que font le Christ et l’Église - est la condition minimale nécessaire pour qu’il y ait vraiment un acte humain d’engagement au plan de la réalité sacramentelle. Certes il ne faut pas mêler la question de l’intention avec le problème relatif à la foi personnelle des contractants. On ne peut cependant pas non plus les séparer totalement. Au fond des choses, l’intention véritable naît et se nourrit d’une foi vivante. Là donc où l’on ne perçoit aucune trace de la foi comme telle (au sens du terme « croyance », disposition à croire) ni aucun désir de la grâce et du salut, la question se pose de savoir, au plan des faits, si l’intention générale et vraiment sacramentelle, dont nous venons de parler, est présente ou non, et si le mariage est validement contracté ou non. La foi personnelle des contractants ne constitue pas, on l’a noté, la sacramentalité du mariage, mais l’absence de foi personnelle compromet la validité du sacrement.
Ce fait donne lieu à des interrogations nouvelles, auxquelles on n’a pas trouvé jusqu’ici de réponses suffisantes; il impose des responsabilités pastorales nouvelles en matière de mariage chrétien. « Avant tout que les pasteurs s’efforcent de développer et de nourrir la foi des fiancés, car le sacrement du mariage suppose et réclame la foi » (Ordo celebrandi matrimonium. Praenotanda 7).
Commission Théologique Internationale, La doctrine catholique sur le sacrement du mariage, 1977. https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_1977_sacramento-matrimonio_fr.html
(1977)
Nous reprenons ci-dessous les réflexions de Andrea Bozzolo, Mariage et foi, La Maison-Dieu, 309, 2022/3, p. 46 (traduit par Sylvie André).
Dans un régime de christianisme, une telle incohérence apparaissait peu, puisque la perception du caractère religieux du mariage était un fait socialement et culturellement partagé. Dans ce contexte, la théologie ne ressentait pas le besoin d'expliciter ce fait, pouvant simplement le considérer comme un présupposé culturel évident. Dans une société fortement sécularisée, cependant, la structure de cette discipline prend en réalité une valeur pastorale très ambiguë. Concrètement, il existe un risque de faire valoir une notion « sécularisée » du mariage c'est-à-dire un mariage parfaitement concevable sans référence transcendante comme critère de détermination de l'existence du sacrement, alors que les dispositions personnelles requises pour contracter un mariage sont (largement) inférieures à celles proposées à un catéchumène pour l'admission au baptême.
Le cardinal Ratzinger avait exprimé la conviction que « la foi appartient à l'essence du sacrement ; il reste à clarifier la question juridique de savoir quelle preuve de "non foi" a pour conséquence qu'un sacrement n'est pas rempli° ». Benoît XVI l'a abordée plus largement dans l'un de ses derniers discours, à l'occasion de l'inauguration de l'année judiciaire de la Curie romaine en 2013. Dans ce discours, « sans suggérer aucun automatisme facile entre manque de foi et nullité de l'union matrimoniale », le pontife a repris une affirmation importante du document de la Commission théologique internationale de 1977 dans laquelle il était affirmé :
"là où l'on ne perçoit aucune trace de la foi comme telle (au sens du terme « croyance », disposition à croire), ni aucun désir de la grâce et du salut, la question se pose de savoir, au plan des faits, si l'intention générale et vraiment sacramentelle, dont nous avons parlé, est présente ou non, et si le mariage est validement contracté ou non".
L'intervention de Benoît XVI semble cadrer la question complexe du lien entre la foi des couples mariés et le sacrement valide à l'intérieur de deux principes fondamentaux. Le premier précise que « s'il importe de ne pas confondre le problème de l'intention avec celui de la foi personnelle des contractants, il n'est pas possible de les séparer totalement » ; la seconde reprend l'affirmation de Jean-Paul II, selon laquelle « une attitude des futurs époux ne tenant pas compte de la dimension surnaturelle du mariage lui-même, peut le rendre nul uniquement si elle porte atteinte à la validité sur le plan naturel sur lequel est placé le signe sacramentel lui-même ». Sur ces bases, le pape Benoît conclut :
La fermeture à Dieu ou le refus de la dimension sacrée de l'union conjugale et de sa valeur dans l'ordre de la grâce rend difficile l'incarnation concrète du modèle très élevé du mariage conçu par l'Église selon le dessein de Dieu, pouvant arriver à miner la validité même du pacte si elle se traduit par un refus de principe de l'obligation conjugale de fidélité elle-même, c'est-à-dire des autres éléments ou propriétés essentielles du mariage".
François dans son discours à la Curie en 2015 a invité les juges à accorder une plus grande attention au contexte existentiel dans lequel mûrit l'intention conjugale. Dans une culture caractérisée par la diffusion d'une mentalité mondaine, qui conduit l'homme à se replier sur lui-même, « l'abandon d'une perspective de foi débouche inexorablement sur une fausse connaissance du mariage, qui n'est pas privée de conséquences dans la maturation de la volonté nuptiale ». Là où règne la mondanité spirituelle « le mariage tend à être vu comme une simple forme de gratification affective qui peut se constituer de n'importe quelle façon et se modifier selon la sensibilité de chacun » (Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, 66), poussant les futurs époux à une réserve mentale à propos de la stabilité même de l'union, ou de son exclusivité, qui ferait défaut si la personne aimée ne correspondait plus aux propres attentes de bien-être affectif.
Le motu proprio Mitis iudex Dominus Iesus (15 août 2015) affirme : « 14-1 Parmi les circonstances qui peuvent permettre de traiter la cause de nullité du mariage au moyen du processus le plus bref selon les canons 1683-1687, il y a, par exemple : ce manque de foi qui peut générer la simulation du consentement ou l'erreur qui détermine la volonté ». https://www.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio/documents/papa-francesco-motu-proprio_20150815_mitis-iudex-dominus-iesus.html
Puisque tous les sacrements sont des actions du Christ et de l'Église, l'acte liturgique ne concerne jamais seulement des sujets individuels ; toute la communauté chrétienne est toujours objectivement impliquée. Le croyant, en effet, peut célébrer le sacrement précisément parce qu'il fait partie du « nous » de l'Église et se laisse guider et soutenir par sa foi et sa prière. C'est pourquoi tous les sacrements sont célébrés in fide Ecclesiae et que la communauté ecclésiale joue toujours un rôle représentatif. Cette représentation, fondée sur le concept biblique de la personnalité morale, est particulièrement évidente dans le cas du baptême des enfants, qui ne peuvent pas encore faire un acte de foi personnel. Il s'agit toutefois d'une représentation qui n'a pas le sens de « remplacer » la liberté du sujet, mais plutôt de l'anticiper et de la soutenir, créant ainsi les meilleures conditions pour la rendre possible. Elle peut également être mise en œuvre dans le cas des adultes, à condition toutefois qu'ils l'acceptent et s'y reconnaissent. L'intentio faciendi quod facit Ecclesia, en ce sens, exige au moins que les époux acceptent d'être soutenus et accompagnés par la communauté chrétienne, reconnaissant dans son témoignage la médiation historique de la grâce de Jésus. Vouloir être soutenu dans sa propre liberté par la foi de l'Église est la condition minimale pour avoir l'intention de Mire ce que l'Église fait lorsqu'elle célèbre le mariage. À la lumière de ces principes théologiques, on peut conclure qu'une vision cohérente de la sacramentalité du mariage exige comme conditions minimales de sa subsistance deux éléments fondamentaux, qui peuvent être formulés en ces termes : vouloir être unis par Dieu et inclus dans la foi de l'Église. La première condition se manifestera par le désir de la bénédiction divine, en se confiant à sa protection, en invoquant son aide ; la seconde par la volonté d'être accompagné par la communauté ecclésiale pour découvrir et vivre le sens du mariage chrétien.
D'un point de vue pastoral, l'adoption de cette perspective apparaîtrait comme un service rendu aux fiancés, pour les aider à recevoir le don de Dieu, et non comme un jugement sur leurs personnes et leurs attitudes. Concrètement, il s'agirait d'aider à reconnaître la manière dont le mystère de Dieu interpelle l'existence des fiancés précisément à travers leur vie affective et non pas au-dessus ou à côté d'elle. En même temps, elle inviterait la communauté ecclésiale à accomplir avec une conscience plus claire cette tâche d'accompagnement qui découle non seulement de raisons historiques contingentes, mais de la nature même de l'économie sacramentelle. Enfin, reconnaître un lien plus intrinsèque entre la foi et le sacrement dans le cas du mariage montrerait de manière plus éloquente que l'économie sacramentelle est totalement orientée vers la réception féconde de la grâce qui fait prospérer l'existence des individus et de l'Église, et pas seulement vers la régularité canonique qui suit un acte valide.