La promesse d'un don total
Les paroles prononcées par les époux constituent un engagement, une promesse d'un don total. Dire à l'autre : «Je me donne à toi», ouvre une perspective et une dimension charnelles. La formule «je te reçois» répond à cette attente. Les deux époux, en se promettant de se donner et se recevoir, engagent mutuellement leur corps. La promesse n'est en effet pas une phrase anodine du type «il fait beau aujourd'hui». De tels propos ont certes une dimension symbolique de communication, mais le corps ne s'y implique pas.
Le mariage est en quelque sorte le pari de la promesse tenue. L'homme et la femme se construisent en tenant leur promesse et non pas en se dédisant. Mais les deux partenaires peuvent-ils s'engager pour une durée qui dépasse parfois le demi-siècle ? Nietzsche affirme l'impossibilité de la promesse à propos des sentiments :
On peut promettre des actions, mais non des sentiments, car ceux-ci sont involontaires. Qui promet à quelqu'un de l'aimer toujours, ou de le haïr toujours, ou de lui être toujours fidèle, promet quelque chose qui n'est pas en son pouvoir; ce qu'il peut bien promettre, c'est des actions qui, à la vérité, sont ordinairement les conséquences de l'amour, de la haine, de la fidélité, mais qui peuvent aussi provenir d'autres motifs, car à une seule action mènent des chemins et des motifs différents (F. NIETZSCHE, Humain, trop humain, t. 1, § 58, Gallimard, 1958, p. 84).
Mais «aimer» ne se limite pas à un sentiment. Le mariage ne consacre pas des sentiments. Il engage le corps à aimer fidèlement pour la vie dans un don et une réception réciproques. La promesse porte sur des actions à accomplir.
La promesse, n'est-elle pas une limitation de ses possibilités à venir ? Elle obère le champ d'investigation de l'aventure amoureuse en limitant l'espace de la relation intime à un seul être. Mais l'amour sans promesse, sans engagement, enferme le corps dans une fausse liberté, car il ne respecte pas l'autre. Il ne se fonde sur aucun projet d'avenir. La promesse au contraire se caractérise par son objet : s'aimer tout au long de la vie. Le projet est ambitieux, car il ne contient aucune restriction. La promesse n'est pas assortie d'un «si» : «Si tu m'aimes, je t'aime...». Elle ne donne aucun pouvoir surnaturel, ni sur le temps, ni sur le cours des événements. Le risque réside notamment dans la conviction orgueilleuse de se croire à l'abri de toutes les tentations. La promesse adresse un défi au temps. Les chances de vaincre seront d'autant plus grandes qu'elles s’appuieront sur un tiers hors du temps et dont la fidélité est pour toujours.
Si nos promesses ne se suspendaient pas à un 'Toi absolu', elles seraient même malhonnêtes, car nous ne pouvons nous engager à avoir toujours des sentiments identiques à ceux d'aujourd'hui; nous savons trop bien que notre nature est inconstante (M. NEDONCELLE, De la fidélité, Aubier, 1953, p. 156).
Ainsi, la promesse invite l'homme et la femme à vivre d'une liberté nouvelle : une liberté commune. Celle-ci n'est pas la réunion de deux libertés individuelles, mais la création d’un espace vierge à conquérir. Chacun conserve un jardin qui lui est propre, afin de ne pas être étouffé par l'autre. Mais les deux partenaires construisent une nouvelle demeure, dans lequel s'exprime le «nous».