Dépasser le juridique

Le mariage religieux recouvre trois dimensions : une communauté de vie et d’amour entre un homme et une femme, un contrat juridique et institutionnel, un sacrement d’Église. Comme le montre le nombre croissant des séparations, la force et la fragilité de l’union reposent sur la première dimension, sur le désir amoureux que se portent deux êtres. Lorsque d’amour disparaît sans pouvoir être restaurée, alors le couple court le risque d’une rupture irréversible. Amour conjugal ne rime pas toujours avec lien conjugal. La rupture tire le constat que l’affection mutuelle est morte sans possibilité de résurrection.

L’Église a bâti sa doctrine du mariage autour du contrat et du sacrement durant tout le second millénaire alors que l’amour est la clé de voûte de toute obligation juridique ou morale. Jésus fait d’ailleurs de l’amour un commandement auquel toutes les lois sont subordonnées.

Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi ? Jésus lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes (Mt 22,36-40).

Pendant des siècles, les théologiens et les canonistes affirment que l’amour n’est pas un préalable nécessaire au mariage. L’amour naît du mariage. Et pas n’importe quel amour. Ni l’amour sentiment, ni même l’amour passion, mais un amour qui a pour référence l’amour de Dieu lui-même. Le concile Vatican II marque un tournant dans la doctrine de l’Église, car il exprime clairement que le mariage est une communauté de vie et d’amour (Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, 48,1). Mais est-il possible d’enfermer l’amour dans un code juridique ?

La dissolution et la nullité sont des concepts juridiques et s’appliquent aux ruptures du contrat matrimonial, mais leur adaptation aux relations amoureuses les rend inaudibles et incompréhensibles. La Bible parle de fidélité à propos de l’alliance entre Dieu et son peuple et non d’indissolubilité ou de nullité. De même entre un homme et une femme, l’amour ne se traite pas en termes dissolution ou de nullité.

Un premier amour consacré dans le mariage laisse des traces indélébiles, parfois de profondes blessures. Il est impossible de restaurer le passé et de dire « rien n’a jamais existé ». Les paroles restent gravées. Les actes sexuels demeurent dans le corps jusqu’aux fruits de l’enfantement qui rappellent inexorablement l’histoire commune. Toute communauté de vie et d’amour demeure à jamais écrite dans l’histoire. Aucun rite ecclésial ou magique n’efface celle-ci. Aucune décision juridique ne défait les liens humains entre le passé et le présent. Que le mariage soit coutumier, civil ou sacramentel, il imprime un caractère indélébile dans l’existence. Ce n’est pas le contrat/sacrement qui est indissoluble ou « inannulable », mais l’être. Notre corps est un mémorial et il est impossible de le dissoudre dans le temps et l’espace ou de revenir en arrière. Même la mort ne supprime pas l’histoire. Les personnes veuves et remariées vivent un second mariage sans pour autant effacer le premier de leur vie.

C’est un fait, nos relations amoureuses véritables laissent une trace indissoluble, ineffaçable, dans nos vies. Elles ne s’effacent pas les unes les autres (Pape FRANÇOIS, La joie de l’évangile, 15).

Aucune solution juridique ne résout un problème qui n’est pas d’ordre juridique. L’Église a certes offert des points de repère au sein d’une culture judéo-chrétienne, mais ne s’est-elle pas enfermée dans une impasse juridique et moralisatrice ? Aujourd’hui, ce n’est plus l’obligation qui doit nourrir les chrétiens, mais la mission.

La cause missionnaire doit avoir la première place (Pape FRANÇOIS, La joie de l’évangile, 15).